Nacer qui n’a pas eu le temps de saluer ses amis, tous des chômeurs comme lui, revient et les retrouve à la même place en train de discuter de football, exactement comme la dernière fois. Cette histoire, même si c’est une fiction, est en tout cas plus éloquente qu’un discours prolixe sur le chômage que nos jeunes cadres continuent à “subir”. Hakim, 32 ans, habite en ville, est au chômage depuis trois ans environ. Il avait, confie-t-il “tirugza” (la dignité), quitte son emploi dans une entreprise privée, volontairement, parce que son patron lui menait la vie dure. “J’ai une licence en droit (option juriste). Je ne veux pas accepter n’importe quel boulot. Le chômage a brisé mes rêves et mon existence. A l’heure où je vous parle, je n’ai pas un rond en poche. Il y a une année, j’ai fait une dépression nerveuse. J’en subis encore les séquelles. Je ne peux pas dormir sans prendre mes comprimés” raconte-t-il avec regret, les yeux pleins d’amertume. Nourredine, la quarantaine entamée, lui, est ingénieur en électricit, n’a jamais “vraiment travaillé” à part quelques bricoles. “Ma famille et mes amis me reprochent d’être un fainéant, un bon-à-rien et qui ne bouge pas le petit doigt pour envisager son avenir. Mais c’est archi-faux.
Après l’obtention de mon diplôme d’ingénieur, je n’ai pas perdu de temps pour chercher un job, et là où je vais, niet ! Aujourd’hui je me suis résigné à mon triste sort et à mon chômage chronique. Je n’arrive plus à me situer, c’est peut être le mauvais œil (tit) comme on dit qui me poursuit” se plaint-il. Beaucoup, dans la frange masculine en situation précaire due au chômage, avouent ne pas trouver d’emploi, car les responsables dans les entreprises ou administrations donnent leur chance aux femmes. Est-ce vrai ? Kahina et Nora, deux jeune filles fraîchement diplômées en économie dans une école privée agréée à Tizi Ouzou, ne sont pas de cet avis. “Le chômage touche aussi bien les femmes que les hommes.
Pour preuve, cela fait plus d’une année que ma copine et moi cherchons un boulot en rapport, sans résultat. Nous ne sommes pas les seules d’ailleurs. Toutes les filles de notre promotion (27 au total) sont au chômage, exceptées cinq ou six qui se marieront pendant ces vacances” nous confie Kahina. Selon les mêmes interlocutrices, elles sont venues plus de cinq fois à Tizi Ouzou solliciter les journaux pour publier des demandes d’emploi. Elles étaient vraiment contrariées, voire gênées quand le service publicité d’un quotidien national les informe que le tarif pour une telle annonce est de 1 600 00 DA. “Nous n’avons pas en poche, le tiers de la somme et nous qui croyons que c’était gratuit !”, ajoute Nora.
Chaque année, des milliers de diplômés, des futurs cadres sortent de nos universités, instituts, CFPA etc… Pour rejoindre le monde du travail. Une majorité d’entre eux, malheureusement rejoignent “le monde des chômeurs”. La fuite des cadres, des cerveaux n’est pas une “fiction”, il y a aussi beaucoup parmi eux qui “fuient” le pays pour l’étranger, en particulier en Europe ou au Canada pour trouver du travail et une vie “meilleure”. L’exemple de M. Hocine, un cadre en gestion est illustratif. Hocine n’a pas trouvé du travail après des études à l’université (USTHB), ni à Tizi Ouzou, ni à Alger ou ailleurs. Malgré une pléthore demandes d’emploi et de recherches avortées, il décide de changer de climat, il émigre en France où ses compétences sont immédiatement reconnues.
Il travaille dans une entreprise agro-alimentaire où il est responsable des exportations vers l’Algérie, son pays. Actuellement, il est en congé annuel à Tizi Ouzou, et nous l’avons rencontré dans un café autour d’une table. “Je reçois constamment des patrons algériens qui viennent conclure des contrats d’importation. Et lorsque je leur raconte comment j’ai atterri dans la boite, ils n’en revenaient pas, j’avoue que j’ai reçu beaucoup de propositions de la part de quelques-uns pour revenir travailler ici, mais j’ai décliné leurs offres. Je me suis toujours dit que quelques années plus tôt, je chômais et personne ne m’a proposé un poste en rapport avec ma spécialité” conclut-il. Un diplômé est toujours mieux loti pour postuler à un emploi, quelconque et la plupart de ceux qui ont un diplôme ou un métier, comme ont dit dans le jargon populaire, finissent par trouver tant bien que mal du travail. Plus désespéré est le cas de ces jeunes analphabètes ou presque et qui n’ont jamais eu une formation quelconque.
