Une femme et des misères

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Elle est dans la rue, depuis plus de dix ans. Dans son cas, “être dans la rue”, est un gentil euphémisme qui maquille mal une vie faite d’indigences. Comme un escargot, son toit, elle le traîne d’un quartier à l’autre. Le choix de son campement de fortune est tributaire du temps qu’il fait. En hiver, elle installe sa misère sous les arcades de la ville. Et été, son décor est planté un peu n’importe où au vu et au su de l’indifférence d’une société bessamie pourtant “pieuse” et ostentatoirement porté sur El “Maoudha el Hassana” et autres sentiments altruistes très développés en surface. Mais bon, ne nous qualifie-t-on pas de “quawmoun yaqouloun ma la yafaâloun” (une race qui ne fait pas ce qu’elle dit ?) Elle, cette SDF au féminin, s’approche de la cinquantaine et on ne lui connaît même pas de prénom “Ya El mekhluqa (hé, créature) !”, c’est ainsi que l’interpellent quelques âmes charitables qui, pour avoir bonne conscience et avoir l’impression de dépasser l’ostentatoire pour passer à l’acte, lui glisse de la menu monnaie dans la main. Vulnérable, elle est quasiment engrossée tous les ans par des noctambules. Ces bébés non désirés, ces fruits de viol, quelquefois collectif, sont récupérés par les services de l’action sociale pour devenir, un peu plus tard, Ouled Ddoula. Cela fait longtemps que l’on n’a pas vu la “créature” allaiter un bébé. Elle ne peut sûrement plus en avoir pour cause de ménopause. Au fait, quel “rapport” avait-elle avec tous ses bébés non désirés ? Avait-elle cet instinct maternel, ce sentiment d’affection que toute mère éprouve à l’endroit de ses entrailles ? Si oui, cette SDF de Aïn Bessem subit la déchirure au quotidien. De toute façon, rien ne transparaît à travers le visage toujours invariable et impassible. Elle donne cette impression d’être déconnectée de son environnement. Les rares fois où elle parle, c’est pour demander de l’argent au premier passant. Pour elle, l’argent n’et pas une préoccupation. Elle n’en demande que lorsqu’elle a besoin d’acheter ceci ou cela pour continuer son… ménage. Car, la SDF est une véritable femme d’intérieur. Elle tient son “intérieur” comme personne. La lessive est son hobby préféré. Elle est un véritable modèle de propreté. Ses plats, elle les mijote elle-même. Elle a tout ce qu’il faut pour ce faire. A la voir s’activer autour de sa bonbonne de gaz, on décèle chez elle un plaisir à cuisiner. C’est une véritable fée du logis, un logis qui lui fait défaut.

T.O.A.

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