A chacun ses raisons

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On ne peut en savoir plus sur le taux de chômage réel. En tout cas, le constat est fait. De nombreuses entreprises publiques sont fermées, pour ne pas dire qu’il n’en reste presque plus rien. Même la couche dite moyenne est décapitée. Si certains ont perdu leur emploie, ils ne sont pas restés les bras croisés. Mais, ils se débrouillent tant bien que mal. Et, généralement, pour ne pas crier famine, cette frange de la société même lorsqu’elle n’est pas en mesure de travailler, “embrasse” n’importe quel métier pour gagner sa vie. D’ailleurs, ces hommes et femmes savent maintenant qu’il n’ y a pas de sot métier. Ces débrouillards de touts bords et âge, on peut les rencontrer dans nos rues, devant nos écoles et dans les marchés. Tous ces petits vendeurs et autres ne craignent rien. Ils exercent leur “job” en dépit du froid ou de la chaleur.

Toutefois, ces phénomènes sont plus visibles en été. Said, à peine âgé de douze ans, petit mioche à l’image de Gavroche dans les “Misérables” de Victor Hugo, a abandonné très tôt les bancs de l’école. Il s’est lancé dans la vente de galettes maison, que lui prépare sa mère, après la mort de son père dans un accident tragique de la circulation. Depuis quelque temps, un panier en bandoulière, il a élu le bord de la route reliant Draâ Ben-Khedda à Tizi-Ouzou, “J’aurais aimé faire mes études comme les autres. Je n’est pas cette chance”, nous répondra-t-il en lançant un soupir qui en veut dire long. Ajoutant ”Je n’ai pas choisi ce métier, mais je suis dans le besoin. Depuis la disparition de mon papa alors que je n’avais que huit ans, j’ai exercé beaucoup de métiers”. Il nous dit qu’il a même été vendeur de sachets en plastique dans un marché.

“ Maintenant, on n’en vend plus. Les sachets sont donnés gratuitement par les marchands. Il fallait trouver autre chose”. “Parfois je gagne jusqu’à deux cents dinars. Il vaut mieux se sacrifier que de mendier”, enchaînera-t-il tout en nous vendant deux galettes.

Direction: marché vêtements de Draâ Ben-Khedda. A l’entrée, de cet espace informel, on peut rencontrer tous ces jeunes qui sont devenus des marchands de vêtements de toutes marques notamment chinoise. C’est dans ce lieu que nous avons rencontrée de Ammi Mouh, la cinquantaine passée, vendeur du tabac à priser “chemma”. Ce second personnage a perdu son emploi depuis maintenant près de quatre ans par suite de la fermeture de plusieurs ateliers de l’entreprise COTITEX, l’un des fleurons de l’industrie légère algérienne des années 70. “ J’ai commencé à vendre de la chemma depuis près de trois ans. Dites à ceux qui nous gouvernent qu’ils ont échoué dans leur politique. Nous sommes devenus des misérables”, méditera-t-il avant de nous raconter ses petite misères:

” ils ont fermé les usines. Aucune autre alternative. Tous ceux qui ont travaillé avec moi sont au chômage. Je vous assure qu’ils nous ont livrés à tout. Si je me débrouille, cela ne veut pas dire que les autres font quelque chose. Certains se sont même suicidés, c’est malheureux pour eux. Ah! si c’était à refaire…”, se plaindra-t-il en nous montant avec dégoût son sac de chemma rempli à moitié, des cas comme Ammi Mouh, ils sont nombreux. Comble du paradoxe, dans notre petite enquête, nous avons fait aussi connaissance avec deux enfants: Halim et Rachida. C’est en face de la pompe à essence sur l’évitement réalisé ces dernières années qu’ils gagnent leur pain. En dépit des autres revendeurs de poteries, ces deux enfants ne voient aucun inconvénient d’écouler leur marchandise. Halim interviendra le premier:

