Si les auteurs anciens ne nous ont pas laissé grand chose sur la langue berbère et si les inscriptions n’ont pas encore, faute d’être déchiffrée, livré leurs secrets, il est un autre domaine par lequel on peut accéder à la langue berbère : c’est celui de l’onomastique.
L’onomastique est l’étude des noms propres : noms de lieux (toponymie) ou de personnes (anthroponymie).Les Anciens, notamment les Romains, si chiches pour ce qui est des informations linguistiques concernant le Maghreb, nous ont laissés de longues listes de noms de lieux, en précisant le plus souvent les distances qui les séparent les uns des autres. Ces précisions ont d’ailleurs permis d’identifier un grand nombre de noms antiques et d’établir des correspondances avec les dénominations actuelles. S’il y a bien des noms d’origine romaine, la plupart des toponymes présentent des formes berbères que l’on peut reconnaître même quand les mots, adaptés à la prononciation latine, ont subi des déformations.Les mêmes Romains ont noté des noms berbères mais dans ce domaine, ils se sont souvent arrêtés aux personnages connus. Dans ce domaine, il faut plutôt se retourner vers les noms figurant dans les inscriptions libyques. La difficulté avec ces noms est d’établir le vocalisme des mots, l’écriture libyque étant essentiellement consonantique, mais là aussi on peut retrouver, parce que des modèles de dénomination existent, les noms.Les toponymes fournissent des points de repère pour localiser des lieux et les mémoriser et les noms de personnes permettent d’identifier les individus et de les distinguer les uns des autres. Si certains noms semblent être essentiellement des noms propres et ne s’emploient que pour désigner des lieux ou des personnes, l’écrasante majorité d’entre eux recourent au vocabulaire usuel pour désigner ces lieux ou ses personnes, en nommant les caractéristiques que l’on leur attribue, caractéristiques relatives à la forme géographique, à la végétation, à la faune, à la couleur pour le lieu, aux marques distinctives, aux connotations morales, religieuses ou esthétiques pour les noms propres.En 2000 ou 2500 ans, les systèmes de référence des Berbères ont dû changer, au gré des croyances, des religions et des systèmes politiques et sociaux, mais un grand nombre de dénominations sont restées inchangées. Que l’on pense à certains noms de lieu comme Tipaza, Thala, Thabraca ou à des noms de personnes comme MSTN, BGY, attestés aujourd’hui encore sous des formes à peine modifiées: Tipaza, Tala, Tabarca, Amastan, Abeggi… Et même quand on ne parvient pas à trouver aux noms des équivalents modernes, il est souvent possible de distinguer par des marques linguistiques les noms berbères des noms latins et phéniciens.Ainsi, on note, pour les toponymes, l’emploi du préfixe d’état, a/i pour le masculin, t—(t) pour le féminin : ainsi, Azicamium et Telephte, évêché de Numidie, emploi de certainesparticules comme ur / wr / war qui marquent la négation, comme dans Bararus, actuel Rougga.Pour les noms de personnes, on notera l’emploi de modèles de formations proches de modèles actuels; comme le modèle indice de personne + verbe: Yhbdd, à lire y-ebded «il est debout», Yrn, à lire y-erna «il a vaincu», ou alors, à la forme optative, yabded «qu’il soit, qu’il reste debout !» yarna «qu’il vainque !», forme attestée actuellement dans le prénom kabyle bien connu Yidir, à lire (ad) yidir «qu’il vive !»
Que l’on pense à certains noms de lieux comme Tipaza, Thala, Thabraca ou à des noms de personnes comme MSTN, BGY, attestés aujourd’hui encore sous des formes à peine modifiées: Tipaza, Tala, Tabarca, Amastan, Abeggi… Et même quand on ne parvient pas à trouver aux noms des équivalents modernes, il est souvent possible de distinguer par des marques linguistiques les noms berbères des noms latins et phéniciens.
