Le bélier de toutes les convoitises

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Traditionnellement les Kabyles marient leurs enfants en fonction de leur venue au monde. L’aîné se marie en premier et le cadet en dernier. Mais il arrive parfois que cet ordre soit inversé, et c’est le cas dans ce conte.Il y a avait autrefois un homme qui avait deux garçons. Ils étaient tellement dissemblables au point de vue caractère, qu’on ne dirait pas qu’ils sont frères. L’aîné semble atteint d’une paresse congénitale, tandis que le puîné était animé d’un dynamisme sans faille. Arrivés à l’âge adulte, les deux garçons se concertent et, un jour, d’un commun accord, ils prennent leur courage à deux mains et vont voir leur père pour lui demander de les marier. Le père n’est pas contre l’idée, mais il ne veut pas marier l’aîné en premier, comme cela doit se faire. Mais comment faire pour contourner l’écueil ? Il réfléchit un instant et dit :“Our jouajagh la ioumoqranla iout’out’h’anAla ouin ouiked’ saîgh laman” (Je ne marierai ni l’aîné, ni le puîné si je n’ai la preuve de sa maturité et de la confiance que je peux placer en lui). Afin de tester le degré de confiance qu’il peut leur accorder, le lendemain matin comme c’était jour de marché, le père achète un bélier (ik’erri). De retour à la maison, il appelle ses enfants et leurs dit : “Je vous ai acheté un bélier, à vous de la garder. Faites attention aux voleurs ! Ne dites à personne où on le fait dormir la nuit ! Prenez soin de lui !”L’aîné, comme à l’accoutumée tire son épingle du jeu, en ordonnant à son frère cadet d’aller faire paître le bélier.Le cadet s’exécute. Dès qu’il est aux champs, il voit s’approcher de lui des individus à la mine patibulaire. Devinant que ce sont des voleurs, il serre contre lui le bélier.Dès qu’ils sont à sa hauteur ils lui disent ;“Ghorek’ ik’errie ifazenAnda ig gan ammi-s n meddenAkken our thets ak’ren imchoumemTu as un très beau bélier.Où lui fais-tu passer ses nuits, pour qu’il ne te soit pas volé ?).- C’est un secret, que mon père m’a recommandé de ne pas dévoiler”.En fin de journée le cadet ramène le bélier chez lui. Le lendemain, au moment d’aller faire paître le bélier, malgré que c’était normalement le tour de l’aîné, il refuse. Cynique, il dit même à son frère :“Ek’si th k’etchiniMa lak’ra ith youghenD’ k’etch ay khelçen !”(Va le garder s’il lui arrive quelque chose de fâcheux, tu seras seul à payer !)Pendant plusieurs jours ce fut le cadet qui s’occupe du bélier, malgré qu’il ne lui est rien arrivé, l’aîné continue à se méfier. Un jour, il l’accompagne aux champs, mais ne veut prendre aucune responsabilité quant à la garde du bélier.Comme à l’accoutumée, les voleurs intéressés par le beau bélier viennent le voir pour la énième fois, pour tenter de le voler. Pour l’amadouer, ils lui offrent des figues fraîches (thivakhsissin).Il refuse. C’est alors que l’aîné se précipite et prend à partie le cadet et ingurgite les figues. Voyant le profit qu’ils peuvent tirer de l’aîné, ils l’entourent et le couvrent d’éloges. Dans la foulée, ils lui posent des questions et entre celle-là : Anda ith s g’anem ik’erri ? Où faites-vous dormir ce bélier ?)- On le fait dormir dans l’écurie (D’eg daynine)”.Nantis du renseignement désiré, les voleurs au nombre de dix se font des clins d’œil complices. Ils ne leur reste plus qu’à agir.Le cadet est furieux contre son frère, il ne peut rien lui faire, mais promet de tout dire à son père. Dès qu’il rentre à la maison, il le met au courant. Pour ne pas perdre son bélier, le père décide de l’égorger.Ce soir-là, ils font bombance avec les abats et la tête du bélier (Bouzelouf). Quant à la viande pour la conserver, ils la salent et la mettent dans une grande jarre. (Achvaïlou).Les voleurs s’étaient rassemblés devant la demeure du propriétaire du bélier. Ils attendent qu’il n’y ait plus de lumière pour opérer. (Ad’ fethk’en akham). (A l’époque les gens habitaient dans des huttes en torchis. La surface vitale était partagé en deux, le haut pour les humains et le bas pour les animaux). Les voleurs font un trou en agrandissant “Thazoulighthe” (trou d’évacuation des eaux qui se trouve dans “Adaynine” (écurie familiale) et entrent. Le premier voleur qui s’introduit à l’intérieur cherche dans le noir le bélier. Il ne le trouve pas. Il lance un juron : Inâl… Inâl…

Benrejdal Lounes (A Suivre)

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