Dans la rue, chez le toubib, au marché, …, il suffit de tendre l’oreille pour entendre toutes sortes de commentaires. Ah ! Le torchon brûle entre ma belle-mère et moi ! Elle rêve de me chasser pour trouver une “nouvelle femme pour son fils”. La guerre semble déclarée entre l’épouse du fils et la mère de celui-ci, et les querelles entre elles ne s’arrêtent plus. En générale les jeunes femmes d’aujourd’hui ne supportent plus la vie en cohabitation. Les maris quant à eux sont pris entre le marteau et l’enclume : qui a tort qui a raison ? Même si la majorité des femmes ont des griefs envers leurs belles-mères, qu’elles jugent possessives et méchantes, certaines trouvent en elles des secondes mamans. A cet effet, nous avons tenté, en cette période ramadhanesque, une petite enquête autour de cette question dont on ne parle que rarement. Ecoutons les témoignages de ces belles-mères, belles-filles et maris, bien que la plupart d’entre eux aient été très réticents à nos questions. Ces relations sont-elles aussi orageuses ou graves qu’on le prétend ? Safia 32 ans, habite en ville, avec ses beaux-parents depuis dix ans. Au début de son mariage, ses relations avec sa belle-mère étaient correctes et qu’à cette époque, raconte-t-elle, elle travaillait encore et n’avait pas l’occasion de la voir puisqu’elle était constamment absente de la maison toute la journée. Avec la naissance de ses enfants, Safia a dû abandonner son emploi pour se consacrer à leur éducation. Et c’est à ce moment-là que la fumée commençait à sortir. Et, “subitement, je ne savais plus rien faire aux yeux de ma belle mère. Elle monopolisait tout dans la manière d’élever mes bambins. Je me suis renfermée durant quelques temps sur moi-même, puis, un beau jour, j’ai explosé comme une bombe. Notre relation a vite tourné au drame au grand dam de mon époux”. Faute de logis, Safia et son mari étaient condamnés à cohabiter tant bien que mal, malgré le climat stressant et de mauvais augure qui y régnait. “J’essayais souvent d’ignorer ses remarques, en ne faisant pas attention à ses insinuations. Ce que je n’ai pas supporté, c’est qu’un jour, je l’ai surprise entrain de raconter à qui voulait l’entendre — à une voisine que je n’aime pas en plus – les soi-disant misères que je lui faisais endurer. Pour elle, j’étais nulle dans tous les domaines : cuisine, ménage, rapports humains, etc. Quelles catastrophes et quel dommages pour son fils !!”, avait-elle conclu. Un autre témoignage de mésentente dans ce créneau vient de Malika, 28 ans. Sa belle-mère, dit-elle, a toujours rêvé que son fils Djamel épouse sa cousine, autre qu’elle. “Djamel et moi avons fait des études ensemble jusqu’à la fin à la fac. Sa mère, poursuit-elle, a été contrariée de ne pas lui avoir laissé le choix de lui désigner la femme de sa vie. “Yellis n’tafimilt”, sage, obéissante, bonne cuisinière, couturière… Enfin, une fille “Kul adad sessenaâ” (chaque doigt avec un métier), comme on dit chez nous. Depuis le premier jour de notre mariage, j’ai ressenti que ma belle-mère me méprisait totalement. C’est à peine si elle disait un mot en balbutiant. J’ai essayé de me rapprocher d’elle, sans résultat. Je ne ratais jamais une occasion pour lui offrir un cadeau. Rien ne lui faisait sensation “uliss dazu” (son cœur est comme une pierre). Pour elle, une fille qui se met en pantalon (jeans) et qui sort “bosser” est une mavaise fille !” Certaines femmes que nous avons interrogées, par contre, pensent que leurs belles-mères sont jalouses d’elles, car elles estiment qu’on leur a “volé” leur fils chéri. “Elles ne coupent jamais le cordon ombilical, même quand leurs fils sont devenus pères”, nous dira Lynda. Pour sa belle-mère, tous les motifs sont les bienvenus pour aller pleurnicher auprès de lui. “Le malheur, c’est qu’elle le fait à son insu, en le gonflant à bloc, et me demande souvent des explications : pourquoi n’as-tu pas voulu accompagner ma mère chez le médecin ? Pourquoi ne lui as-tu pas fait honneur en prenant le café avec ses invités ? Encore et encore… En fin de course, je me retrouve à me disputer avec mon mari et j’imagine qu’à ce moment même, elle doit jubiler”. Les relations entre belles-mères et belles-filles sont-elles toujours orageuses ? Heureusement que non ! Nous avons aussi questionné des épouses (même si elles sont rares), tout à fait satisfaites de la vie qu’elles mènent avec leurs belles-mères. Pour Nawal 27 ans, elle avoue avoir retrouvé sa seconde mère, voire sa conseillère et sa confidente même. “Après mon congé de maternité, j’ai trouvé en elle une excellente “kibla” (sage-femme) qui me donnait des conseils dignes de ceux d’un médecin pédiatre. En plus, je plains les femmes qui courent chaque matin déposer leur progéniture chez une nourrice ou dans une crèche; elles ne sont jamais satisfaites et tranquilles quant au traitement que ces dernières peuvent leur réserver. Dans ce domaine, j’ai l’esprit libre ; pendant que je travaille, et le soir en rentrant, je retrouve avec grand plaisir ma petite famille dont ma belle-mère n’est jamais exclue. C’est normal de temps à autre qu’il y ait y a des mésententes. Il est clair que nous n’appartenons pas à la même génération. Nous n’avons pas vécu de façon identique. Alors avec un peu de souplesse et de compréhension, les brus et les belles-mères devraient normalement cohabiter dans de bonnes conditions”.
