Quel dessein pour l’Algérie ?

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Pour la Kabylie, ce scrutin a la particularité de se tenir deux ans, presque jour pour jour, après les élections partielles du 25 novembre 2005, procédure d’exception générée par le caractère plus que controversé des élections locales de 2002 qui se sont déroulées dans un climat de tension et d’émeutes qui avaient sérieusement perturbé les opérations de vote en pleine révolte de la jeunesse kabyle.

Ce scrutin a porté à la tête des communes des maires avec des taux de participation ridicules.

Dix-sept ans après les premières élections locales pluralistes de 1990, qu’y a t-il de fondamentalement changé dans la gestion de la cité et de la prise en charge des affaires publiques ? Le pluralisme politique formel aura-t-il suffi à insuffler un nouvel esprit dans la conduite des affaires de la vie publique liée à la gestion de l’espace et des infrastructures, à la gestion de proximité supposant participation démocratique des citoyens et à la promotion d’un cadre de vie où le milieu et les ressources seraient rationnellement managés pour le bien de l’individu et de la communauté ? Entre les beaux idéaux des deux Constitutions de 1989 et 1996 et les pratiques réelles de l’administration et des élus, il y a un fossé béant fait d’inculture, d’un déficit de maturité des organisations de la société civile, de rente, de climat délétère des affaires interlopes, d’incompétence et de navigation à vue.

À tous les niveaux de responsabilité, les déficits accumulés en matière de mérite, de compétence managériale et de sens de la prospective se sont ligués dans une fatale conjuration pour freiner les élans primesautiers de la jeunesse algérienne tendus vers une vie plus décente dans un pays qui ne sait plus compter ses recettes qu’en milliards de dollars.

Le clientélisme rentier comme seule « Constitution »

Le contrôle de la nébuleuse d’opposition et l’élimination de tout cadre d’expression démocratique (associatif, syndical, politique,…) n’ont été rendus possibles que par la gestion clientéliste de la rente pétrolière. Le pouvoir du parti unique avait entretenu des relais dans la société de façon à absorber toute forme d’opposition et d’organisation autonome de la société. Néanmoins, à partir de 1986, le prix du baril de pétrole- unique source de recettes du pays- commençait à dégringoler.

Du même coup, les relais et clientèles du pouvoir voyaient leur influence régresser et leurs privilèges chanceler. Le doute gagnait de plus en plus les hautes sphères du pouvoir. On en arriva alors à porter atteinte au plus symbolique « présent » par lequel les autorités berçaient le rêve d’exil de la jeunesse algérienne : l’allocation touristique.

Les effets de la crise- manipulés par groupes occultes de la nomenklatura- ne tardèrent pas à se manifester dans la rue. Ce fut alors la grande explosion d’octobre 1988 lors de laquelle un millier de jeunes algériens furent tués par l’armée. La révolte d’octobre 1988 consacra la « faillite sanglante » du régime, comme le désigna à l’époque l’hebdomadaire parisien « L’Express », tandis qu’un ambassadeur algérien, qui deviendra quelques mois plus tard ministre, parlait de « chahut de gamins qui a dérapé ».

La centralisation à outrance de l’État algérien, outre qu’elle se trouve être un héritage colonial, trouve ses défenseurs zélés parmi les sphères décisionnelles entendu qu’elle est conçue comme un instrument de gestion de la rente et de la société. L’enjeu de pouvoir que représente la centralisation est d’autant plus grand que le processus de la rente énergétique commençait à s’installer durablement dès le début des années 70.

Dans la foulée de ce qui était considéré comme une économie « socialiste », l’État était devenu un makhzen distributeur de rentes et de privilèges, créant ainsi une clientèle en ville et en province capable de « pacifier » le Bled Essiba (pays de l’insoumission et de la rébellion selon le jargon khaldounien) et de la ramener dans son giron par des actes d’allégeance au profit du pouvoir central.

