Les tensions répétitives sur le lait, le surenchérissement du prix des huiles végétales (palme, soja, olive,…) et la cote historique atteinte par la pomme de terre à partir du milieu de l’année 2007 ont donné un franc avant-goût aux Algériens de ce qui les attend pour les mois et probablement les années à venir. En tout cas, les forts dérèglements des prix des produits agricoles- auxquels sont venues s’ajouter depuis quelques mois déjà les flambées des prix touchant les matériaux de construction- ne sont pas sans soulever moult interrogations sur la politique agricole du pays et sur la stratégie de développement rural mise en œuvre par les pouvoirs publics depuis quelques années. La dislocation de l’espace rural, qui compte 13 millions de personnes, avec son lot de misère et d’exode vers les villes, a été au menu d’une réunion spéciale walis-gouvernement présidée par Bouteflika en décembre 2006. Un nouveau projet dénommé ‘’Plan de soutien au renouveau rural’’ (PSSR) y a été présenté par le ministre délégué au Développement rural, Rachid Benaïssa. Parallèlement au soutien apporté à l’agriculture professionnelle suivant les filières (lait, céréales, légumes secs, chambres froides), et ce, à travers le FNDIA (Fonds national du développement et de l’investissement agricoles), les espaces ruraux situés dans les zones de montagne ou dans la steppe font l’objet d’une nouvelle attention des pouvoirs publics. Car, ces espaces se trouvent fragilisés par plusieurs facteurs auxquels échappe l’agriculture professionnelle : enclavement, morcellement de la propriété, érosion des sols, absence de titres de propriété, déficit en infrastructures et équipement publics (écoles, centres de santé et de loisirs, électricité, ouvrages hydrauliques,..etc). En outre, ces zones ont gravement souffert de la période d’insécurité entre 1993 et 2002, ce qui a entraîné un exode forcé de plusieurs milliers d’habitants vers les villes après avoir bradé leurs cheptels et leurs meubles. Face aux nouvelles réalités induites par une mondialisation accélérée des économies et une interdépendance de plus en plus problématique entre les régions et les pays de la planète, les défis qui se posent à l’agriculture algérienne deviennent de plus en plus complexes. Pourtant, des efforts méritoires ont été déployés au cours de ces dernières années en direction du secteur de l’agriculture par les soutiens aux producteurs, la mise à niveau des exploitations agricoles et l’extension de la surface agricole utile (concessions, mise en valeur par l’accession à la propriété foncière,…). Cependant, comme le soulignent les statistiques sanctionnant une réunion du Conseil des ministres en mars 2006, la croissance du secteur agricole n’a progressé, au cours de l’année 2005, que de 1,9%, alors que la croissance globale du PIB a enregistré un bond de 5,1% (grâce aux BTP, hydrocarbure et services). Les exportations hors hydrocarbures ont difficilement atteint 907 millions de dollars, alors que les ambitions du gouvernement depuis 1998 étaient de 2 milliards de dollars. Les spécialistes et les pouvoirs publics ont depuis longtemps identifié certaines contraintes majeures qui obèrent l’essor de l’agriculture algérienne, mais la volonté politique ne semble pas suivre. Le problème du foncier fait que le statut des terres publiques (EAC et EAI) est considéré comme un frein aux investissements d’autant plus que les usufruitiers nourrissent une méfiance légendaire à l’égard de l’administration et, dans certaines régions, se rendent complices de l’avancée du béton sur les terres agricoles. Les dernières mesures prises par le gouvernement au début du mois en cours pour mieux ‘’sécuriser’’ les exploitants agricoles par une nouvelle forme de jouissance-sociétés commerciales avec un bail de 99 ans- induiront certainement une nouvelle vision chez les usufruitiers agricoles de façon à qu’ils s’investissent plus durablement et avec plus de responsabilité dans le travail de l’agriculture. La mauvaise prise en charge des secteurs de la transformation (agroalimentaire) a fait que de la tomate industrielle à El Tarf, des abricots à N’gaous et du lait de vache à Guelma ont été déversés dans les rivières faute d’ateliers de transformation. Demeure aussi l’épineuse question de la formation et de la vulgarisation de nouvelles techniques pour l’amélioration des systèmes de production. Tous ces aléas risquent de remettre en cause les efforts fournis dans les autres segments de ce secteur névralgique de l’économie nationale et, partant, de prolonger notre dépendance et notre insécurité alimentaire.
L’insécurité alimentaire se confirme
Jamais sans doute un concept fort répandu et même ‘’galvaudé’’ pendant les années 70 et 80 du siècle dernier n’a joui d’un usage aussi actualisé. La sécurité alimentaire revient en effet sur la table des politiques, dans les graphes des économistes, dans les laboratoires des généticiens et dans les analyses et discussions des médias. À côté de ce concept de sécurité alimentaire, un autre thème qui lui était très proche avait pour nom “autosuffisance alimentaire’’. Une chose est sûre : ces deux concepts, aussi nuancés soient-ils et aussi ‘’généreux’’ que puissent paraître leurs auteurs, étaient souvent utilisés par des gestionnaires politiciens pour des motifs de simple propagande où se mêlaient velléités collectivistes et mentalité rentière.
Le thème n’a pas manqué non plus de hanter les couloirs du siège de la FAO à Rome et ses démembrements à travers le monde. Des politiques publiques de développement agricole ont été expérimentées avec plus ou moins de bonheur en Asie du Sud-Est et en Afrique avec la collaboration de cet organisme international, mais aussi avec des subventions du FIDA. Cependant, la situation ne semble pas avoir subi une extraordinaire évolution. Pire, au vu des menaces qui pèsent sur l’alimentation de millions d’êtres humains à travers la planète, il s’agit plutôt d’une régression.
