Chaque année, environ 10 000 personnes, pour la plupart des adolescents tentent de se suicider dans notre pays. Un certain nombre d’entre elles, environ un millier chaque année, y réussissent : leurs appels au secours, leurs différents messages de détresse n’ayant trouvé aucune oreille attentive au niveau institutionnel ou celui du cercle familial. Un drame tragique dont les proportions à travers tout le territoire national ont pris les dimensions d’un phénomène de santé publique. Ce phénomène a pris aussi des proportions alarmantes dans certains pays : entre 800 000 (huit cent mille) à (1) un million de personnes meurent des suites d’une tentative de suicide. Malgré cette hécatombe, le sujet reste largement frappé de tabou dans de nombreuses sociétés. Pour sensibiliser sur ce fléau qui prend des proportions alarmantes ces dernières années, des spécialistes dans le domaine ont révélé déjà en 2004 que des experts prévoyaient, il y a une vingtaine d’années en arrière, une explosion de “pathologies psychosociales” dans la majorité des pays à travers le monde à partir des années 2000, y compris notre pays, qui n’est pas en marge de ce cataclysme. Les motifs de consultation étant pour 75%, selon les résultats du symposium 2004 sur ce thème, de nature psychologique, particulièrement chez les jeunes, l’OMS (organisation mondiale de la santé), dans son dernier rapport consacré exclusivement à la santé mentale, a indiqué que la dépression figure parmi l’une des principales causes de morbidités, sinon la première, et que parmi les dix principales causes des handicaps et d’invalidités, cinq sont de nature neuropsychiatrique.
Le suicide fait donc partie de ce qu’on appelle “les nouvelles morbidités”, au même titre que les autres comportements à risque prédominants chez les adolescents et les adultes jeunes, en l’occurrence “l’abus de drogues, les toxicomanes, les conduites suicidaires, les accidents et les traumatismes et les violences intentionnelles”, lesquels ont désormais leur place dans la nosographie médicale (CIM), classification internationale des maladies.
La plupart des spécialistes dans notre pays, et ce dans leurs différentes interventions, s’accordent à dire que dans “80% des cas, le candidat au suicide présente des troubles de la personnalité ou des troubles psychiatriques, pas forcément pathologiques, mais facilement décelables par un professionnel de la santé mentale”.
A la lumière de toutes ces explications, la tragédie de suicide dans notre pays serait donc aisément évitable pour peu qu’un réseau de centres d’écoute médico-psychologique soit largement déployé dans la communauté, c’est-à-dire dans les dispensaires de quartier, villages, écoles, centres de formation et même dans les universités… Une bonne initiative qui mérite d’être signalée et qui tend à se généraliser à travers le CRA (comités locaux) de la wilaya de Tizi Ouzou est celle du CRA de Larbaâ Nath Irathen. Une jeune psychologue de formation, au chômage, se porte volontaire dans le bénévolat, reçoit deux fois par semaine une multitude de jeunes et moins jeunes et les oriente, selon les cas, vers des établissements appropriés. La multiplication de ces espaces thérapeutiques de proximité dans les établissements éducatifs et en dehors permettraient à coup sûr d’aider et de traiter la souffrance morale des sujets en détresse.
Encore faudrait-il que dans la représentation sociale de la pathologie la maladie mentale soit considérée en tant que telle et non pas comme une “honte” juste bonne à cacher et à stigmatiser. Selon de nombreux spécialistes, le contexte sécuritaire des dernières années aussi, notamment l’explosion de la violence, peut avoir des conséquences et des séquelles sur la santé mentale, dont l’ampleur reste largement méconnue. L’absence de politique claire en matière de soins et de prise en charge en santé mentale, notamment une déperdition grave des infrastructures et de législation adéquate, a été également soulevée à plusieurs reprises par ces spécialistes.
A quand le juste essor de la psychiatrie, spécialité de la santé publique par excellence, “restée”, hélas, le parent pauvre de la médecine ?
S. Seddik Khodja