Le développement au point mort

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En arpentant le chemin communal qui relie la ville de Seddouk à M’cina, notre lieu de pèlerinage, en cette belle journée printanière, un doux soleil plane sur la région. Nous étions d’ailleurs émerveillés tout au long de notre parcours par ce que la nature a façonné comme environnement sauvage de toute beauté. Un paradis de l’escapade, ou simplement une zone touristique par excellence ou encore un lieu idéal pour la détente aurait dit le visiteur qui vient, pour la première fois, découvrir cette région habitée par de rudes montagnards, qui s’attachent énormément à leur terroir. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, celui qui a élu domicile en a incontestablement une autre vision de ce lieu où la misère accompagne la vie de tous les jours et sait encore à quel point cette généreuse nature durcit la vie dans les bourgades enclavées. M’cisna, une commune relevant de la daïra de Seddouk, est parmi les plus pauvres de la wilaya de Bejaïa, située à environ 90 Kms à l’extrême Est. Composée d’un chef-lieu et de 8 villages, habitée par 8 500 âmes, et d’une superficie de 39,10 km2 dont 63% sont d’un relief accidenté où prédomine l’agriculture vivrière et à faible rendement, pratiquée sur des parcelles ravinées en haute montagne. Direction le chef-lieu, Sidi Saïd, du nom du saint vénéré qui a fondé la zaouïa locale, apparaît au détour d’un virage, se languissant au soleil printanier, tant le calme qu’on y trouve est doux et accueillant. Arrivé au centre la morosité frappant la jeunesse livrée à elle-même est perceptible à première vue. Assis à la terrasse d’une cafétéria, Hakim sirote son café en discutant avec des jeunes de son âge se trouvant dans la même situation que lui. “Tôt ou tard, je finirai comme les précédents par fuir cette région pour aller chercher mon avenir ailleurs. Ici, il ne reste presque aucun espoir !”, dit-il d’un air désespéré. Ainsi dans cette commune démunie, l’intervention de Hakim résume à elle seule le désarroi grandissant qui lamine la masse juvénile. Les cybercafés sont inexistants. Les jeunes pour surfer doivent se déplacer ailleurs. «Pour m’évader un tant soit peu, je dois me déplacer à Seddouk”, se lamente un jeune. Les infrastructures sportives et culturelles, dont les chantiers ont été lancés, ne seront pas prêtes pour demain. Ainsi, le stade communal et la maison de jeunes sont en phase terminale des travaux y afférents. Si l’on tient à cela, la commune ne possède même pas un conseil communal des sports ou de clubs sportifs pour l’encadrement des jeunes. «Nous sommes à cheval sur la création d’un CSA. Je profite de l’occasion pour lancer un appel aux amoureux du sport de s’impliquer dans la création de ce comité», déclare tout de go un responsable du sport. L’O M’cisna, une équipe de football, créée en 1995, a arrêté la compétition depuis l’an 2000. De ce fait, les cafés sont devenus les seuls espaces de loisirs pour une jeunesse abandonnée à son sort à cause d’un manque flagrant d’infrastructures de loisirs. Dans ce contexte, l’Etat doit agir vite pour rendre l’espoir à ces jeunes désœuvrés qui risquent de s’adonner à des fléaux sociaux tels que la drogue, le vol, l’alcool… Le manque de perspective de travail a accentué la misère sociale, ce qui a poussé d’ailleurs beaucoup de familles à l’exode dans d’autres villes notamment à Seddouk où les conditions de vie sont meilleures. Les efforts de l’Etat et des élus locaux sont perceptibles mais insuffisants selon M. Abdellah Amraoui, le maire par intérim, accusant le budget alloué infime par rapport aux besoins grandissants des citoyens : 50 millions de dinars en 2006 et 35 millions de dinars en 2007. Plus grave encore, l’autre malheur de la commune réside dans l’absence d’assiettes foncières communales permettant la réception de projets. «Nous avons bénéficié comme toutes les communes de 100 locaux commerciaux pour les jeunes mais nous n’avons pu en réaliser que 30 à cause de cet épineux problème du foncier», dira-t-il tout en décrivant à quel point le manque de terrain représente une entrave au développement de la commune dépourvue de nombreuses infrastructures publiques pouvant rendre la vie moins pénible à la population. Pour les citoyens de cette commune, les infrastructures publiques qui existent ne sont là que pour la forme. Dans ce contexte, le premier secteur mis à l’index est celui de la santé. “La polyclinique d’Imoula fonctionne uniquement avec un infirmier et un médecin généraliste. La structure sanitaire du chef-lieu qui est sensée être une polyclinique, n’est en fait qu’un centre de soins fonctionnant avec un infirmier, un généraliste et un dentiste. Alors qu’il n’y a point de maternité, ni d’ambulance pour le transport des malades”, ironise-t-il. Dans un autre chapitre, il se retourne vers les services postaux qu’il qualifie de laxistes envers le bureau de poste d’Ighil Ouantar qui a ouvert ses portes il y a belle lurette mais ne fonctionne pas comme il se doit à ce jour. “Que peut rendre comme service le bureau de poste d’Ighil Ouantar qui est constamment fermé ? L’agent qui lui est affecté provisoirement, ne va que rarement à ce bureau. Officiellement le bureau d’Ighil Ouantar est ouvert, mais, à présent, il ne possède pas de griffe à son nom et fonctionne avec celle du bureau de Sidi-Saïd”, dénonce notre interlocuteur. Parmi les autres écueils non moins importants qui accentuent le désarroi des populations figure celui du réseau routier qui est dans un état lamentable. Dans ce domaine, le premier magistrat de la commune a situé le déficit en matière d’aménagement des routes à 70%. “Seuls 30% du réseau routier a été rafistolé”, fera-t-il remarqué. Le secteur qui semble être placé au sommet des préoccupations des responsables de la commune qui se targuent d’ailleurs d’avoir gagné la bataille demeure celui de l’hydrauliquer. Le réseau d’eau potable réalisé avant l’indépendante était saturé de point de réparation et devant les fuites récurrentes, les élus ont décidé du remplacement de l’ancienne conduite par une nouvelle. “Sur les 5 Kms de conduite nous avons refait 3,3 Kms et n’en restait que 1,7 km qui seront remplacés incessamment”, rassure notre interlocuteur en affirmant que tous les villages ont été pourvus de réseaux d’assainissement des eaux usées. Le seul secteur où cette commune recèle des insuffisances dans la limite de l’acceptable demeure celui de l’éducation. Dans ce chapitre, selon lui, chaque village possède son école primaire, exception faite pour le village Imoula, en raison de son éloignement, un CEM lui a été accordé par la wilaya et les travaux y afférent viennent d’être achevés. Son ouverture est prévue en septembre prochain. “Avec l’ouverture du CEM d’Imoula en septembre qui va désengorger celui de Sidi Saïd, nous aurons une carte scolaire favorable dépassant les 500 collégiens et nous pouvons prétendre à l’inscription d’un lycée”, ambitionne-t-il. Beaucoup d’indicateurs défavorables hypothèquent lourdement les chances de développement de cette commune. L’Etat doit lever cette contrainte du foncier, un vrai casse-tête chinois auquel tout le monde est impuissant. Sinon, M’cisna serait condamnée à ne connaître dans l’avenir aucune extension ni de développement infrastructurel.

L.Beddar

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