Comme tout être humain, l’art naît dans un environnement donné et évolue avec un ensemble de valeurs et de règles imposée par ledit environnement qu’on peut appeler aussi : société.
L’art, à l’àge mur, sort donc au monde chargé de restrictions, d’interdits et de principes qu’il considère jusque-là comme un riche héritage, un patrimoine précieux à préserver et à protéger contre les aléas du temps. Cette idée naïve propre aux enfants non encore munis de leurs propres expériences, finit par s’ébranler d’elle-même quand l’art se frotte aux phénomènes de la société et découvre ses innombrables espaces vides, ses hypocrisies et ses sous-entendus portant souvent atteinte à ces mêmes principes et valeurs qu’elle lui avait inculqués.
Comme l’enfant devenu adulte et possédant désormais un esprit critique et observateur, l’art découvre aisément au bout de certaines expériences infortunées au sein de cet environnement que le Bien et le Mal ne sont au bout du compte, que des limitations arbitraires tracées par les lois humaines ou célestes pour l’empêcher de s’émanciper et le tenir le plus loin possible du terrain où il pourra apporter ses idées controversées et novatrices. Il découvre aussi, au bout de certaines fréquentation salvatrices avec les autres « enfants terribles » de l’Histoire, que son rôle consiste à détruire tout ce qu’il lui paraît faux, incongru et dérisoire pour arriver à une vue limpide et sans influences sur le monde qui l’entoure.
Comme l’adolescent qui commence à se poser des question existentielles et se meurtrit dans une recherche désespérée dont le but est lui-même, l’art à travers son œil clair et lucide regarde le monde extérieur avec scepticisme, obstiné qu’il est à dénicher dans chaque détail de la vie des Hommes sa part de vérité et son lot de mensonges. Il sait maintenant que son rôle consiste à démasquer le monde et trouver, à coup de quêtes périlleuses, son vrai visage. Ce visage tellement usé par les maquillages et les défigurations subies au fil des siècles, ce visage rongé par la fatigue et l’ensommeillement, ce visage ravagé par les guerres insensée et les bêtises de ses enfants fous à lier. Ce visage qui, néanmoins, pour l’art, renferme beaucoup de beauté, beaucoup de sens et beaucoup de trésors cachés.
Il prend donc le risque de vouloir éplucher cette épaisse couche de matière grasse, de produits esthétiques, de microbes et de peau lépreuse pour atteindre le fond pur qui survit toujours à la pollution et à l’épidémie pestilentielle.
Un artiste, pour paraphraser Sartre, est une personne qui se mêle de ce qui ne la regarde pas ! Il aspire donc à changer tout ce qui lui paraït malhonnête, déguisé ou malsain. Le changer dans la mesure de le corriger et si, par malheur, ladite lacune est inapte au changement, l’art sort courageusement son artillerie pour la détruire ! Vient ensuite le souci de substituer à la valeur démolie une autre qui apportera à l’Humanité ce que l’ancienne n’a fait que lui ôter ! C’est souvent difficile car l’art, ayant l’anarchisme et la rébellion dans les veines, trouve toujours une qualité esthétique dans le grand chaos succédant à cette destruction massive. Autrement dit, l’absence de valeurs ne dérange pas l’art car elle est l’expression suprême de la liberté : son seul idéal ! Cependant, un monde sans valeurs, sans interdits et sans principes est, pour les mortels, inacceptable voire inconcevable.
L’art est donc appelé à relativiser son combat en adaptant ses idées et ses projets à la réalité et aux attentes des Hommes. Cela bien sûr ne devrait en aucun cas écorcher ou détourner ses convictions et ses principes ni le corrompre dans un cercle social limité où il devient un simple esclave au service de la société.
Qu’il soit athée ou croyant, communiste ou capitaliste, engagé ou anarchiste, l’artiste doit toujours aspirer à apporter une quelconque amélioration au monde, à lui apprendre des choses nouvelles, à retracer le visage de la vie dans son éclat le plus radieux, à faire aimer la beauté et la vérité.
Il est ce révolutionnaire qui, au prix de sa vie, lutte pour renverser un système corrompu flottant sur des déchets et des ordures pour établir une République ou une Monarchie ayant pour seul fondement : l’amour du genre humain. Un amour dénudé de tout intérêt et de toute aspiration mondaine ou matérialiste. Un amour rédempteur qui assoira sur terre la paix spirituelle et matérielle dont elle fut privée depuis sa naissance.
Il ne s’agit aucunement d’un combat utopique et condamné à l’échec. Il ne faut jamais croire que le rêve n’est qu’un compagnon de nuit éphémère. Car c’est en croyant cela que tous les rêves des Hommes ne se réalisent qu’à moitié !
Napoléon a bien dit : « Impossible n’est pas français ! ». Et il l’a prouvé à maintes reprises en réalisant tout ce que ses soldats avaient jugé, alors qu’il était un simple projet, impossible !
L’artiste est le Napoléon de la vie. Le messager de l’autre rive qui nous apprend à « possibiliser » tout ce que la société nous a forcé à considérer comme impossible. L’artiste défie donc cette société en exhortant les Hommes à dépasser ses enseignements pour atteindre ce haut piédestal où l’Homme devient son propre dieu.
Sarah Haidar
