Jeux et enjeux autour d’un délai

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Il y a de cela une année, presque jour pour jour, était soumise au suffrage populaire la Charte sur la paix et la réconciliation nationale. Elle venait parachever un processus entamé sous le Président Zeroual, avec la loi sur la Rahma, puis complété par la loi portant concorde civile proposée et adoptée dès le début du premier mandat du Président Bouteflika.Cette loi, soumise à référendum, a fait l’objet de larges débats avant d’être massivement adoptée. Quatre attitudes se sont alors fait jour au sein de la classe politique.- Le rejet, mollement exprimé par les partis dits démocrates, fondé sur les seuls aspects technico-juridiques dont la justesse peut, effectivement, donner lieu à des appréciations diverses.- Le soutien conditionné de l’UDR, jeune parti qui s’imposait davantage chaque jour au sein de la société. Nonobstant les aspects technico-juridiques de la loi qui pouvaient être sujet à débat, ce parti a estimé le texte globalement positif mais exigeait, en contrepartie de son soutien, que son application fût limitée dans le temps, position rejointe par le RND et satisfaite par les autorités à travers les décrets d’application.Deux dispositions essentielles de la loi justifiaient l’adhésion de ce parti : la responsabilité exclusive de la tragédie nationale est imputée à l’ex-FIS et à ses responsables et il est formellement interdit à ces derniers toute activité politique sous quelque forme et sous quelque couverture que ce soit. En cela, le texte consacrait une lecture républicaine des évènements.- Le soutien hypocrite du FLN version Belkhadem et du MSP de Soltani, tous deux membres de l’Alliance présidentielle et siégeant au gouvernement. Avec plus ou moins de véhémence, les leaders des deux partis, tout en soutenant le projet, tentaient de remettre en cause les deux dispositions désignant le FIS dissous comme unique responsable du drame national et interdisant à ses responsables toute forme de pratique politique.C’est tout de même ahurissant de constater que ce sont des ministres d’Etat, représentants par excellence de ce même Etat, qui veulent lui faire partager la responsabilité de l’abject complot intégriste, consacrant ainsi une espèce de symétrie infamante, conçue et portée des années durant, par des lobbies d’outre-mer, champions du célèbre “Qui tue qui” ! A ceux-là, on peut d’ailleurs ajouter la passionaria du Parti des travailleurs, la seule trotskiste pro-islamiste de la planète.- L’offensive médiatique des anciens du FIS, politiques et militaires, tout à fait dans leur rôle lorsqu’ils tentent de dénaturer la loi en proposant des lectures erronées et en lui inventant des projections tendancieuses qui puissent justifier leur soutien honteux et qu’ils ne concevaient que comme un investissement dont ils attendaient des bénéfices.Le 31 août dernier, à minuit, prenait fin le délai d’application de la Charte sur la paix et la réconciliation nationale. Durant tout l’été, à l’approche de cette date fatidique, tout ce que compte le pays d’islamistes et de pro-intégristes s’est mobilisé pour réclamer la prorogation du délai. Une prorogation ad vitam éternan puisque personne n’a jamais fait allusion à une date-butoir !On prend pour prétexte le bilan “mitigé” de l’application de la Charte sur la paix et la réconciliation nationale. “Trois cents repentis, c’est peu !” disent les champions de la défense des intérêts intégristes. “Trois cents assassins en moins, c’est bien!” devrait-on répondre. Quant aux autres, à tous les autres, ce sont les lois de la République qui doivent leur être appliquées dans toute leur rigueur.Monsieur Belkhadem, nouveau chef du gouvernement, estime, pour sa part, qu’on ne peut limiter la paix dans le temps.Mais de quelle paix s’agit-il ? Celle qui consisterait à voir, dans un mois, dans un an ou dans dix, des énergumènes descendre du maquis, le poignard encore sanglant du sang de nos soldats et de nos policiers, le canon du fusil encore fumant de leurs crimes, le sourire carnassier, demander leur pension, leur emploi, et Dieu sait quoi encore ! Sans compter qu’il jouirait, en toute impunité, au produit de leurs rapines !Mais là n’est peut-être pas le plus grave. La motivation des jeux dangereux de Belkadem et consorts n’est pas de nature sécuritaire et militaro-judiciaire. Elle est éminemment politique !En effet, et le ministre de l’Intérieur l’a confirmé à sa manière, il va de soi qu’un repenti qui se manifeste après le 31 août bénéficierait d’un traitement de faveur par rapport à un terroriste neutralisé par la force. Mais il appartient à l’institution judiciaire, et uniquement à elle, de définir la nature et l’ampleur de ces faveurs.Ce n’est donc pas cet aspect du problème qui fait courir Belkhadem, Soltani, Djaballah et Hanoune. Ce qui les gêne au plus haut point, c’est que les anciens responsables du FIS dissous, à commencer par Mezrag dont les ambitions politiques sont de notoriété publique, soient réduits au silence et à l’inaction.D’aucuns pensent que tous ces acteurs politiques œuvrent à la réhabilitation du parti dissous. Là aussi il semblerait que ce soit une erreur. Si Belkhadem, Soltani et autre Djaballah rêvent tous d’une République islamique, ils savent tout aussi bien qu’avec un FIS réhabilité, ils n’auraient aucune chance de présider aux destinées de cette république hypothétique. Ce qui polarise leur intérêt, c’est le réservoir électoral, réel ou supposé, du parti dissous qu’ils savent ne pouvoir gagner qu’avec la bénédiction de certains de ses responsables.C’est dans ce contexte qu’il faut situer la réponse de Belkhadem à Madani Mezrag, lorsqu’il lui rappelle ne pas avoir droit à l’activité politique aux termes de la loi.Près de dix jours nous séparent déjà du 31 août. Les délais d’application de la Charte sur la paix et la réconciliation nationale n’ont pas été prorogés. Peut-on alors espérer la mise en pratique de ses dispositions restrictives ? Verra-t-on, dans un proche avenir, les Madani Mezrag et les responsables des médias qui servent de porte-voix répondre devant la justice en cas de récidive ?Toute la question est là. Car une loi ne vaut que par son application. Dans son entièreté !

A. R.

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