Le roi d’Espagne, Juan Carlos 1er, est depuis hier l’hôte de l’Algérie pour une visite d’Etat, la première depuis 1983, à l’invitation du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Sa majesté, accompagnée par son épouse et par une escouade d’hommes d’affaires et de hauts responsables de l’Etat, séjournera pendant trois jours en Algérie. En effet, après la visite récente du chef du gouvernement espagnol, José louis Rodriguèz Zapatero, celle de sa majesté ira dans le sens de préserver et consolider les intérêts communs entre les deux pays.
Le gaz, un élément stratégique
Au-delà du programme officiel inscrit à l’ordre de cette visite, Abdelaziz Boutelika et Juan Carlos 1er, disposent également d’un large éventail de » sujets d’intérêt commun » pouvant intégrer leurs entretiens. Connaissant l’intérêt marqué des Espagnols pour le secteur énergétique, il est incontestable que cette rencontre permettra de faire le bilan de la coopération bilatérale entamée depuis des années. Si économiquement, les projets de privatisation du gouvernement algérien et les investissements lourds que réalise et compte réaliser l’Algérie durant les prochaines années captivent les appétits espagnols, et au-delà de l’intérêt des Espagnols pour les questions d’investissement et de rachat des entreprises à privatiser dans notre pays ; le gaz sera incontestablement le point cardinal de cette rencontre. En effet, outre le projet Medgaz qui aura un impact certain sur le renforcement de la coopération énergétique entre les deux pays, l’Algérie veut réviser à la hausse le prix de son gaz vendu à l’Espagne.
Le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, a déclaré, avant hier, sur la Radio Chaîne III que des négociations sont en cours entre les deux pays pour une révision à la hausse des prix de vente du gaz naturel algérien. Les discussions portent sur une révision à la hausse d’un dollar par million de BTU. L’Algérie veut mettre à niveau les prix de vente du gaz à Gas Naturel sur ceux du marché et des autres clients espagnols. Les recettes supplémentaires seront de 150 millions de dollars par an. Cette hausse aura certainement des incidences sur les marchés espagnol et européen, surtout que l’Algérie est le principal fournisseur de gaz de l’Espagne et que le gazoduc va avoir une dimension intercontinentale avec les extensions vers d’autres pays européens, comme la France ou l’Allemagne. Le ministre de l’Energie et des Mines a, toutefois, précisé que l’augmentation prendra en compte l’intérêt des consommateurs et ne se fera pas d’une façon brutale.
Traité de Barcelone, immigration clandestine et lutte antiterroriste
Les 27 et 28 novembre 1995, 27 Etats européens et partenaires méditerranéens signaient en grande pompe le traité de Barcelone, par lequel on jetait les bases d’une nouvelle configuration géostratégique d’une Méditerranée ayant pour dénominateur commun la paix, la stabilité et la prospérité partagées.
Douze ans après la première conférence, le bilan est plus que mitigé. Selon divers rapports, les objectifs poursuivis accusent des retards, voire des manques : la poursuite du conflit israélo-palestinien, le manque d’accélération de la convergence économique, le manque de réformes dans les pays du Sud, le flux migratoire face à des frontières hermétiquement verrouillées en sont une preuve dramatique. Ainsi, faute d’assistance et d’engagement fort de la part de l’Europe, la rive sud de la Méditerranée risque de devenir un vivier de misère et d’extrémisme. Par ailleurs, les sujets de l’immigration clandestine en Espagne et de la lutte contre le terrorisme seront également évoqués lors de cette rencontre. L’Espagne qui peine à tracer une stratégie efficace contre les flux migratoires de la rive sud, aura besoin d’une assistance et une collaboration soutenues, notamment de la part de l’Algérie pour parvenir à une solution approuvable.
L’Espagne qui est connue pour son engagement direct dans la lutte antiterroriste, laisse présager une tendance pour une coopération plus ardue. A voir la triste expérience des attentats de Madrid en mars 2003, les menaces persistantes du GSPC à l’encontre des occidentaux, l’attentat d’avant-hier à Casablanca, les services de lutte antiterroriste qui ne finissent pas de démanteler des cellules islamistes en Espagne, constituent un élément détonateur pour une lutte plus efficace contre ce phénomène planétaire entre les deux pays. Mais ce qui préoccupe l’Etat ibérique est vraisemblablement le nouveau-né : l’internationalisation du GSPC. Ce groupe terroriste algérien, en décadence depuis quelques années, tente de se donner une dimension régionale en s’alliant au réseau d’Al Qaida. Depuis quelque temps, le GSPC est apparu comme le porte-flambeau des factions islamistes radicales non seulement en Afrique du Nord mais également en Europe.
Sahara Occidental : seul point de friction
Tandis qu’en 2002, le président de la République avait effectué une visite diplomatique en Espagne dans le cadre de la signature d’un traité d’amitié entre les deux pays, les relations bilatérales de ces derniers se sont progressivement assombries, particulièrement ces dernieres semaines, suite au soutien mesuré de l’Espagne au projet marocain d’autonomie du Sahara Occidental. Auparavant, l’accueil qui a été réservé à la proposition du Maroc à l’issue de la visite en Espagne de la délégation marocaine a été qualifié de « froid » dans le langage diplomatique. Autrement dit, Madrid développe une fixation sur le droit à l’autodétermination et demande de l’inclure dans le Plan et dans le cadre des Nations Unies.
Ainsi donc, la question de l’ancienne colonie espagnole devrait monopoliser les discussions prévues entre Bouteflika et le roi d’Espagne. Le Maroc, qui doit présenter son plan d’autonomie en avril prochain au Conseil de sécurité des Nations Unies et qui entasse échec après échec durant ses tournées européennes pour chérir son projet, se heurte en effet aux revendications indépendantistes du Front Polisario soutenues par la communauté internationale à quelques réserves près des inconditionnels du Maroc comme la France. Ceci dit, lors de sa dernière visite au Maroc, M.Zapatero a implicitement valorisé l’idée d’une autonomie du Sahara Occidental sans s’aventurer dans les détails en s’en tenant aux résolutions du Conseil de sécurité et à la commission de décolonisation de l’ONU en général. Un recentrage qui n’a pas encore révélé tout ses secrets. Nonobstant, l’Espagne aura toujours une dette historique envers le peuple sahraoui, ce que n’arrête pas de lui rappeler le Front Polisario.
En clair, cette visite est-elle une manière de rassurer Alger sur la question sahraouie ? Car le discours que développe son président du gouvernement va à l’encontre de la position affirmée par les capitales qui ont été visitées par la délégation marocaine. Pour présenter le Plan d’autonomie à Paris, Washington, Londres ou ailleurs, l’initiative marocaine a été froidement accueillie. Même l’Union européenne, dont l’Espagne est membre, n’a pas eu l’empressement souhaité par la monarchie marocaine. Cependant, une question reste pendante : y a-t-il un lien entre la décision de l’Algérie de hausser les prix du gaz et la dernière sortie marocaine de Zapatero? Le temps nous le dira.
Yassine Mohellebi