En Algérie, des milliards de dinars sont injectés depuis le début des années 2 000 pour le soutien à l’agriculture algérienne et les horizons offrent apparemment toujours une difficile lisibilité pour ce secteur sensible de la vie économique du pays. Pire notre dépendance alimentaire se confirme chaque jour davantage à l’ombre de la rente pétrolière, laquelle a malheureusement permis de dissimuler nos travers en matière de mauvaise gestion, de navigation à vue et de corruption.
Lorsque deux produits de base de l’alimentation de l’Algérien, la pomme de terre et le lait subissent une tension qui risquent de les reléguer au rang des souvenirs et d’être déclarés produits “exotiques’’, il y a lieu de se poser des questions sérieuses sur les perspectives qui s’offrent, dans le court terme, à ce genre de produits. Les perturbations qui touchent actuellement la presque totalité des produits alimentaires ne sont, en définitive, que les symptômes les plus criants et les plus criards d’une réalité plus complexe tenant ses origines du schéma organisationnel de l’agriculture algérienne. Ce schéma fait intervenir le foncier, l’organisation des filières de production, le soutien aux cultures stratégiques, la chaîne agroalimentaire, la vulgarisation, l’appui à la technicité et à la formation. C’est dans ce climat de tension sur ces deux produits stratégiques qu’une réflexion plus sérieuse est censée être engagée pour remettre en cause un certain nombre de choix et d’orientations et pour asseoir une nouvelle politique plus rationnelle adaptée à la réalité du terrain et aux impératifs de la mondialisation rampante.
Reconversions, diversification et hypothétiques exportations
L’une des plus grandes préoccupations du secteur de l’agriculture à la fin de l’année 2006 était le spectre de la sécheresse qui se dessinait dangereusement au début de la campagne labours-semailles et de la campagne de plantation fruitière. Jusqu’à la mi-novembre, le ciel, par l’absence de précipitations, a mis la corporation des fellahs et l’administration agricole dans une situation stressante où le pire était envisagé. Ce n’est que deux mois plus tard que l’espoir commençait à renaître à la faveur des pluies de février et mars. Pourtant, depuis le lancement du PNDA en 1999, le département de Saïd Barkat a fait de la politique de reconversion (céréales/arboriculture) son credo pour sortir, soutenait-il, de la fatalité de l’agriculture pluviale. Cette orientation, renforcée par une politique audacieuse de mobilisation des ressources hydriques menée par le ministère des Ressources en eau (barrages, forages, retenues collinaires, captage de sources), a eu quelques résultats dans des périmètres circonscrits à l’échelle de certaines wilayas. Localement, il y a même des zones où on a enregistré des surproductions dans certaines cultures fruitières (poires, pommes, abricots) et oléicoles. Mais la chaîne agroalimentaire permettant d’absorber le surplus de production a rarement suivi. Il en est de même des possibilités d’exportation d’une partie des produits. Outre la qualité des produits, l’un des plus sérieux handicaps pour se lancer dans cette dernière activité étant le conditionnement, l’emballage et le design. Cette opération exige une qualité phytosanitaire impeccable des produits et un conditionnement qui répondent aux normes internationales. Le problème soulevé par la production viticole, particulièrement le raisin de cuve, est encore plus corsé dans les wilayas où il y a eu, depuis la décennie en cours, de vastes programmes de réhabilitation de cette production. À Aïn Temouchent, les capacités des anciennes caves sont saturées. En outre, sur le plan du marché mondial des vins où l’Algérie occupait jadis une place de choix, il y a eu une évolution fulgurante qui a fait que, au cours des 30 dernières années-où l’Algérie s’occupait de l’arrachage de la vigne pour des raisons extra-économiques, ce qui a fortement endommagé les sols de Mostaganem, Beni Saf, Mascara, et les a fait exposer à une dangereuse érosion-, les goûts et les choix gastronomiques ont imposé de nouvelles variétés de vins issus de cépages que l’Algérie n’a pas eu l’occasion de tester, de produire et d’acclimater. Résultat des courses : l’angoisse et le stress sont le lot des viticulteurs du Témouchentois, des coteaux de Tlemcen et du plateau du Dahra.
Ce qui fait que, entre une politique volontariste et ‘’productiviste’’ et son prolongement dans une stratégie générale du secteur, il y a comme un hiatus engendré par de tenaces mentalités rentières. Dans ce contexte où les problèmes de l’agriculture algérienne (faible niveau de technicité, imbroglio obérant le foncier, ciblage problématique des soutiens, circuits de commercialisation perturbés, manque de cohérence et de solidité de la chaîne agroalimentaire, déficit de stratégie d’exportation) semblent ‘’imperméables’’ à l’augmentation des ressources financières qui lui sont mobilisées, quel rôle peuvent jouer les organisations syndicales, les organisations professionnelles définies par filière (lait, céréales, maraîchage, arboriculture fruitière, viticulture, aviculture, apiculture, …), la Chambre d’agriculture, les écoles spécialisées en agronomie et les instituts de recherche ? Comment ces structures comptent-elles créer les synergies nécessaires entre tous les acteurs intervenant dans ce secteur pour le rehausser au diapason des défis de la sécurité alimentaire du pays ?
Amar Naït Messaoud