Ce consensus rentier, géré au jour le jour par une caste se réclamant du parti unique, a fini par vider les énergies créatrices du pays de leur substance en subventionnant la consommation via l’importation au détriment de l’investissement et de la production. Ces errements, qui vont à contre-sens de la logique économique vont connaître leurs limites dans l’impasse d’octobre 1988.

Les travers les plus visibles de la centralisation du pays se cristallisent dans la planification uniformisante et standardisés (plans quadriennaux et quinquennaux) ignorant les diversités naturelles, humaines et sociologique de l’Algérie. Le concept d’ « équilibre régional » qui était alors en vogue, non seulement il n’avait pas de prolongement sur le terrain, mais, même du point de vue conceptuel, il se trouve dépassé par les notions d’aménagement scientifique du territoire basé sur des unités écologiques homogènes et des groupements de régions répondant à des critères géographiques et stratégiques précis.

De même, cet état de fait est soutenu par le processus de prise de décision qui répond à une logique pyramidale descendante, allant du ministère jusqu’aux entités minimales de gestion, à savoir les communes. Une hiérarchie infaillible est ainsi instaurée sans aucune intermédiation autonome à même de faire valoir les spécificités régionales en matière de développement ou d’administration.

La planification économique et la centralisation administrative étaient d’une telle raideur et d’une telle rigidité qu’elles ont tenté d’annihiler toute diversité naturelle ou humaine des territoires composant la république. L’établissement des sociétés nationales obéissait au même schéma uniforme qui faisait irradier leurs directions générales sur l’ensemble du territoire national.

Presque aucun secteur de la vie nationale n’a échappé à l’absurdité d’une morbide hypercentralisation. Le plus grand mal qui en a résulté demeure sans doute cette mentalité administrative assiégée, qui sent la menace dès qu’il est question de lui grignoter ce qui pompeusement est appelé « prérogatives », sorte de siège inamovible qui garantirait rente et confort permanents. Mais, le résultat des courses est qu’un pays entier se trouve pris en otage en matière d’harmonie de gestion et d’exploitation rationnelle de ses ressources.

Le purgatoire

Les élections communales de 1990- boycottées par le FFS- ont confirmé les appréhensions de certains analystes quant au danger intégriste qui planait sur l’ « ouverture démocratique ». Hormis la Kabylie, majoritairement acquise au RCD, la plupart des autres communes algériennes tombèrent entre les mains du FIS. C’est à partir de ces cellules de base de la vie publique que ce parti préparera patiemment les élections législatives du 26 décembre 1991 et les dérives qui allaient en résulter.

Le mouvement de la désobéissance civile enclenché par le FIS en juin 1991 (grève politique des municipalités relevant de son administration et rassemblements sur les places publiques) pour hâter la tenue des élections législatives valut au pays les premiers couacs de l’ère pluraliste (état de siège décrété par Chadli le 4 juin) et aux principaux instigateurs de cette action l’emprisonnement.

Les élections législatives sont prévues pour le 26 décembre et le FIS, étêté mais entêté, se lancera dans la campagne électorale sous la conduite d’Abdelkader Hachani. Quelques semaines avant le rendez-vous électoral, la caserne de Guemmar, dans la wilaya d’El Oued, fut attaquée par un groupe terroriste, opération qui se soldera par des morts et des blessés.

Le premier tour des législatives donne déjà une majorité fort confortable au FIS qui, en se renforçant des nouveaux sièges pour lesquels il était en ballottage, pouvait donner à ce parti le pouvoir de changer la constitution et d’installer le pays dans l’inconnu.

C’est ainsi que le cours des événements et le sens de l’histoire se sont accélérés d’une manière irrésistible : des partis républicains, des personnalités du monde de la culture, de la science et de l’administration, et surtout l’armée, ont décidé de faire barrage à la plus grande hypothèque qui ait pu peser sur l’Algérie en tant que nation et société historiquement constituée.

