Regard sur l’organisation d’un village kabyle

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Le mot auto-organisation suscite en général une grande curiosité et des questionnements multiples. A Zouvga, les réponses sont claires. Le village ne répond pas directement aux sentiments subjectifs d’une part et révoltant de l’autre sur l’absence de l’Etat ou à celui du recroquevillement néfaste d’un village sur lui-même.

Mais cela nous permet de mieux comprendre comment la société kabyle d’antan se marie avec l’organisation  » moderne  » sur des thèmes nouveaux. Un rôle moderne a été attribué au fonctionnement séculaire de la société villageoise pour en sortir avec une mosaïque socioculturelle où s’entremêlent traditions purement kabyles et modernité adéquate.

On a beau parlé de la violence symbolique de la société traditionnelle, de la contre-violence innée chez ses citoyens. L’organisation à Zouvga, serait, sans tâtonnement aucun, une transformation d’une dualité en un tremplin moderniste. Elle serait par ailleurs, le reflet du mariage heureux entre l’ancestral et le moderne.

Zouvga évolue sans cesse tout en sauvegardant son identité, son cachet originel, celui d’un vrai village kabyle. Il est resté figé devant les chamboulements de la société et ses variétés d’acculturation que charrie le nouveau mode de vie. Ici l’esprit est contrôlé par la communauté villageoise, ceci aboutit à une paix, au bien-être et aux échanges fructueux.

L’auto-organisation est indissociable de la dureté de la vie, connue, dans ces montagnes. Son absence induit, systématiquement l’absence de l’autre. Elles sont réciproquement liées.

On s’organise parce qu’il y a une nécessité. C’est comme l’enchaînement de la vie et de la mort. C’est pour contrer le second que le premier existe. C’est dans le but d’arriver à l’éradication des obstacles dressés par une nature féroce que l’on s’organise. A cette situation, un Etat absent, s’ajoute à la mêlée. A Zouvga, le défi est relevé par ces braves citoyennes et citoyens.

Comme partout ailleurs, en Kabylie, le même engagement est lancé depuis des lustres.

C’est pour amortir l’imprévisible et l’incontrôlable hostilité de la nature que la société se structure en communauté et ce bien avant la naissance des Etats au sens politico-administratif du terme. La Kabylie garde son tissu social afin de combler tous les vides criants qui l’assiègent de par et d’autres. L’absence d’un Etat soucieux des problèmes de sa communauté creuse d’avantage l’écart, de toute manière, la Kabylie et l’Etat central sont en constante opposition. L’opposition au régime turc, les soulèvements populaires contre le colonialisme français et la situation actuelle, pour ne prendre que ces exemples l’attestent. Au relief montagneux, s’ajoute un environnement politique dur, comme le premier, il met en danger la vie de la communauté, laquelle adopte en toute circonstance périlleuse un rempart de survie. Comme à Zouvga, une organisation basée sur le concours de tout un chacun assure, le moins que l’on puisse dire, la paix à tous. Même les émigrés participent depuis leur exil à l’organisation et aux chantiers.

Les émigrés, le maillon fort de la chaîne

Selon des écrits datant des premières années de la conquête française, le douar d’Illilten, rattaché administrativement à la commune mixte de Djurdjura, compte le plus grand nombre d’émigrés. Faute de terrains agricoles, les At Yellilten ont choisi, simplement, de quitter leurs villages natals à la recherche d’autres cieux plus cléments.

Hier, seulement, ils subvenaient aux maigres besoins de leurs familles, aujourd’hui, encore à ceux de leurs concitoyens restés, fidèles, au village. Les mines d’Alsace et Lorraine se souviennent immanquablement de ces ouvriers kabyles du début du siècle dernier. Aujourd’hui à Illilten, on compte la sixième génération dans l’émigration alors qu’ailleurs, ils atteignent difficilement la deuxième vague d’émigrés. Dans d’autres régions où les gens étaient des agro-pasteurs, l’émigration était ce lointain projet.

A Zouvga, la loi et son respect constituent le socle des soubassements sociologiques de la Kabylie. Etant d’une extrême gravité, l’excommunication est un tabou inviolable.

Appartenir au groupe social est sacré, nul ne doit le souiller ou l’enfreindre.

A Zouvga, l’Etat est hanté par un complexe, celui qui l’empêche de construire un lien d’adaptation avec une société organisée, responsable de toutes les façons, le système est formé, de telle manière, que nul ne peut l’intégrer que s’il le consolide davantage.

Remarquable œuvre de génie est la capacité d’adaptation des villageois, jeunes et vieux compris, qui ne se sentent pas démunis ou désarmés face à l’irruption de la vie dite moderne.

Aucun genre n’est confondu. C’est depuis longtemps que ce microcosme social ait pu profiter, entre autres de la formation des jeunes pour adopter une nouvelle manière d’être et d’agir, mais sans transformer aucune structure sociale. Le lieu des rencontres et des rassemblements porte la nomination de « tajmâat ». Celle-ci est restée telle qu’elle était du temps de nos aïeux, sauf qu’aujourd’hui l’outil informatique a remplacé la mémoire des hommes, les camions poubelles ont pris la place des corbeilles à dos d’ânes ou de mulets. Un signe de civisme qui s’est installé.

Dans une organisation des plus performantes, où le modèle social donne une importance capitale au citoyen, ce dernier est le paradigme de l’équilibre traditionnel, qui maintient par sa volonté, la survie de tous en tant qu’entité cohérente.

Une tajmâat est conçue spécialement pour les femmes. Un espace de rencontres pour la gent féminine calqué sur le modèle viril de l’assemblée traditionnelle kabyle, réservée jadis aux hommes.

Avec des facteurs psychosociologiques et culturels, cet ordre explique cet attachement à la terre- mère, même ingrate, à Zouvga, les citoyens ont fait d’elle un Eden, un havre de paix. Les techniques sont sauvegardées afin d’améliorer les conditions de vie, c’est pour cette raison que on a greffé sur l’ancien système une organisation sociale tellement solide que même les pays développés seraient jaloux d’elle.

Nabila Belbachir et Mohamed Mouloudj

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