La dignité, l’indécence et la supercherie

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Faute d’une vraie politique de solidarité nationale, l’Etat organise l’aumône. L’avantage de l’aumône d’Etat est dans ce que l’on peut en tirer tout de suite, sans avoir à attendre le Jugement dernier. Aussi on peut donner ce qu’ on veut, à qui on veut, quand on veut. A voir les trésors de généreuse compassion déployée devant les caméras par Djamel Ould Abbès et d’autres autorités intermédiaires, on en vient à presque oublier que c’est dans le Trésor public qu’on puise pour distribuer les sandwitches du ramadhan. On pensait que c’est la faim éprouvée en jeûnant pendant un mois qui fait penser à ceux qui n’ont rien à se mettre sous la dent l’année durant, on découvre que c’est la consistance de nos tables du soir qui incite à donner à manger aux pauvres pendant trente jours. On pensait que la dignité humaine pouvait être sauvegardée par un travail, un toit et un minimum de ressource, on nous apprend qu’elle est dans la discrétion de ceux qui préfèrent le couffin à provisions à la table honteuse exposée à tous les zooms. On croyait l’indécence dans la prospérité outrageusement étalée, on la surprend dans la misère mal cachée. Un “nécessiteux” digne doit dissimuler sa pauvreté parce qu’en la montrant, cela pourrait vouloir dire qu’il voudrait que ça change autrement que par la soupe populaire. Un “nécessiteux” digne doit se taire parce que s’il parle, il pourrait dire des choses. Dire “comment il en est arrivé là” ou qu’il a quand même un salaire, qui ne lui assure pas un minimum. Il faut cacher les nouveaux pauvres et pousser vers les caméras l’armée de marginaux qui, n’ayant plus de soucis de “dignité” bouffent et remercient sous les feux de la rampe, avant de rejoindre les porte cochèresn là où personne ne viendra déranger la factice quiétude que procure le litron de rouge ou la définitive délivrance qu’offre la résignation. Moins désespérés, d’autres qui ont partagé avec eux la table ou la queue du panier s’accrocheront. Qu’ils trouvent des raisons d’espérer dans le regard gêné de l’aîné qui mange en silence en faisant semblant de ne pas savoir “d’où ça provient” ou dans quelque idée mille fois ruminée dans la glaciale solitude d’une piaule miteuse. A ceux-là la “chorba pour tous” peut servir. Servir à tenter le diable pour ne plus avoir à creuser les masses adipeuses qui viennent plastronner face à leur désarroi. Servir à se rendre compte que leur précarité n’est pas un destin ni la médiocrité aux affaires une fatalité : Ramadhan et ce qu’il charrie comme supercheries sont finalement capables d’utilité. A défaut d’être sacré pour tout le monde dans ce qu’il suggère comme sincère spiritualité, il peut consacrer les sentiers qui mènent vers le bout du tunnel pour quelques-uns. Bien sûr il fera toujours sourire de sa prétention à nous rappeler la faim des autres alors qu’il ne nous fait que saliver par la perspective du Tadjine. Quand l’ultime adhan retentira des minarets, l’Aïd fera office de coup de gârce aux illusions de solidarité et à la portée de l’aumône d’Etat et l’année prochaine, nous recommencerons.

S. L.

P. – S. : Aucun cyber, ni taxiphone n’était ouvert au moment où je voulais envoyer cet écrit vers ma rédaction pour cause de prière du vendredi. Ce n’est pas un interdit du ramadhan mais plus grave, une loi tacite valable toute l’année. Pire, elle est respectée contrairement aux lois de la République

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