La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous nous faire une présentation aussi large que possible du Parc national du Djurdjura ?MM.Abderahmani et Allilèche : Le Parc national du Djurdjura est un parc naturel qui s ‘étend sur une superficie de 18 550 hectares. Il se situe au Nord de l’Algérie, en Kabylie à 140 km au sud-est d’Alger et à 50 km parallèlement à la mer Méditerranée. Il se présente sous forme d’un arc de cercle ouvert vers le Nord, allongé selon une direction est-ouest sur 50 km de long environ et une dizaine de km de large sur la transversale de Tikjda. La chaîne de Djurdjura est subdivisée en trois grands massifs. A l’ouest, il y a le massif occidental, qui est le Haïzer avec une altitude maximale de 2164 mètres à Tachegagakt. Au centre, il y a le massif de l’Akouker dont l’altitude culmine à 2308 mètres à Ras Timedouine. A l’est, nous rencontrons le massif oriental qui atteint une altitude de 2308 mètres au sommet de Lalla Khadidja.
Pouvez-vous nous citer les communes limitrophes du PND ?Etant située à cheval entre deux wilayas, Bouira au sud et Tizi Ouzou au nord, le PND englobe 18 communes dont 10 sont situées au nord et 8 au sud. Certaines communes ont des portions de leurs territoires à l’intérieur du parc. 36 villages sont recensés au versant nord (Tizi Ouzou) avec une population de 51 769 habitants. Le versant sud, (Bouira) regroupe quant à lui 32 villages où vivent 28 114 habitants. Le total général étant de 79 883 habitants selon le recensement général de la population et de l’habitat de 1998. Le taux d’accroissement de cette population varie de 2,30 à 4,15 et vit dans les zones dites d’influence.
A propos de zones, pouvez-vous nous toucher un mot sur ce que que vous appelez le «zoning» du PND ?Il existe 5 classes de zones qui sont déterminées ainsi, la zone sauvage ou primitive. Elle occupe une superficie de 2555 hectares, soit 13,77% de la superficie totale du PND. Cette zone est normalement réservée exclusivement aux scientifiques pour y mener des travaux de recherches.Malheureusement cette zone a connu une forte dégradation dont l’arrachage par les riverains de la clôture censée protéger cet espace.
Pourquoi cet intérêt scientifique à la zone I ? Quelles sont vos motivations ?Pour la simple raison que cette zone constitue la raison d’être du parc. Elle renferme les espèces animales et végétales rares, telles que le singe magot, les rapaces, le pin noir du Djurdjura, les cedraies, le laurier, l’erable, le génévrier de Sabine etc… C’est à ce niveau que les mesures de protection et l’impératif majeur de la conservation de la nature s’expriment le plus. Elles ne peuvent faire l’objet d’aucune transformation, résultant, notamment de la construction de routes, d’infrastructures touristiques ou récréatives. Comme nous l’avons déjà signalé, seule l’activité scientifique et éventuellement pédagogique y sont autorisées.
Tout ceci est malheureusement théorique, dans la pratique nous constatons toute autre chose…La raison est toute simple. Nos effectifs très réduits par rapport à la superficie du parc, ne nous permettent pas d’être présents partout et à tout moment.
Continuons avec le zoning, si vous voulez bien…Il y a ensuite la classe 2, qui est la zone intégrale d’une superficie de 11 348 hectares. Elle renferme les milieux naturels spécifiques dont les forêts et peuplements végétaux différenciés par la structure et la composition des espèces au même titre que la classe I. Les territoires relevant de cette catégorie sont protégés contre toute forme d’intervention susceptible d’induire une forme d’alteration du milieu. Des travaux peuvent, cependant y être réalisés, mais initiés exclusivement par l’administration du parc. Ces zones sont soumises à la pression pastorale qui compte tenu de la topographie et du relief, génèrent des phénomènes d’érosion. Ces zones sont destinées à des travaux de repeuplement et de lutte contre l’érosion et doivent être sauvegardées contre les altérations. Dans un sens, elles ont la même importance que les zones de la classe I et constituent l’espace nécessaire au repleuplement par les espèces rares ou endémiques… Certains usages sont autorisés au profit des populations riveraines. Il s‘agit de la récolte de certains produits forestiers à des fins d’alimentation humaine ou d’utilisation fourragère, de l’utilisation du bois issu des travaux d’assainissement à des fins domestiques, de fabrication d’objets d’artisanat etc.
Il y a aussi les zones de faible croissance…Elles relèvent des classes 3 et 4. Elles totalisent 2823 hectares. Les activités de détente, loisirs, pastoralisme sont autorisées. Un parc naturel est un contexte particulier. Les activités qui y sont développées sont avant tout un moyen de découverte dans ses richesses naturelles, paysagères et culturelles. Les règles générales à respecter sont la limitation des constructions, le parc n’étant pas une zone de promotion immobilière. Les formes de découvertes à prioriser sont celles qui n’exigent pas la réalisation d’infrastructures correspondantes, c’est-à-dire des modes de découverte que ménage autant que se peut le parc.
