Un métier de plus en plus féminin

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Dans une société en pleine mutation où le chômage n’épargne personne et où les moyens de subsistance deviennent de plus en plus maigres, nous assistons à l’émergence de professions qui tendent à être exclusivement féminines, telle celle de serveuse de salle, devenue de nos jours très à la mode. En effet, avec la prolifération de salons de thé, de restaurants chics, de pizzerias et autres commerces officiant la nourriture à profusion et à une vitesse vertigineuse, les jeunes filles à la recherche d’un emploi trouvent leur compte dans ces endroits, pour peu qu’elles soient jolies, dynamiques, présentables, etc. Des critères essentiels à leur embauche. Dans une pizzeria située au quartier Meissonnier à Alger-centre, nous avons observé, durant tout le service, le travail quotidien de deux jeunes serveuses, nouvellement recrutées. Hayet, une orpheline de 27 ans, est l’illustration parfaite et vivante de cette profession : jeune, belle et dans le besoin. Interrogée avec la permission de son patron, elle dira : “Je suis contrainte de travailler pour subvenir à mes besoins. Avec mon diplôme en informatique, je n’ai pas réussi à dégoter une place dans une entreprise ou une administration. Ils exigent beaucoup d’expérience. La nature m’a dotée de la beauté et c’est grâce à mon beau physique d’ailleurs que je bosse. Si je n’étais pas jolie et présentable, je serais encore en train de ramer dans des eaux troubles”. “Etre présentable, c’est une qualité sur laquelle les patrons ne badinent pas. Si on n’est pas gâté par Dieu, on n’a aucune chance de se faire embaucher pour ce genre de boulot, à moins d’être pistonnée où être la sœur d’un tel ou un tel !”. Sa copine a 25 printemps, elle s’appelle Nadia. Elle est blonde aux yeux bleus et élancée, ses parents ne lui donnent même pas d’argent de poche. Elle a quitté le lycée, il y a trois ans, et n’a aucune qualification ou diplôme, dit-elle. Elle travaille pour préparer son trousseau de mariée pour ce mois de septembre, a-t-elle encore confié, avant de poursuivre “quand je demande de l’argent à ma mère, elle me répond immédiatement en me disant : “Tu es assez grande pour te trouver un boulot, et quand j’ai vu une annonce dans un journal, dans la rubrique offres d’emploi, j’ai sauté sur l’occasion en me présentant le jour-même, ici dans cette pizzeria. J’ai été recrutée sur le champ, d’autant plus que j’ai déjà bossé dans un restaurant pendant six mois”.

Une journée laborieuse

Nos deux jeunes demoiselles débutent très tôt le matin. Elles arrivent à 6h 30. Le briochard et le pizzaiolo sont là dès 5h et ont d’ores et déjà préparé leurs croissants et pains au chocolat. Hayet et Nadia enfilent leur tablier et préparent, chacune de son côté, le café ainsi que les couverts qu’elles disposent sur les tables agrémentées de fleurs artificielles. Tout est fin prêt pour recevoir, et accueillir les clients qui commencent déjà à affluer dès 7h 00. Un peu plus tard, à l’heure du déjeuner, elles prennent les commandes et s’empressent, sous l’œil attentif et vigilant de leur employeur, de satisfaire une clientèle attirée par l’odeur suave de la pizza. Cette dernière est présentée sous des noms attirants et alléchants telles la végétarienne aux champignons, ou encore la spéciale aux fruits de mer, la plus chère proposée au menu. En plus du service, les deux jeunes filles ont pour mission d’essuyer le sol et de nettoyer les sanitaires et les lavabos.

“Les clients nous draguent souvent”

Ammi Ahmed, leur patron, originaire d’Azeffoun, la soixantaine, en costume noir et cravate assortie, insiste sur l’hygiène : “La serveuse est à l’image de son patron. Si ce dernier est mal rasé, mal habillé, ou exhale une mauvaise odeur, il n’a pas le droit d’exiger de son personnel d’être propre, si lui-même ne remplit pas ces critères”. Les conditions sont strictes, si la serveuse veux conserver sa place, elle doit demeurer aimable et toujours souriante comme une hôtesse de l’air, en dépit des désagréments que peut engendrer ce métier. Si un client lui manifeste un intérêt quelconque, elle a pour obligation de ne pas répondre à ses avances et si par contre, il insiste et devient casse-pied, elle doit s’abstenir de s’énerver et surmonter sa colère, sauf si le client devient grossier. Là, c’est le patron qui intervient quitte à le chasser illico-presto et c’est souvent le cas malheureusement. La blonde s’insurge : “Nous, autres serveuses, nous nous faisons souvent draguer et parfois insulter. Certains clients croient que nous sommes des poupées Barbie mises à leur disposition, alors que nous faisons tout notre possible pour leur offrir un cadre agréable afin qu’ils soient à l’aise devant leur assiette”. L’après-midi est plutôt calme. Certains habitués des lieux sirotent du thé ou un café, d’autres conversent paisiblement en mangeant des tartes aux fruits.

Douze heures pour un salaire de misère

C’est l’heure, et l’occasion pour nos amies de faire une petite pause et se remplir la panse avec une pizza déjà entamée. Un couple s’embrasse au fond de la salle. Nadia les somme d’arrêter. “S’il vous plaît, ici c’est un endroit familial respectable”, leur explique-t-elle. “Ce n’est pas le genre de la maison”. Ils obéissant sans conviction et décident de quitter les lieux. La journée de travail arrive à son terme à 19h 00. Elles se débarrassent de leurs tabliers mais auront auparavant lavé la vaisselle et essuyé le parterre et les lavabos. Harassées, elles auront travaillé douze heures d’affilée pour un salaire mensuel de 6 000,00 DA. Leur métier ne leur offre point de perspectives et encore moins la fortune, un métier certes précaire mais malgré cela, elles gardent l’espoir de le conserver car à leurs yeux, comme toutes leurs semblables disséminées à travers la capitale et les autres villes du pays, l’embauche de nos jours relève de la chimère !

S. K. S.

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