Besoin de grand air et vents contraires

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C’est un professeur de l’Université de Montpellier qui nous fit cette observation au cours d’une sortie dans l’arrière-pays rural au pied des Pyrénées :  » Les chaînes de télévision occidentales que vous captez en Algérie vous montrent comment on consomme, mais elles ne vous montrent pas comment on produit « . Cette forme d’aliénation induite, entre autres, par une industrie culturelle allogène laquelle, ne rencontrant en face d’elle aucune espèce de résistance ou de préparation intelligente, nourrit, irrigue et enivre fortement les segments les plus fragiles de la jeunesse algérienne. Aliénation, schizophrénie et complexe de l’étranger sont le moteur psychologique pour des esprits déjà éreintés par le chômage chronique, la bureaucratie et l’école inutile. Il n’y a peut-être pas meilleure manière de ‘’fabriquer’’ des ‘’harragas’’, des pègres et des candidats au suicide. L’actualité de ces dernières semaines est riche en aventures ‘’harragas’’. Plus d’une dizaine de corps ont été rejetés par la mer depuis le début de l’année.

Nouvelle source de main-d’œuvre alimentant en clandestins les fermes d’Andalousie, les marchés d’Ankara et les foires de Kuala Lumpur après les expéditions, mille fois mieux organisées, qui ont envoyé nos jeunes guerroyer contre l’ “ennemi’’ russe en Afghanistan et les “apostats” de Serbie au Kosovo. Si les survivants des contingents de mercenaires sont aujourd’hui parqués à Guantanamo, des centaines de survivants parmi les “harragas” sont amassés dans des cachots parfois clandestins des pays européens. Quant à ceux qui ont disparus dans ces deux catégories d’aventures, les cris pathétiques de leurs familles ne sont pas encore parvenus aux chastes oreilles de nos gouvernants.

Le vocable ‘’harragas’’ est en passe de s’imposer dans le lexique mondial (ou mondialisé) au même titre que la ‘’hogra’’. Mais, cet ‘’algérianisme’’ dit pour nous les déboires, les impasses et la déréliction humaine d’un pays dont le destin aurait pu être mille fois plus florissant si le gouvernail de l’Algérie n’avait pas souffert de tant d’aléas et de forts vents contraires.

Au cours de ces derniers mois, des centaines de jeunes Algériens tentant de fuir le pays sur des embarcations de fortune ou ‘’incrustés’’ dans des navires de commerce ont été interceptés par les garde-côtes de la région Ouest et des wilayas côtières de l’Est. Des dizaines de cadavres ont été rejetés par la mer après avoir longuement flotté comme les bouteilles porteuses de messages désespérés.

Ce qui était, il y a quelques années, de lointains ‘’faits divers’’ africains ou de simples entrefilets de la presse suscitant la compassion des ONG humanitaires, est en train de se banaliser- sous nos yeux hagards et impuissants- sur les côtes d’Algérie. Si le phénomène dans notre pays a d’abord été connu à l’Ouest, même si les statistiques ne sont pas très prolifiques pour l’Est, les réseaux et les filières de Annaba vers la Sicile sont connus des services de sécurité et des garde-côtes. L’ironie de l’histoire a même voulu que les barques accordées par l’État par le moyen de l’ANSEJ à des jeunes pour s’investir dans les métiers de pêche changent de vocation pour transporter des ‘’harragas’’ pour 250 000 DA la place !

L’Algérie, qui était considérée comme zone de transit pour l’immigration clandestine africaine, est en passe de rivaliser avec les pays de l’Afrique subsaharienne en matière d’ “exportation’’ d’une jeunesse poussée dans ses derniers retranchements et mise en situation de loques humaines.

Y a-t-il un signe plus révélateur de l’échec d’une politique censée servir la frange la plus importante de la population algérienne? A l’échelle continentale, les analystes parlent crûment de l’échec des indépendances. Les dégâts causés par la démagogie, l’inculture et l’économie rentière dans ce que le pays compte comme véritable capital en ressources humaines sont peut-être irrémédiables. Ce ne sont évidemment pas les structures et les institutions conçues pour le secteur de la jeunesse qui manquent en Algérie. Néanmoins, plus on fouine dans les arcanes de l’inénarrable bureaucratie, plus on se résout à considérer que ce sont souvent des corps inertes et désincarnés, en tous cas loin de se mettre au diapason d’une jeunesse travaillée au corps par les frustrations devant un monde, lointain et proche à la fois, où la vie grouille de moult exubérances, brille de mille feux et chante joie et alacrité.

Mais, c’est un monde qui ne s’est pas fait ex nihilo. Notre école n’a pas su donner les clefs qui permettent d’accéder au savoir qui a fondé les sociétés occidentales. Que peut valoir un salon du livre dans un pays déserté par les lecteurs ? Aucune force psychologique ou intellectuelle n’a pu pénétrer la majorité de la jeunesse algérienne. Même l’islamisme- hormis les agitations politiciennes brandies par une pseudo-élite ‘’cléricale’’ située à la périphérie du pouvoir et/ou de la rente- ne constitue plus une alternative sérieuse pour une jeunesse happée par un fluet ersatz du monde moderne et plongée dans une véritable déréliction humaine.

Amar Naït Messaoud

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