Le second tour des élections fut annulé et le président Chadli contraint à la démission. Un Haut Comité d’État, sorte de gouvernement de salut public, présidé, par Mohamed Boudiaf, un ancien révolutionnaire en exil, prit sur lui de remettre de l’ordre dans la maison Algérie en commençant par dissoudre le FIS dont l’action subversive s’était déjà illustrée par quelques actions d’éclat. Réforme de l’État, lutte contre la corruption, réhabilitation de l’école républicaine et autres projets portés par Boudiaf destinés à la modernisation du pays ont rencontré un engouement inouï des populations et une résistance farouche des secteurs de la mafia et de la rente. Moins de six mois après son installation, le président du HCE sera assassiné le 29 juin 1992, par un de ses gardes de corps au cours d’une visite à Annaba.

L’histoire s’accélère encore davantage sous la grisaille du ciel d’Algérie au point que les islamistes montèrent en cohortes au maquis pour faire subir aux simples citoyens, policiers, militaires, fonctionnaires, enseignants et intellectuels les atrocités les plus invraisemblables que l’histoire humaine ait enregistrées. Le bilan d’une dizaine d’années de terrorisme islamiste- auquel s’est greffé le rééchelonnement de la dette ayant entraîné l’application du Plan d’ajustement structurel (PAS) dicté par le FMI- a saigné à blanc la société algérienne et lui a fait perdre ses repères sociaux, culturels et politiques.

Les dizaines de milliers de morts, les blessées, les traumatisés, les millions de personnes déplacées pèsent encore d’une façon décisive sur l’Algérie de 2007. Même si les différents mécanismes législatifs mis en place (loi sur la « Rahma » en 1995, loi sur la Concorde civile en 1999 et la Charte pour la paix et la réconciliation nationale votée en septembre 2005) pour prôner la clémence de l’État à l’égard des terroristes qui cesseraient leurs activités criminelles ont quelque peu aidé au retour relatif de la paix, il n’en demeure pas moins que c’est l’action de l’Armée Nationale Populaire qui a réellement terrassé la bête immonde. Une victoire militaire que les démocrates et les républicains d’Algérie ont pour ambition de prolonger par une victoire idéologique et culturelle en soutenant la modernisation de l’école, de l’administration, de la justice et du code de la famille tout en travaillant à sortir l’économie algérienne de sa nature rentière qui avait permis l’installation des réseaux de corruption et la paupérisation d’un peuple dans l’une des contrées les plus potentiellement prédisposées à accéder au rang de pays riche.

Au cœur de la gestion des territoires

Dans les pays développés, la gestion des communes est en train de prendre de plus en plus les aspects de la gestion d’une « petite république ». Chez nous, le Code communal, au vu de l’évolution des réalités économiques, culturelles et sociales du pays, est frappé d’obsolescence. Ould Kablia, ministre délégué aux Collectivités locales le reconnaît et le ministère de l’Intérieur a confectionné un nouvel avant-projet qui sommeille depuis des années dans les tiroirs. Il sera débattu au Parlement, en même temps que le Code de la wilaya, avant son adoption finale. La nouveauté, d’après Ould Kablia, c’est l’approche d’une « démocratie participative » qu’il convient d’asseoir dans les futures assemblées : les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles participeraint aux décisions des exécutifs communaux relatives à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la distribution de l’eau, de l’assainissement,…etc.

Le projet de Code communal comporte aussi une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer de nouvelles prérogatives tels que les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché, centre commercial, abattoir,…). Comme, il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que, contrairement à l’élu, celui-là signifie la pérennité et la permanence de l’institution.

Les déceptions et les impasses qu’ont eu à vivre les citoyens et les élus dans la gestion de leur quotidienneté appellent nécessairement d’autres modes de réflexion censés apporter un tant soit peu des réponses à la mesure des difficultés et des défis qui se mettent au travers de la gestion des territoires et des structures. C’est apparemment à la périphérie de l’État que la volonté de décentralisation a quelque chance de percer et de donner l’exemple à suivre.