La montagne est synonyme de détente, loisirs, randonnées pédestres. Comment peut-on concilier tourisme et protection de la nature ?Un parc national n’a pas pour vocation le tourisme et sa création se justifie plus par la nécessité de protection d’un patrimoine naturel menacé ainsi que le développement de la recherche scientifique. Le PND opte pour une formule qui semble répondre le plus aux notions d’amélioration du cadre de vie des populations locales et de préservation du patrimoine à savoir le tourisme rural. Pour la parc, le tourisme n’est pas une alternative pour régler des problèmes structuraux des zones montagneuses dont l’économie est en crise.Le tourisme est un produit avec une racine culturelle qui appelle plus la conscience et l’esprit, c’est-à-dire une image plus tournée vers l’émotion que la consommation. C’est un produit d’accueil, hébergement très typique où l’importance de la décoration de l’environnement, de la tradition culinaire est fondamentale. C’est un produit qui a un contenu d’animation important, la qualité de la prestation humaine est la première composante du produit. C’est un service touristique personnalisé qui conduit à gérer les groupes restreints de personnes.
Le PND a été érigé en réserve mondiale de biosphère par l’organisme Man and Biosphere (MAB) sous l’égide de l’Unesco. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce classement ?Les raisons de ce classement opéré le 15/12/1997 par l’organisme que vous avez cité sont multiples et liées à la richesse faunistique et floristique de notre parc. Le Djurdjura est caractérisé par un biotope exceptionnel. Jugez-en :Il y a d’abord la diversité du milieu naturel caractérisé par des cours d’eau qui permettent le développement ou la colonisation du milieu par des espèces rypissives des pelouses alpines, falaises et escarpements rocheux, des forêts, maquis, grottes et gouffres (gouffre du Léopard), grotte du Macchabée, lac Goulmine, Main du Juif etc… Nous rencontrons aussi des espèces animales et végétales endémiques (propres à un espace géographique), des espèces rares menacées d’extinction tels que le Pin noir, le cèdre de l’Atlas, le pistachier de l’Atlas, le genevrier Sabine, genevrier commun, érable etc…Les espèces endémiques étant le fedia, l’astragale, la mille pertus hérissé etc.Dans l’espace avifaune, 114 espèces d’oiseaux sont recensées, réparties comme suit :- 67 espèces sédentaires, 47 migratoires, 2 espèces probables et 5 espèces rarissimes (gypaète barbu, vautour moine, tchagra à tête noire) etc. En ce qui concerne l’espèce faunistique, nous rencontrons encore des espèces qui sont malheureusement, elles aussi, menacées de disparition. Ils ‘agit de l’hyène rayée, l’aigle royal, chardonneret élégant, chat sauvage.
Le PND a fait l’objet de transgressions multiples. A quoi sont dues ces transgressions qui menacent directement cet éco système fragile ?Elle est due à la situation non reluisante des populations riveraines au Parc et dont la paupérisation ne cesse de s’accroître. Par conséquent, ils se rabattent sur les territoires du Parc pour s’approvisionner en bois de chauffage, cueillir des fruits. Il y a aussi le phénomène du surpâturage, le braconnage, coupes illicites du bois, extraction de la pierre, les incendies etc…Nous assistons aussi à la transgression des lois par certaines administrations qui octroient des autorisations de captage des sources à des fins industrielles ou de relancement des carrières qui arrivent à la fin de leur exploitation. Parfois, on tente même d’installer des nouvelles carrières.
Pour remédier à ces situations, quelles sont les activités préconisées par le PND au profit des populations riveraines ?Entre autres activités, nous participons de fait au développement de l’apiculture et ce par la distribution de ruches au profit des citoyens usagers de la forêt. De même que nous encourageons la mise en valeur des terres par le débrousaillement et le désouchage. Nous distribuons des plants fruitiers et fourrages, nous ouvrons des pistes à des fins de désenclavement. Nous œuvrons aussi à l’amélioration pastorale et les corrections torrentielles.
Quelles sont les contributions du mouvement associatif local ?Des associations locales à caractère écologique tentent tant bien que mal à œuvrer dans le sens de la sensibilisation de la population quant à la nécessité de préserver le PND contre toute forme d’agression et léguer ce patrimoine aux générations futures. En dépit des incendies et des coupes illicites de bois opérées ici et là par des délinquants, et nonobstant le manque de moyens humains et matériels nécessaires à une politique de protection efficace, il n’en demeure pas moins que pour combler toutes ces surfaces mises à feu, les services du PND ne lésinent pas sur les moyens pour reboiser et reconstituer ces surfaces forestières. D’ailleurs plusieurs opérations de ce genre ont été menées. Il s‘agit de la réhabilitation de la forêt incendiée de Tikjda sur près de 150 hectares de cèdres, ainsi que des travaux sylvicoles de chênaies incendiées sur 130 hectares.
Propos recueillis par M. Ouaneche