Nora 29 ans, habitant le même bâtiment à LNI que Nawal, est du même avis. Grâce à la présence de sa belle-mère, raconte Nora; dans son appartement F3, elle est plus libre de ses mouvements. “Lorsque je fais mes courses, je sais qu’elle veille sur mes deux enfants. En plus de ça, on se partage de temps en temps des corvées journalières et, comme elle adore faire la popote, surtout durant ce mois sacré de Ramadhan, je m’occupe du shopping; Elle me soulage de beaucoup de choses et d’obligations qui auraient pesé trop lourdes pour moi. Par ailleurs, elle a son petit caractère qu’il faut savoir gérer. Elle est toujours un peu jalouse quand mon mari m’offre de temps à autre un petit cadeau. Désormais, lui et moi avons convenu pour ne pas la “froisser” qu’il lui offre également quelque chose pour lui faire plaisir.
Une chose minime, soit-elle, réchauffe le cœur. Et c’est comme cela que tout le monde trouve son compte et le sourire. Il n’y a pas mieux que de vivre en bonne entente et en paix”. Pour rendre notre enquête plus juste et crédible, nous avons jugé utile de donner la parole aux belles-mères et aux maris. Sont-ils satisfaits de leur vie en cohabitation en général ? Apparemment, le malaise existe également, et des fois, bien des regrets, voire des situations irréparables, Na Fadhma, la soixantaine passée, a tenu à se confier à ce sujet de tout son cœur: “Ahwah ammi ! (Ah, mon fils) les temps ont bien changé. Avant la belle-mère (tamghart) avait une place privilégiée et sa voix comptait dans la famille, on lui vouait un respect total”. Na fadhma à travers son explication, d’ailleurs “innocente”, confirme qu’effectivement la femme de l’époque dans la famille kabyle, jouissait de ses droits dans la société, sauf que celle ci, actuellement, a bel et bien évolué. Avant de poursuivre, “on lui vouait un respect total. Aujourd’hui “el kum agi” (cette génération) épouses “modèle 2000”, veulent vivre seules avec leur conjoint. Pour ma part, j’ai trois fils. Je suis ballottée de l’un à l’autre (une semaine, chacun) selon un calendrier qu’ils ou qu’elles ont établi… A mon âge, j’aspire en principe à un peu plus de stabilité. Je me souviens qu’une fois, mes deux belles-filles se sont querellées à cause de moi. L’une d’elles ne pouvait assurer son “tour” de garde, car elle partait en vacances. La deuxième ne voulait rien savoir, elle refusait catégoriquement de me prendre quelques jours en plus ! Je me suis considérée comme un fardeau encombrant ! Elles-mêmes semblent oublier, qu’un jour, elles occuperont le même statut !”“C’est triste”, regrette-t-elle, les yeux larmoyants. Le témoignage, le plus dramatique, est celui de A. R. 39 ans, paraissant plus, qui a répudié sa femme et ses trois enfants à cause justement des problèmes engendrés par cette “cohabitation”. “Cela fait cinq ans que j’ai divorcé. Depuis cette date, je n’ai pas cessé de courir les tribunaux, car je n’arrivais plus à satisfaire le paiement des pensions alimentaires que je juge trop élevés (2 000 DA par enfant). Ma situation sociale ne me permet pas d’y répondre. Toute cette histoire, A. R. la vit avec d’amers regrets car, droit, il l’avait vécue à cause de ses parents”. Il regrette aujourd’hui aussi qu’aucun, parmi les membres de sa famille, n’ait levé le petit doigt pour lui apporter une aide. “J’ai failli partir en taule, et si j’en suis sorti indemne, c’est grâce aux amis qui étaient venus à mon secours”, avant de conclure par un conseil : “Quels que soient les problèmes issus d’une cohabitation : ne répudiez jamais vos femmes surtout s’il y a des enfants”. A travers tous ces témoignages, on peut dire qu’en fait, la vie de famille dans la société kabyle traditionnelle, ayant eu une réputation exemplaire, semble aujourd’hui détériorée, voire émiettée à cause des conflits de génération. Les sentiments qu’on lui connaissait, jadis, sont fragilisés par des rapports d’intérêts matériels. La situation tend de plus en plus à se briser et devient alarmante. Il est vrai, aussi, que la cohabitation est un terrain favorable aux disputes, mais normalement avec un peu d’intelligence et de respect de toutes parts, l’on devrait apprendre à vivre et revivre ensemble de manière sereine et surtout complémentaire. Ça ne coûte absolument rien et ça peut rapporter gros… comme au loto.
S. K. S.