Certains noms, relevés aussi bien sur les stèles libyques que chez les auteurs latins, comportent des terminaisons en (a-)n : Audiliman, Carcasan, Guenfan, Imastan etc. On peut reconnaître dans cette marque le suffixe -an formateur d’adjectifs, si vivants dans des dialectes comme le kabyle ou les parIers du Maroc central : aberkan «noir», azuran «épais», et dans l’anthroponymie : Amezyan, Ameqran etc.On relèvera encore l’emploi du préfixe -ms, parfois identifié en touareg mas «maître, seigneur» mais sans doute, en tout cas dans un certain nombre de cas, affixe de nom d’agent, largement attesté en berbère moderne : en touareg : amesgeres «homme des Kel Geres,en kabyle amesbrid «voyageur» etc.L’analogie des noms et des procédés de formation des noms libyques avec les noms et les procédés actuels montre, non seulement la continuité de l’onomastique libyque dans l’onomastique berbère mais aussi la permanence d’un fonds lexical dans lequel les habitants du Maghreb et du Sahara puisent, depuis plus de deux millénaires, leurs dénominations. En nous appuyant sur ce fonds, nous nous sommes proposés de dresser, du moins une liste de mots sinon un glossaire libyque qui, s’il ne renferme pas les mots usuels comme c’est la fonction d’un gIossaire, présente un vocabulaire diversifié, qui dépasse largement les quelques mots déchiffrés des stèles libyques. Il est vrai que les étymologies établies ne sont pas toujours certaines et que la méthode qui consiste à tirer la signification de la comparaison des formes anciennes et modernes, peut manquer de rigueur mais il faut dire que dans l’état actuel de la recherche, c’est la seule qui permette d’éclairer quelque peut le sens des mots libyques.
Quelques exemples de déchiffrement de noms libyques (lieux et personnes)Pour les noms de lieux :-Bagaï, évêché donatiste, dans les Aures, act. Baghay, à mettre en rapport avec le chaoui: tabegha «ronces, mures sauvages».- Thubunae, act. Tobna en Algérie, à mettre en rapport avec le touareg benew «être de couleur bleu, bleuet»; – Thabrica, act. Tabarka en Tunisie, Baricis, évêché de Numidie, non identifié, à mettre en rapport avec aberkan, aberçen etc.»noir», de ibrik «être, devenir noir»;
Certains noms, relevés aussi bien sur les stèles libyques que chez les auteurs latins, comportent des terminaisons en (a-)n : Audiliman, Carcasan, Guenfan, Imastan etc. On peut reconnaître dans cette marque le suffixe -an formateur d’adjectifs, si vivants dans des dialectes comme le kabyle ou les parlers du Maroc central : aberkan «noir», azuran «épais», et dans l’anthroponymie : Amezyan, Ameqran etc.
– Theudalis, en Tunsie’ nom à rapprocher de Dellys (Algérie), au Moyen âge Tadlest de adles (en kabyle) «diss».-Thamugadi, actuel Timgad (nom presque inchangé), attesté dans la toponymie du Hoggar : Tiggad n teghIemt : «saut de la chamelle» du verbe egged «sauter, descendre d’une monture» dans la toponymie du Hoggar : halte, saut, défilé», en Kabylie : tamgut’ «sommet».-Tasaccora, act Sig (Algérie) à rapprocher de tasekkurt «perdrix» etc.
Pour les noms de personnes :– BGY, inscription antique, à comparer avec le prénom touareg : Ebeggi (To) «chacal mâle» fém. : Tebeggit’ ebeggi en touareg «chacal».- DBR, inscription, à rapprocher du prénom touareg Edebir, fém. Tedbirt, du mot edbir,en touareg «ganga mâle, anciennement : pigeon», ailleurs idbir, itbir «pigeon» fém. tidbirt, titbirt.- DFL, sens probable «qui est blanc, qui est comme neige, qui est pur».- DFLN -n affixe de pluriel ? -an, suffixe adjectiveur : «blanc, pur»? -n, affixe de participe : «étant blanc, pur» ? à rapprocher du mot adfel «neige»-YGDTSN à lire probablement : yegda-tsen «il leur suffit (comme chef, comme maître» à rapprocher du verbe touareg agdu «être suffisant, suffire», ageddi «suffisance» emegdi «Celui qui se suffit à lui même (Dieu)».- YRK, à lire probablement : yarek «il compte sur» à rapprocher du touareg nigérien arek «être prés de», arek «se tourner (vers), compter sur».- YWRZ à lire probablement : yewrez «il a donné en retour» ou, si -w est un indice du passif, «il a été donné en retour» à rapprocher du touareg erez «donner en retour, donner en récompense, remplacer par un don de retour», araz «récompense, don en retour».- MSTN, à lire probablement : amastan «protecteur», am- préfixe de nom d’agent. Mastanabal nom d’un cousin de Jugurtha à lire : amastan (n) baal «celui qui protège (le sanctuaire) de Baal» ou «celui qui est placé sous la protection de Baal»: le même que le touareg qmastan littéralement «le protecteur» etc.
M.A. Haddadou (A suivre)