Les mots vertigineux

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C’est l’un des poètes algériens qui écrivent bien. Ses poèmes sont un long voyage littéraire, un interminable voyage.

Né le 24 février 1943, à El-Milia (Jijel), Youcef Sebti enseigne la sociologie rurale à l’Institut national agronomique. Après avoir enseigné la chimie à Skikda. Parmi ses livres déjà publiés on peut citer : L’enfer et la folie, poèmes édités chez les éditions SNED (Alger). Par le truchement de très beaux textes poétiques, Sebti sait parfaitement manipuler sa plume et investir les méandres de la personne humaine. C’est peut- être ça qui offre la force aux mots., souvent vertigineux mais agréables. Des mots « Dans les gorges poussiéreuses tournoyaient des oiseaux.

Une mélodie mélancolique montait. Avec grâce

Ils planaient au-dessus des eaux, battant de temps à autre de leurs ailes.

Serpent emprisonné depuis des millénaires. Rummel !

Tu rampes pour t’échapper de ta cellule.

Noir, souillé, tu tentes de fuir en vain.

Jamais, Tu le sais, Tu ne sortiras de là.

Mais rapace, tu t’enfonces.

Vaincu, voudrais-tu cacher ta honte ?

Où te creuses-tu une tombe ?

Planète, notre planète, tu enroules sur tes hanches

La ceinture incommensurable des années,

Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Vers où nous conduis-tu ?

Dans la sérénité qui se condense avec la fraîcheur le soir tire les rideaux en daim et dans quelques instants tout sera sombre.

Mais…

La nuit a déjà posé ses colonnes, le jour a replié ses ailes transparentes.

Pourquoi cette cadence ininterrompue ?

Vers quel horizon va-t-il furtivement ?

Feuille que les frissons du soir remuent, lambeau d’un habit qui se flétrit.

Pourquoi es-tu sur la chassée ?

Vers où vas-tu ?

Oued Eddous !

Tu te dores au soleil,

Tu n’es plus qu’un amas répugnant d’os, pourras-tu terminer ta longue traversée ?

Es-tu muet ? Es-tu mort ?

Tu regardes ces nuages culbutant au-deçà du Djurdjura. Où vont-ils ?

Oiseau ! Pourquoi ce refrain mélancolique ? L’air est limpide comme un bloc de glace et Je pleure l’été qui se retire, je songe à la vieillesse, à la mort. Qui me dévoreront bien avant le retour du printemps », écrit le poète. Ces passages bien ficelés sont d’une qualité littéraire indéniable. Ce que pensent d’autres créateurs de renommée de confirme le talent de Youcef Sebti. « L’Enfer et la Folie. C’est une sorte de journal de bord (septembre 1962 – octobre 1966) où sont consignés les souvenirs de la guerre et les désarrois d’une jeunesse. Le regard sur la guerre est loin d’être une rétrospective triomphaliste ou discursive ; au lieu du discours guerrier, c’est la poésie intransigeante et totale qui se tient aux détours imprévisibles de l’évènement pour faire feu de ses mots rouges. Cette œuvre magnifique, aux accents parfois rimbaldiens, est un recueil d’une grande densité où des poèmes éclatent sous l’afflux de la, brûlure et du cri. Poèmes d’impatience qui ne tolèrent ni le doute ni la retenue, qui brisent leur propre cadence pour rythmer ce monde à venir qui redonnera leur saveur aux choses et aux mots », écrit l’immense Tahar Djaout sur le fils de Jijel. Cet aveu est forcément une analyse profonde des écrits de Sebti. L’auteur de Chercheurs d’os sait parfaitement bien apprécier l’écriture bien élaborée ; lui-même fut un poète hors pair.

« Prière de trouver la clef de la misère qui un soir enferma ma mère

Dans une tombe froide.

Prière d’inscrire sur la porte de la prison

Mobile où je vis à chaque instant les raisons

De ma colère et de ma haine.

Prière de porter sur le registre

Des objets perdus mon père ce pauvre enragé

Tué pour une pincée de bonheur.

Veuillez avertir le poste de secours

Qu’un fantôme affole dans les cours

Les bonnes âmes de notre ville.

Messieurs les jurés, je vous dis Merde

Pour la jeunesse maudite Merde

Pour la condamnation sans recours », enchaîne l’universitaire. Ces mots si simples et si profonds nous invitent à un voyage au-delà de l’espace et du temps. Plusieurs années après leur écriture, les poèmes de Youcef Sebti demeurent intacts. Comme au premier jet ou il leur donna la vie. La poésie qui voit le jour lors d’une très forte inspiration ne peut guère perdre de son charme. C’est pour cette raison et tant d’autres qu’un poète ne peut pas mourir.

Y. C.

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