C’est en tout cas l’impression qui se dégage du regroupement de huit communes de la Kabylie maritime dans une « Charte intercommunale » qui se propose de mobiliser les potentialités de chaque entité administrative pour le bien de toute la communauté. D’abord, à problèmes communs, solutions communes. Ensuite, les atouts et les contraintes des différentes municipalités sont appelées à jouer les effets compensatoires dans une logique de gestion du territoire et de mobilisation des ressources.

À cette échelle de la gestion de la cité, aucune décision ne peut faire l’impasse d’une large concertation avec la société civile (associations, syndicats, clubs,…). D’où l’ébauche d’une démocratie de proximité dont notre société a tant besoin. Ayant visé trop haut et s’étant machiavéliquement accommodé d’un jeu d’appareils au détriment de la société, le processus démocratique enclenché en 1989 n’avait visiblement pas pour vocation de toucher le citoyen dans sa quotidienneté la plus terre à terre. La preuve, beaucoup de textes de loi ont changé depuis cette date, depuis la vignette automobile jusqu’à la Constitution en passant par les holdings et les participations de l’État, mais les codes de la commune et de la wilaya sont devenus cette Arlésienne dont on parle souvent mais que l’on ne voit jamais.

N’ayant pas attendu les nouveaux codes, les édiles des communes qui ont souscrit aux clauses de la Charte intercommunale montrent par leur initiative que l’organisation du pays (territoire et institutions) a atteint ses limites. Le jacobinisme, doublé de l’esprit de la rente, a fait d’immenses dégâts moraux, culturels, écologiques et économiques.

Au moment où la population, les organisations de la société civile et les opérateurs économiques misent sur une décentralisation accrue des structures de l’État pour libérer les initiatives locales, instaurer un équilibre régional en matière de développement économique et harmoniser la gestion des territoires, les positions au sommet de la hiérarchie gouvernementale ne plaident apparemment pas pour une telle vision présentée, un certain moment, comme la solution idéale pour une gestion rationnelle des ressources et pour une véritable intégration nationale basée sur les spécificités régionales et la complémentarité dans l’ensemble national.

Pourtant, suite à l’impasse historique du modèle jacobin et à une demande citoyenne exprimée parfois dans la violence, des lueurs d’espoir commençaient à poindre lorsque certains programmes de développement ont été confiés intégralement aux wilayas pour leur gestion.

Dans une situation d’hypercentralisation focalisée sur la seule machine administrative de l’État, personne ne trouve son compte si on excepte les réseaux de corruption et de clientélisme qui, partout dans le monde, tirent avantage de la concentration des pouvoirs et de l’opacité de gestion qui lui est intimement liée.

Dans le cas où l’initiative de l’intercommunalité inspire d’autres régions du territoire national, c’est le pays entier qui se retrouvera revigoré par l’action des forces citoyennes. La démocratie n’a sans doute pas une autre vocation que celle d’harmoniser la relation entre la cité et le citoyen et entre le peuple et le gouvernement.

Demeure le vieux dossier de la nouvelle division administrative du pays que les autorités présentent comme étant une nécessité absolue au vu des profondes transformations qu’a connues l’Algérie au cours des dernières années. La maturation du dossier serait bien avancée au département de Zerhouni. Mais, des considérations probablement liées à des rapports de forces politiques au sein des institutions a quelque peu retardé la concrétisation du projet.

Une chose est pourtant sûre : une division administrative rationnelle et harmonieuse et des prérogatives claires et bien managées des cellules de base que sont les municipalités sont à même d’ébaucher les bourgeons d’une démocratie venant de la base et de mieux appréhender les outils et les enjeux du développement

La question cruciale qui demeure sans véritable réponse à la veille des élections locales de ce jeudi, est de savoir comment traduire les bonnes intentions et les saines énergies-qui sont dispersées dans le spectre politique algérien d’aujourd’hui- en actes concrets pour faire de la commune et de la wilaya des noyaux de bonne gouvernance et de démocratie participative. Un grand dessein qui, en dessinant son esquisse, formera le polygone Algérie.

Amar Naït Messaoud

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