Le pressing des avocats

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Après 46 jours du procès de l’affaire Khalifa, la chambre d’accusation, la Cour suprême et le parquet général ont été encore une fois dans le collimateur des avocats de la défense. Ceux-ci n’ont pas manqué de tirer à boulets rouges sur le travail fortement décrié de ces trois instances judicaires. Avocat de Lynda Benouis et Ighil Meziane, respectivement directrice de la monétique et consultant en sports à la banque Khalifa, contre lesquels le parquet a retenu 4 et 15 ans de réclusion criminelle assortie d’une amende de 10 000 DA et de la confiscation de l’appartement de Benouis, maître Rachid Bouabdellah, qualifie « d’inédit dans les annales judicaires » le rejet de la Cour suprême de tous les pourvois en cassation. « Mon client a reçu la notification pour constituer le dossier le 27 novembre 2006. Moi, j’ai déposé le mémoire le 24 décembre alors que l’arrêt de renvoi a été envoyé par la Cour suprême le 20 décembre », explique-t-il et d’ajouter que l’égalité entre les citoyens devant la loi garantie, au demeurant par la constitution, est « inexistante ».

L’avocat estime qu’on assiste à une « justice sélective ». Selon lui, l’arrêt de renvoi a non seulement subi un lifting, comme affirmé par une consoeur, mais bel et bien « un nettoyage ». « On a enlevé les impuretés. On l’a apuré de ceux qui sont réellement responsables. Ils ne sont pas ici dans la salle, même comme témoins », dit-il. Me Bouabdellah soutient qu’il y a une nouvelle interprétation de la loi en précisant qu’il y des non-dits.

Au sujet de sa cliente, Lynda Benouis, l’avocat n’a pas ménagé le procureur général. Il rappelle que le crédit dont sa mandante avait bénéficié a été transféré directement du compte de Moumen Khalifa vers le compte du propriétaire de l’appartement. « Ma cliente n’a jamais touché un centime. On ne peut pas être complice d’un fait inexistant », note-t-il. Concernant, Meziane Ighil, l’avocat indique que, d’après le réquisitoire du procureur général, son client aurait braqué une banque en compagnie de Moumen Khalifa. Il réitère que ces accusations sont inédites. De son avis, il faut qu’il y ait une intention délictuelle pour commettre l’abus de confiance. Mon client ne peut être poursuivi pour ce délit, dit-il, puisqu’il n’a pas eu une mise en demeure du créancier. Me Bouabdellah affirme encore que l’arrêt de renvoi est truffé d’incohérences. « Vous n’avez pas des numéros et des dossiers devant vous. Ce sont des êtres humains innocents jusqu’à preuve du contraire », lance-t-il à l’égard du procureur général.

Au sujet de l’association de malfaiteurs, l’avocat déclare qu’il faut qu’il y ait une intention de commettre crime. « Est-ce que Ighil s’est réuni avec Moumen Khalifa ? », s’interroge-t-il, avant de dire que le représentant du ministère public a usé « d’artifices techniquo-juridiques », pour assoir son accusation. Il dit que c’est au parquet d’apporter la preuve de cette inculpation. « Où est son tort si son employeur ne lui a pas fourni un contrat de travail ? S’il y a un découvert sur son compte, c’est la faute de Moumen », rappelle-t-il avant d’indiquer qu’Ighil n’a jamais signé une convention de sponsoring.

« La plupart, ici, sont des lampistes »

Me Bouabdellah se demande pourquoi on reproche à ce dernier d’avoir touché la somme de 100 000 DA sans un contrat de travail. « Il n’a pas été payé pendant 20 mois. C’est pour cette raison qu’il y a un découvert sur son compte », argue-t-il. L’avocat ne mâche pas ses propos en assenant que le réquisitoire du procureur général n’a pas été à la hauteur de l’affaire. « Lorsque vous nous évoquiez les catastrophes de Ain Témouchent ou Bab El Oued, vous faites dans le sentimentalisme. La plupart ici sont des lampistes. Le procureur général ne doit pas être un instrument de répression judicaire », dit-il.

Il continue de vider « son sac » en disant: « Cest une affaire de l’Etat puisque les ministres des Finances, du travail et la Banque d’Algérie sont des représentants de L’Etat ». En affirmant que les arguments du parquet sont « spécieux », ce dernier interviendra pour dire qu’il a procédé selon la loi. La présidente du tribunal, Mme Brahimi, le rappelle à l’ordre pour ne plus interrompre Me Bouabdellah. Plus loin, celui-ci conteste la constitution de la Banque d’Algérie en tant que partie civile en affirmant que cette dernière n’a pas pris de sanction et veut rejeter la responsabilité sur les autres.

A l’égard de Mme Brahimi, l’avocat précise qu’elle peut interpeller le ministère public lorsque un fait délictueux est révélé. « L’Algérie marche sur la tête. De l’argent sort à tort et à travers sans que personne ne s’en rende compte. Où était l’Etat ? La Banque d’Algérie est la première responsable. Si vous voulez juger les gens, jugez les véritables responsables qui ne sont pas là », conclut-il. Agissant au nom de Ighil Meziane, maître Boulefrad estime que l’affaire Khalifa est entourée d’un « mystère intrigant ». « Meziane est une victime au même titre que les caisses et les déposants. Air Algérie aurait pu disparaître puisque forcé de fusionner avec Khalifa Airways. On a oublié les véritables responsables de l’affaire en se focalisant sur les cartes thalasso », explique-t-il.

