Il y a quelques années, son petit livre de seulement cent pages, s’était vendu à plus d’un million d’exmplaires. Philippe Delerm revient avec un autre texte tout aussi captivant.
Le titre de ce nouveau est celui-ci : Maintenant, foutez-moi la paix ! C’est donc tout un programme que propose l’auteur de la Première gorgée de bière… Paul Léautaud était un homme libre, parce qu’il était un homme seul. Il n’est pas besoin d’aller vivre au désert pour être seul. Léautaud connaissait sur le bout des doigts la République des lettres. Il y était chez lui, et n’ignorait rien des comédies, et, plus encore, des drames de cette République. Il avait un bureau au Mercure de France qui était, en son temps, un lieu stratégique. Il fréquentait les théâtres, car il était critique, et promenait sa dégaine de vieil épouvantail dans les salles les plus huppées. Il lui arrivait même de dîner en ville. Mais il gardait toujours sa solitude en lui. C’était, comme disent les Chinois, un ermite du marché. Et, quand il rentrait à Fontenay-aux-Roses, il était maître de son domaine comme Auguste l’était de l’univers. Ce domaine était peuplé de chiens et de chats dont il était l’esclave. Esclave volontaire, on s’en doute, et, plus encore, esclave amoureux de son esclavage. Il avait même une guenon qui lui tenait la dragée haute. Les animaux furent pour Léautaud sa raison d’être, car ils lui permettaient d’exercer sa tendresse. C’était un coeur dur et une âme sensible. Il gardait cette sensibilité pour les bêtes. La littérature, pourtant exigeante, passait après.
Philippe Delerm, dans un petit livre sagace et amical, Maintenant, foutez-moi la paix !, dit tout ce qu’il faut dire de Léautaud en évitant le romanesque dont on barbouille le personnage. Et, d’abord, Léautaud n’est pas un personnage, c’est un caractère. Tout chez lui, et même le pittoresque, passe par la tête. Il ne reste plus qu’à lire, au hasard de la fourchette, les six mille pages du Journal littéraire. Chacun, à quelque détour, y trouvera son bonheur.
On ne saurait rencontrer, comme son ami Stendhal, homme plus dénué de préjugés. Rien de plus rafraîchissant que la lecture de Léautaud, on ne sait jamais où il nous mène. Ses vérités, ses paradoxes, ses saillies, et même ses sottises, car nul n’est exempt d’en dire, nous prennent toujours à contre-pied. Rarement écrivain fut moins convenu, moins appliqué, plus attaché à écrire dans l’instant, et quelles qu’en soient les conséquences, tout ce qui lui vient à l’esprit. Il se montre à nu, mieux que Jules Renard qui, tout de même, s’observe. Il va tranquillement, avec le plus parfait naturel, sans la moindre provocation, jusqu’au bout de ses confidences qui ne sont jamais des justifications ou des aveux. C’est un Diogène, léger et railleur, mais qui ne fait pas étalage de son cynisme. Il a, jusque dans la cruauté, des candeurs d’enfant. Lui, qui détestait les enfants, ne goûterait guère ce compliment. Et pourtant, il y a chez lui une ancienne innocence. C’est un vieux gamin. Il s’étonne toujours, et peut écrire qu’«il n’a rencontré de grand dans la vie que la cruauté et la bêtise». La mort le fascine comme un évènement bizarre et incongru. Il a beaucoup d’intérêt pour le cheminement des agonies et les masques mortuaires le fascinent. Il n’y met aucune délectation, mais une curiosité intense. Il met, d’ailleurs, de la curiosité en tout.
Il parle d’un chien ou d’un chat comme personne n’en a parlé. Il ne les travestit pas, il ne leur retire pas leur identité de chien ou de chat. Ils sont comme ils sont. Léautaud est comme il est. Il est vrai, dans son style et dans sa vie, comme on n’ose plus l’être. « Philippe Delerm attrape bien cette vérité, évite la morale, le jugement, la
leçon, et, plus encore, à propos de la mère, la
psychanalyse, ce qui donne à sa biographie portative un charme certain. Après l’avoir lu, on peut entrer chez Léautaud sans frapper à la porte. Il vous recevra, car les solitaires sont souvent accueillants. Et puis, il a la sombre et tonique gaieté des misanthropes. Il faut se dépêcher de les lire », souligne le quotidien le Figaro. Du train où vont les choses, ils finiront en prison pour crime contre l’humanité, et on brûlera leurs livres. On ne se lasse pas des livres de Philippe Delerm dont certains sont disponibles chez quelques libraires d’Alger.
Farid Ait Mansour