“ Ce sont des objets fabriqués par ma mère et ma grande sœur. C’est de la vraie poterie. Elle n’a aucune ressemblance avec celle que vous voyez là-bas”, dira ce petit vendeur, une manière pour lui de nous séduire. “Nous vendons ces objets pour aider notre mère. Des fois, nous restons des journées entières sans vendre même pas un plat. La vie est difficile”, raisonnera-t-il comme une grande personne en dépit de son âge. Il ne dépasse pas les quatorze pouces. Bien qu’elle soit un peu discrète, sa sœur intervient “ Je n’ai pas du tout honte d’aider mon frère. On va gagner notre vie ensemble. C’est un plaisir pour moi de compter les quelques dinars que nous avons ramassés durant une journée fatigante”, lancera-t-elle. Certainement, il n’est pas facile de faire comme eux. Souvent en longeant cette grande rivière, on voit une autre catégorie de personnes qui luttent contre les aléas de la vie. De loin, on aperçoit des jeunes munis de pelles et de tamis. “ Sif a yagherval sif”, fredoua l’un d’eux; une façon pour lui de faire entendre ses misères à son compagnon de toujours. Deux jeunes hommes éjectés par le système scolaire depuis des années se partagent la même place. “Nous arrivons à extraire environ trois mètres cubes de sable par jour. Ce n’est pas facile, mais il faut oser”, nous répondra le premier d’entre eux, alors que le deuxième était sur le qui-vive. Il regarde loin l’oreille bien tendue. Il n’écoute pas le ronronnement d’un camion auquel il vendra son sable tamisé, mais il épie beaucoup plus les gendarmes qui passeraient pour inspecter les lieux. Car, faudra-t-il le souligner, l’extraction du sable est réprimée par la loi. Nos deux interlocuteurs ne diront rien ni au sujet du prix ni au sujet de ce qu’ils endurent. Ce sont des “clandestins”. Retour à la ville ses Genêts. Comme il faisait extrêmement chaud, nous entrons dans un café au centre-ville. Nous nous approchons du serveur. Si pour la plupart des cas évoqués, on n’a rien entendu sur l’exploitation, dans certains cas, cette dernière est devenue une pratique à laquelle s’adonnent les patrons de bars, de cafés et autres “ quatre saisons”.

Tout comme les autres, Boualem n’a pas eu cette chance de poursuivre ces études. Du coup, il a tenté son aventure comme garçon de café. “ J’ai fait le tour de tous les bars, de tous les cafés et de tous les restaurants de la ville pour décrocher “une place” dans ce café, je ne suis pas bien payé, mais il fallait accepter. En fait, on n’a pas le choix quand on n’a pas de diplôme. Il vaut mieux ça que rien. Et puis, je travaille sans assurance”, nous confiera-t-il sous le sceau de l’anonymat de peur d’être viré par son patron, “Avec un salaire de misère, on travaille jusqu’à quatorze heurses par jour sans rien dire. Sinon, vous connaissez la suite”, finira-t-il par dire. Ceci pour le travail des enfants. D’autres enrolent leurs enfants dans des travaux plus pénibles. C’est le cas de Ammi Rezki et de ses deux enfants âgés respectivement de seize et dix-sept ans, cette famille a choisi la carrière de leur village pour casser la pierre et la vendre depuis près d’un quart d’un quart de siècle, Ammi Rezki a peut être détruit des monticules de pierre taillée. Aujourd’hui, on peut voir son produit décorer toutes ces belles villas de son village. C’est sur leur lieu de travail que nous les avons rencontrés, “ Je ne peux vous donner exactement le nombre de rochers que j’ai cassés, “ nous signalera-t-il, alors que ses deux enfants munis de deux petites massues étaient chargés de tailler la pierre en lui donnant diverses formes. Midi, le soleil est au Zénith- 42° à l’ombre en ce jeudi, 2 août. Notre regard est fixé sur un groupe de jeunes au niveau du rond -point de la ville. Ces jeunes attendaient quelqu’un qui viendrait trouver des manœuvres. Ils déchargeront des camions de ciment destinés aux diverses constructions privées, Mouloud n’a pas hésité de nous relater une journée de travail,

“ Mes collègues et moi travaillons ensemblenons, pour décharger dix tonnes de ciment nous prenons deux heures de temps. On se fait beaucoup d’argent, mais impossible de mettre un sou de côté,. La nuit on dort à la belle étoile on consommer de l’alcool en s’adonnant à d’autres vices c’est devenu pour nous une habitude. Notre avenir est incertain” conclura-t-il.

A longueur de journée, ces manœuvres occasionnels sont pliés sous le poids de sacs de tous genres. Certes, chacune de ces personnes rencontrées comme on peut évoquer des milliers d’exemples ont des raisons spécifiques, il est tout de même bon de dire qu’en définitive les alternatives pour venir à bout de ces petites misères ne sont pas assez claires dans un pays où le partage équitable de la rente nationale n’est et ne sera qu’un vain mot. Aujourd’hui, devenir vendeur de galettes, vendeur de cigarettes, vendeur de tabac à chiquer, tamiseur de sable ou encore manœuvre, fait partie de tous ces métiers de misère dans un pays où il est impossible de connaître le taux de la population active.

Amar Ouramdane

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