Kamel, 26 ans, a quitté les bancs de l’école très tôt et le regrette aujourd’hui amèrement “je suis incapable de lire un journal ou de rédiger une demande d’emploi que ce soit en français ou en arabe. J’aurai dû apprendre un métier au moins dans le tas comme tôlier ou maçon, mais à l’époque, je manquais de sagesse”. “Ikhussiyi erray” dit-il. En effet, plusieurs jeunes qui sont dans la situation que Kamel sont tombés dans le même piège de la délinquance. Pourtant dans le monde, le travail est une vertu, et il est universellement reconnu qu’il n’y a pas de “sot métier”. Dans nos coutumes, on dit que le “meilleur des hommes est celui qui ”gagne son pain à la sueur de son front”. Une personne en situation de chômage a toujours besoin des autres et parfois les rapports sont conflictuels entre un chômeur et sa famille, car il a toujours la sensation d’être considéré comme une “bouche” à nourrir de plus inutile. Pour finir, ne dit-on pas que le chômage est souvent un carrefour vers le monde du travail ou vers la délinquance… ?
Le chômage se conjugue aussi au féminin
Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, la frange féminine souffre autant du chômage que la gent masculine, “maintenant que j’ai obtenu ma licence. J’ai erré plus de quatre ans en frappant à toutes les portes et sans résultat. Même en mettant à profit certaines “connaissances”, pourtant bien placées, je ne suis pas arrivée à trouver un travail” et d’ajouter “mon entourage immédiat, y compris mes parents, me reprochent d’être trop exigeante. Peut être ont-ils raison, mais je voudrais un emploi correspondant à mon profil. Ce n’est pas trop demander“ dira-t-elle avant de conclure”pour mettre un terme définitif à mon cauchemar, j’ai décidé de me marier”.
Nabila, sa copine, a trouvé quant à elle une astuce “je suis diplômée en journalisme en 2002. J’ai essayé de me caser dans les journaux, mais cela n’a pas marché. Les “grands” quotidiens ne donnent aucune chance aux jeunes diplômés, alors que les “petits” journaux n’ont pas les moyens pour recruter”. Nabila constate qu’un diplôme universitaire dans cette branche n’ouvre pas tellement d’horizons en direction d’autres secteurs. “Actuellement, je passe mon temps à faire du shopping, du sport et des balades avec des copines ou à surfer sur le web, en attente de jours meilleurs”. Naïma, 27 ans, dynamique, belle, ne voulait pas céder à la routine et à l’oisiveté.
Elle “travaille” en tant qu’agent administratif dans le cadre de l’emploi de jeunes à la mairie de Larbaâ Nath Irathen au même titre que ces camarades. “Je n’ai jamais pensé une seconde, qu’un jour, je ferai un boulot autre que celui pour lequel j’ai été formée. J’avais d’autres rêves et ambitions avec mon diplôme de fiscaliste, mais que voulez-vous ? je suis restée deux années durant sans travail et c’est un véritable calvaire pour moi et aussi pour ma famille”. Avant de poursuivre : “Je tombais presque tous les jours malade, et je me remémore à chaque instant les encouragements d’un voisin de palier qui me disait : “Occupez votre temps, ne dormez pas mademoiselle ! D’ailleurs c’est grâce à lui que j’ai pu obtenir ce boulot payé à 3 000,00 DA/mois. Que faire avec cette minable somme, pas grand-hose, mais c’est toujours mieux que de se planquer entre quatre murs”. Les cadres de la santé ne sont pas mieux lotis. Le chômage a bouleversé leur vie.
Dans la plupart des cas et en majorité, ce sont ces catégories qu’on trouve quotidiennement dans les annonces de demandes d’emploi à travers les journaux; Tanina, 29 ans, chirurgienne dentiste, n’est pas en marge de ce fléau : “J’ai étudié pendant des années pour me retrouver en train de faire la popote et le ménage du matin au soir. J’en ai ras-le-bol. Je ne possède aucun moyen pour m’installer à mon compte. Les quelques remplacements que j’effectue de temps à autre ne sont pas une solution. Dans ce créneau, la pratique et l’expérience sont très importants, car à rester longtemps sans exercer, on risque de perdre tout ce qu’on a appris, donc ruiner toute une carrière”. Une multitude de femmes sorties directement des grandes écoles et instituts sont au chômage, cet ennemi de la société qui a bouleversé leur existence.
Elles n’ont pas voulu parler des longues années de souffrance et des conséquences qui en découlent. “J’en avais tellement assez du chômage que j’ai fait le mauvais choix de ma vie” se confie en fin de compte Saliha. “J’avais tellement souffert des problèmes financiers que j’ai épousé un homme aisé qui m’a rendu la vie insupportable. En somme, j’ai tout raté dans cette vie”.
A la lumière de ces témoignages, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper dans ce domaine, que finalement, l’homme et la femme doivent prétendre à une promotion sociale et l’affirmation de soi, avant d’être le lieu d’expression de leader-ship qui caractérise tout type de communauté. En fait, le travail demeure le seul motif de satisfaction et de stabilité au sein d’une société. Le chômage également s’apparente à une certaine aberration indescriptible quand il touche de plein fouet la catégorie universitaire pour l’enserrer comme dans un étau.
S. K. S.