Chiffres à l’appui, l’avocat estime que les scandales financiers ayant éclaboussé les banques publiques ont occasionné un préjudice de 231 milliards de centimes et 4 millions d’euros illicitement transférés vers l’étranger, rien que durant 2005, en raison du « laxisme » des services de contrôle. « Le ministre des Finances, Benachenhou, avait lui-même, affirmé que les banque publiques de par leur fonctionnement constituent une menace sur la sécurité de l’Etat », relève-t-il, en précisant que tous les responsables se rejettent la balle. « Ce n’est pas moi, c’est l’autre », dit-il en paraphrasant l’ancien président de la République, Chadli Bendjedid.

L’arrêt de renvoi, un cadeau empoisonné

L’avocat se demande à qui incombe cette responsabilité. « L’article 119 a été annulé pour des raisons mystérieuses. On a ramené des lois assez douces. L’Etat et sa réaction n’ont pas été à la hauteur de cette affaire », constate-t-il. Même l’arrêt de renvoi a été cloué au pilori, allant jusqu’à qualifier celui-ci de « cadeau empoisonné ». « Vous n’étiez, Madame la présidente, pas d’accord avec l’arrêt de renvoi. L’instruction a privé certains témoins d’accéder au rang d’accusés. L’histoire ne se lit pas par le présent », révèle-t-il. Voulant démonter les chefs d’accusation retenus contre son mandant, Me Boulefrad souligne que le procureur général n’a pas le droit, du point de vue juridique, de retenir la peine de 15 ans de réclusion criminelle. « Celui-ci a fait une fixation sur Meziane Ighil. Nous sommes ici pour faire appliquer la loi. La peine maximale aurait été de 10 ans parce que l’argent dilapidé est celui de l’Etat », déclare-t-il. La décision de la chambre d’accusation a été rendue dans la « précipitation » car, dit-il, la liquidation n’a pas encore pris fin. Me Boulefrad note que la loi énonce que la relation de travail peut être écrite ou non. « Je me demande pourquoi l’instruction ne l’a pas poursuivi sur la base de fraude fiscale. La direction des impôts qui en est responsable n’a pas réagi », s’offusque-t-il. L’avocat rappelle que la loi devait être équitable et juste. A ce titre, Il rappelle les déclarations de Mohand-Chérif Hannachi, président de la JSK, selon lesquels son club avait bénéficié d’un chèque de l’ordre de 2.6millards de DA pour l’achat de 25 voitures sur la base d’un simple appel téléphonique. « Hannachi avait dit que l’Algérie marchait de cette manière. La vérité doit être dite. Je suis ulcéré de voir qu’un président de club (Ighil) est arrêté alors que ceux qui ont pris des voitures ont comparu comme des témoins. La politique de deux poids deux mesure est exaspérante », dit l’avocat qui s’interroge : « Pourquoi on n’a pas rendu les voitures puisque l’argent est public ? ». Me Boulefrad évoque également le témoignage de Maâmar Djebbour, animateur sportif à la Chaîne III, lequel avait affirmé devant le tribunal que Meziane Ighil n’a rien à voir dans l’affaire. « Des gens vivaient à Paris dans un hôtel 4 étoiles, payés en euros et un chauffeur. Où sommes-nous dans l’application de la loi ? », se demande-t-il. Pour sa part, maître Khaled Bourayou, avocat de Akli Youcef, caissier principal à la caisse principale et contre lequel le parquet a retenu une réclusion criminelle de 20 ans, dénonce les complicités et la corruption de certains responsables sur lesquels Moumen Khalifa avait bâti son empire. L’avocat affirme que la ville de Staouéli, dont son client est originaire, ne peut pas payer le « prix de ce que les gens de Club-des-Pins ont commis » dans une allusion que les gens qu’il accusent de complicité avec Moumen Khalifa ont élu domicile dans ce coin douillet. L’intervention de Me Bourayou s’articule notamment sur la corruption généralisée dans laquelle l’Algérie vivait.

Il précise que le système avec lequel la banque Khalifa est celui-là même par lequel l’Algérie est régie. Un système qui, selon lui, a été derrière toutes les catastrophes de l’Algérie. L’avocat soutient que des responsables ordonnaient des instructions personnelles, à travers des appels téléphoniques, et personne ne pouvait les contester. L’avocat avoue que son client, en donnant des sachets d’argent à Moumen Khalifa, exécutait des ordres indiscutables, ceux-là mêmes avec lesquels le système algérien fonctionnait. « Chez nous, les dirigeants exécutent les ordres et incombent aux autres la responsabilité », relève-t-il.

Il s’insurge contre la politique de deux poids deux mesures de la justice qui accorde la bonne foi aux responsables alors que le simple citoyen ne bénéficie pas de ce traitement. Me Bourayou précise que durant le mandat de l’actuel gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Leksaci, les dépôts se sont multipliés par trois au moment où les taux d’intérêt avaient diminué et cela avait poussé les citoyens à faire les dépôts dans la banque Khalifa. Pour situer les responsabilités, l’avocat affirme qu’il faut monter haut, dans une allusion aux hautes sphères de l’Etat.

Hocine Lamriben

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