Épaves humaines et bouteilles à la mer

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Au cours des trois derniers mois, des centaines de jeunes Algériens tentant de fuir le pays sur des embarcations de fortune ou ‘’incrustés’’ dans des navires de commerce ont été interceptés par les garde-côtes de la région Ouest. Des dizaines de cadavres ont été rejetés par la mer après avoir longuement flotté comme les bouteilles porteuses de messages désespérés.

Ce qui était, il y a quelques années, de lointains ‘’faits divers’’ africains ou de simples entrefilets de la presse suscitant la compassion des ONG humanitaires est en train de se banaliser- sous nos yeux hagards et impuissants- sur les côtes d’Algérie. La presse de novembre dernier a rapporté qu’en l’espace de 24 heures, les services de sécurité ont intercepté 76 harragas sur les côtes oranaises. Dix-sept autres de leurs camarades sont portés disparus.. À l’Est, même si les statistiques ne sont pas très prolifiques, les réseaux et les filières de Annaba vers la Sicile sont connus des services de sécurité et des garde-côtes. En Haute Kabylie, quatre jeunes de la région de Aïn El Hammam n’ont pas donné signe de vie depuis qu’ils ont embarqué pour l’Australie via la Malaisie il y a quatre ans de cela. L’Algérie, qui était considérée comme zone de transit pour l’immigration clandestine africaine (l’itinéraire Niger-Adrar-Oran-Maghnia étant balisé par des passeurs depuis des années), est en passe de rivaliser avec les pays de l’Afrique subsaharienne en matière d’ ‘’exportation’’ d’une jeunesse poussée dans ses derniers retranchements et mise en situation de loques humaines. Y-a t-il un signe plus révélateur de l’échec d’une politique censée servir la frange la plus importante de la population algérienne représentant presque 70% de celle-ci ? A l’échelle continentale, les analystes parlent crûment de l’échec des indépendances. Sans toucher à cette extrémité- car l’Algérie possédait des atouts humains et des potentialités naturelles qui auraient pu la soustraire au sort peu enviable de beaucoup d’autres pays africains-, il y a quand même lieu de constater les dégâts causés par la démagogie et l’économie rentière dans ce que le pays compte comme véritable capital en puissance. Ce ne sont évidemment pas les structures et les institutions conçues pour le secteur de la jeunesse qui manquent en Algérie.

Du ministère de la Jeunesse et des Sports jusqu’au ministère de la Solidarité nationale, en passant par les ministères de l’Éducation, de la Formation professionnelle et de la Culture, des dossiers et des services sont consacrés spécialement à la politique de la jeunesse.

Néanmoins, plus on fouine dans les arcanes de cette méga-bureaucratie plus on se résout à considérer que ce sont souvent des corps inertes et désincarnés, en tous cas loin de se mettre au diapason d’une jeunesse travaillée au corps par les frustrations devant un monde, lointain et proche à la fois, où la vie grouille de moult exubérances, brille de mille feux et chante joie et alacrité. Mais, c’est un monde qui ne s’est pas fait ex nihilo. Notre école n’a pas su donner les clefs qui permettent d’accéder au savoir qui a fondé les sociétés occidentales. La formation professionnelle a, jusqu’à un passé récent, été considérée comme le carrefour des cancres qui ne reçoit que les recalés du système scolaire. Au moment où des sociétés étrangères s’installent en Algérie, les ouvriers spécialisés, les charpentiers, les métreurs vérificateurs,…manquent à l’appel.

Que peut valoir le Salon du livre dans un pays déserté par les lecteurs ? Aucune force psychologique ou intellectuelle n’a pu pénétrer la majorité de la jeunesse algérienne. Même l’islamisme- hormis les agitations politiciennes brandies par une ‘’élite’’ située à la périphérie du pouvoir et/ou de la rente- ne constitue plus une alternative sérieuse pour une frange plongée dans une véritable déréliction humaine.

Peut-on espérer qu’un jour les structures budgétivores de l’État arrêteront de naviguer à vue et mettront en branle des actions rédemptrices qui, d’une épave humaine, pourront faire un citoyen ?

Amar Naït Messaoud

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