Novembre de toutes les révolutions

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Si cette date est souvent assimilée aux commémorations folkloriques et à la glorification des parcours des chahids (chose qui devrait être faite plus souvent d’ailleurs) elle s’impose comme un véritable tournant dans l’histoire de l’Algérie contemporaine. Un événement aussi important, aussi décisif ne peut se contenter de festivités commémoratives que tout le monde aura oublié le lendemain.

Il doit être raconté, expliqué et pourquoi pas, justifié dans certains de ses aspects pour que la génération qui n’a jamais connu la guerre, la nôtre, puisse comprendre et saisir tous les aspects de cette révolution, l’une des plus importantes du 20e siècle. Pour cela, nous avons essayé de reconstituer tous les faits et les évènements qui ont précédé la proclamation de la guerre et faire une synthèse des motivation et des objectifs des hommes qui ont décidé de prendre les armes contre l’occupant.

De fait, nous avons fait appel à un homme qui à vécu la chose depuis sa genèse et qui a côtoyé les plus grands noms de la Révolution de 54.

Il s’agit de Dris Amar Akli qui, malgré l’âge et les déboires avec sa santé, s’est fait coopératif et explicite pendant les longues heures d’entrevue que nous avons eu avec lui. Cet homme, aujourd’hui vieillissant et boiteux, a gravi tous les échelons politiques du MTLD, jusqu’à devenir, aux côtés de Krim Belkacem, Ouamarane, Zaâmoum et les autres, l’un des principaux cadres du parti messaliste en Kabylie. En 1955, il a été même nommé pour seconder Abane Ramdane dans la zone autonome d’Alger. Pour Ammi Amar, à la mémoire devenue faillible mais au verbe précis et tranchant, on ne peut comprendre cette guerre, si l’on ne s’intéresse pas tout d’abord aux faits, notamment politiques, qui l’ont précédé. Son sens aigu des précisions et son incroyable talent de narrateur nous ont permis de remonter l’histoire jusqu’en 1925, date de création de l’Etoile nord-africain de Messali L’Hadj.

Le PPA, père de la Révolution ?

Le Parti du peuple algérien (PPA) est le descendant direct du fameux ENA.

D’ailleurs, il n’y a que l’appellation qui a changé dans ce parti toujours présidé par Messali L’Hadj et dont l’idéologie pouvait être calquée sur son ancêtre.

Créé le 11 mars 1937 en France, ce parti avait tellement gagné en ampleur (en Kabylie où ailleurs) qu’il a été interdit de toute activité dès les mois qui ont suivi. Ses militants, portés par des idées politiquement innovatrices ont refusé de jeter l’éponge et ont continué d’activer dans la clandestinité, et ce, même après l’arrestation, en 1939, de Messali et son exil forcé vers le Congo Brazaville. Les choses demeureront ainsi jusqu’aux évènements du 8 Mai 1945 et les massacres perpétrés contre les populations algériennes. L’occupant, dans un souci d’atténuer la pression exercée sur lui, accepte de desserrer, timidement, l’étan sur les partis politiques algériens. C’est comme cela que le MTLD naquit sur les cendres du PPA en 1946, mais avec une différence de taille.

Le nouveau parti de Messali était reconnu par la France et pouvait activer en toute légalité. Le champ politiques algérien sera, lors de cette période, très diversifié, mais les principaux pôles étaient représentés par l’UDMA, les Ulémas, le parti communiste et le MTLD. La tentative de créer une alliance entre ces quatre mouvances s’est heurtée, en 1951, aux propositions, jugées radicales du MTLD qui, à l’époque déjà voulait créer un parti d’union national qu’on appellerait le… FLN.

Mais les aspirations, très osées, du MTLD seront freinées dès 1952 avec, tout d’abord, l’arrestation de Messali à son retour de La Mecque pour être gardé en résidence surveillée à Niort, et puis, la profonde cission interne qui l’a secoué en 1953, juste après le congrès du parti. Un congrès, tenu les 4, 5 et 6 avril 1953 à Alger qui a pourtant regroupé 120 délégués (dont 11 de la Kabylie) et qui a entériné le principe de désigner 25 membres au comité national et attendre que la liste soit n’approuvée par Messali L’Hadj depuis sa résidence surveillée. C’est notre interlocuteur, Da Amar Dris qui conduisait la délégation de Kabylie (le chef de wilaya, Alliane Amar, était en prison) lors de ce congrès, et il se souvient que des personnalités historiques tels Didouche Mourad, Ben M’hidi, Ben Boulaïd, etc ; avaient pris part aux travaux. Après cela, se souvient Da Amar, le MTLD fût divisé en Messalistes et Centralistes : Les va-t-en guerre et les modérés.

En mars 1945, à l’anniversaire de la création du PPA, les militants MTLD de Tizi Ouzou se réunissent à Bétrouna et décident de rester neutres (momentanément, du moins) par rapport aux deux protagonistes dont les luttes intestines avaient déchiré le parti.

Au sortir de cette réunion, les conclavistes avaient décidé d’entériner une directive très claire : Ne pas se positionner politiquement jusqu’au prochain congrès du parti et l’aile qui optera pour la lutte armée sera suivie par Tizi Ouzou. Malheureusement, les choses ne se passeront pas ainsi : Dris Amar Akli, notre interlocuteur, sera arrêté quelques jours après.

A l’époque, il était chef de daïra de Tizi Ouzou. Ses compagnons de même grade, Krim, Baâbouche et Si Moh Touil avaient fini par rallier l’aile des Messalistes. Dans la confusion générale, un homme décide de prendre les choses en main pour arrêter la dérive du parti et sauver ses principes, dont celui de la lutte armée, des querelles partisanes. En mai 1954, Mohamed Boudiaf décide de créer le Comité révolutionnaire d’union et d’action (CRUA), plus connu sous l’appellation du “groupe des 22”. Tout le monde est pris de court. Les plus convaincus ont décidé de marcher. Un grand pas vers la Révolution venait d’être franchi.

Le FLN comme seul interlocuteur

A mieux regarder dans cette succession d’événements, il est quand même troublant de constater que le FLN, un parti qui avait à charge de mener et de parler au nom de l’une des plus grandes révolutions du siècle, fût crée quelques mois seulement avant le 1er-Novembre 1945.

Autre élément, tout aussi troublant, et même si les velléités révolutionnaires étaient bien présentes dans les esprits des Algériens, il aura fallu qu’un groupe de 22 hommes passent à l’action pour que tout le monde leur emboîtent le pas et se rallient à leur option. Lorsqu’ils ont entamé les démarches d’armement et d’organisation militaires Krim Belkacem et Ouamrane seront très déçus (pour ne pas dire trahis) par Moulaye Merbah à Alger. Ils décident donc de se tourner vers le CRVA, où les choses avancent plus sérieusement. Lors d’une réunion à Belouizdad, septembre 1954, les 22 et leurs alliés décident d’entamer la lutte armée le 11 novembre. Une date qui sera finalement revue parce que considérée comme échéance trop éloignée. C’est comme cela que la date du 1er-Novembre avait été choisie. Entre-temps, les régions des Aurès, de l’Oranie, de Constantine, de l’Algérois avaient été confiées à Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Didouche, Bitat et Krim Belkacem. La proclamation du 1er-Novembre fût rédigée à Ighil Imoula. C’était le premier document officiel de la Révolution ayant comme en tête FLN-ALN.

Ahmed Benabi

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