Le bulletin de vote glissé aujourd’hui dans l’urne est nécessairement un acte citoyen. Même si la démocratie ne se limite pas à l’opération de vote-loin s’en faut, et l’histoire des démocraties occidentales est là pour nous le rappeler-, elle en est néanmoins la vitrine la plus visible. En poussant un plus loin l’analyse, nous dirions que cela devrait être plutôt le couronnement d’un processus de maturation sociale qui, dans notre pays, a subi maints soubresauts et une kyrielle de parcours chaotiques.
L’histoire contemporaine n’a pas fait de cadeau à l’Algérie. Et cela s’est traduit d’une façon dramatique dans la cohésion de la société et dans la conduite des institutions. Nul idéalisme ne saurait cependant nous faire faire l’économie d’une construction institutionnelle, aussi ardue et aussi éprouvante qu’elle puisse être. Lorsque la situation dangereuse du pays l’exigea, l’on s’est même permis un Conseil national de transition (CNT) sous le règne de Boudiaf faisant fi des ‘’scrupules’’ électifs qui étaient vus à l’époque comme une ‘’coquetterie’’ démocratique dans un pays poussé à la perdition.
Grâce aux efforts de la nation, des forces républicaines et de l’armée, le spectre de la régression historique du pays a été balayé même si le prix payé a été des plus exorbitants. La bête immonde du terrorisme intégriste a été terrassée sur le terrain. Au moment où les citoyens s’attendaient à une confirmation de cette victoire par un prolongement politique et institutionnel digne des sacrifices du peuple algérien, des tergiversations troublantes, s’apparentant à des reniements manifestes, ont vu le jour au sein d’appareils politiques vermoulus qui ont pendu leur crémaillère dans les sphères sensibles de l’État. Si les patriotes, démocrates et républicains de ce pays n’ont jamais réussi un regroupement salutaire, ce n’est pas en tout cas faute d’avoir essayé. Les énergies les plus saines et les plus désintéressées se sont retrouvées prisonnières d’une mécanique infernale où la volonté de leadership et les séductions rentières ont pris un ascendant asphyxiant sur les luttes d’avant-garde. On n’est visiblement pas loin de la théorie que Julien Benda a émise au début du 20e siècle et qui a pour nom la ‘’trahison des clercs’’. « Un seul parviendra au pouvoir ; si tu ne m’élimines pas, je t’éliminerai », déplore le poète Aït Menguellet dans une chanson prémonitoire datant de 1986. La leçon a-t-elle été retenue ? Même les conservateurs du FLN et les islamistes semblent parfois en désaccord et se tirent de temps en temps dans les pattes, cela ne prête pas à conséquence lorsqu’on examine le résultat des courses. Que l’on considère avant tout les vases communicants qui les relie. Il n’y a aucun doute que c’est le prolongement problématique de l’un- parvenu à une impasse historique par sa gestion policière et rentière de la société- qui a donné naissance à l’autre. Cette métamorphose débilitante a servi de ‘’stratégie de survie’’ à l’idéologie du parti unique et lui a permis, moyennant une perfusion à l’élixir du mysticisme, de rebondir et de vouloir prendre une nouvelle fois la société dans son étau. Certes, les forces conservatrices et de la régression se trompent d’époque. La jeunesse algérienne de 2007, tout en broyant du noir dans une situation de chômage chronique et de manque de perspective, est en mesure de demander des comptes à ses gouvernants. Elle le fait souvent anarchiquement, à l’aide des pneus brûlés et de sièges d’APC cadenassés. Elle a fini par ‘’socialiser’’ la culture de l’émeute. Mais, ces forces de la régression demeureront sourdes aux exigences d’une gestion moderne du pays, nourries qu’elles sont aux mamelles de la rente et se trouvant dans un état d’accoutumance pathologique. Elles ne peuvent lâcher du lest que face à une opposition démocratique unie, vigoureuse et civilisée. Une force démocratique et républicaine qui saura enraciner la culture d’une lutte pacifique, entraîner avec elle toutes les énergies modernistes ayant pour seul souci le développement économique du pays, la fin de la gestion rentière de la société et l’émancipation politique du peuple. En tout cas, la vague de la mondialisation ne nous laisse aucun choix. Seuls la compétence technique, le génie créateur, la liberté d’entreprise et le renouveau culturel pourront hisser le pays et la jeunesse algérienne vers de tels sommets. L’Assemblée nationale qui naîtra du scrutin d’aujourd’hui pourra-t-elle être une ébauche à cette entreprise historique ? L’électeur en détient assurément une grande part de responsabilité.
Amar Naït Messaoud
