Quel contre-pouvoir ?

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Après le brainstorming animé avec la presse par le ministre de l’Information à la fin du mois de juin dernier — discussion qui a laissé pendantes toutes les questions vitales inhérentes à la profession et par laquelle aussi est confirmée la volonté de l’État de continuer à verrouiller le champ audiovisuel à l’investissement privé-, la famille de la presse écrite est invitée, à partir de vendredi prochain, à se pencher, dans un séminaire organisé par la FIJ (Fédération internationale des journalistes), sur les conditions d’exercice du métier de journaliste et sur les perspectives qui se dessinent pour la corporation et pour la liberté d’expression. Brandie parfois comme un alibi démocratique par lequel le pouvoir politique embellit sa façade extérieure, la presse algérienne — tout en excluant toute forme de nihilisme ‘’oppositionniste’’- ne saurait s’accommoder d’un cadre aussi étroit pour ses ambitions et aussi déformant de ces nobles objectifs. Le climat caractérisant jusque-là les rapports entre les ‘’trois premiers pouvoirs’’ et le quatrième qu’est la presse souffre déjà d’assez de malentendus et de procès d’intention. Ces rapports ont été nourris par la méfiance et la tension, extrêmes avatars d’un lien problématique entre la société tout entière et ses gouvernants. Depuis les premières années de l’Indépendance- qui ont vu disparaître quelques titres qui constituaient la relative pluralité de l’époque- jusqu’au décret de 1990 qui a ouvert le champ de la presse écrite aux personnes morales de droit privé, les Algériens ont bu le calice jusqu’à la lie en matière de pensée unique et de “jdanovisme” culturel. La presse gouvernementale était assimilée, à juste titre, à une grande machine de propagande et de manipulation de l’opinion. Au vu de la configuration générale du système politique d’alors et de la logique despotique qui le régissait, ces organes qui étaient considérés comme le prolongement naturel du parti et de l’Etat dans la sphère idéologique étaient, pour ainsi dire, dans leurs rôles.

Ce sont les enfants d’octobre 1988, massacrés dans une des plus spectaculaires opérations de règlements de comptes politiques entre clans au pouvoir, qui libéreront la parole des Algériens. Il est tout à fait vrai que le pluralisme politique et la liberté de la presse écrite induits par l’ouverture inscrite dans la Constitution de février 1989 ont fait partie d’une ‘’vente concomitante’’ par laquelle était consacré officiellement le courant islamiste. Plus qu’un vice de forme, ce fut l’inoculation du ver dans le fruit. Et la corporation de la presse a eu à le vivre de la façon la plus lugubre pendant les années noires du terrorisme. Son martyrologe qui compte des dizaines de noms- le premier d’entre eux est apposé sur le fronton de la Maison de la presse de la rue Bachir Attar- est là pour rappeler le sacrifice suprême consenti pour la libre parole.

Et c’est avec une consternation et une colère légitimes que les journalistes algériens reçurent, au début des années 90, le Code de l’information, brocardé par les concernés- les victimes- en le qualifiant de Code pénal-bis eu égard à ses nombreuses dispositions coercitives. Il est incontestable que, de son côté, le nouveau métier de journaliste ‘’indépendant’’- une aventure intellectuelle, comme se plaisent à le qualifier les membres de la corporation- n’est pas exempt de tares et de bourdes liées sans doute à un manque d’expérience, mais aussi parfois à des intérêts politiques et financiers générés par la nouvelle configuration de l’économie nationale.

Les pouvoirs publics sauront-ils battre leur coulpe et envisager d’accompagner la presse indépendante dans son essor vers plus d’indépendance, de performance et de pédagogie par une gestion équitable de la manne publicitaire et des aides (fiscales, financières et autres) qui lui sont destinées ? Le pouvoir politique pourra-t-il faire de la presse un compagnon de route, un contre-pouvoir par lequel se dessinera un jour la bonne gouvernance ? Aura-t-il l’intelligence de libérer le champ audiovisuel du monopole étatique désuet que l’Algérie est l’un des rares pays à subir encore en ce début du 3e millénaire ?

Amar Naït Messaoud

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