La politique fait son cinéma

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Cela fait une semaine maintenant que l’ENTV et ses deux annexes nous passent l’image à chaque rendez-vous d’information. C’est que des images du président de la République aux avant-premières de films algériens, il n’y en a pas des masses par le passé et vraisemblablement il n’y en aura pas avant longtemps. Ce n’est évidemment pas le caractère “inédit” de l’événement qui a inspiré les résponsables de la télé pour programmer cette information dans une boucle qui n’en finit pas, mais on peut leur accorder le bénéficie du doute. Pour ceux qui ne le savent pas, ce film conçu comme une superproduction en hommage à un héros de la guerre de Libération—Mustapha Ben Boulaïd—aurait dû sortir depuis longtemps. Retardé par une guéguerre de production en raison du volume de son budget, puis à cause d’une énigmatique histoire d’indisponibilité du comédien devant interprêter le rôle principal, ce film est enfin sorti, apparemment au bon moment au vu du premier usage qu’on en fait.

Il fallait donc plus qu’un film pour que cela mérite le déplacement du président de la République et on a tout fait pour montrer que le cinéma n’y est donc pour rien dans le rendez-vous de la salle El Mouggar. Tout dans cette soirée semblait être destiné à nous confirmer ce que nous savions déjà : le cinéma est à l’agonie et il ne faut surtout pas attendre de cet hommage à Mustapha Ben Boulaïd, à la destination “plus noble,” de suggérer un quelconque renouveau en la matière. Dans ce “tout”, il faut bien sûr commencer par ces images de l’ENTV. Une avant-première où l’on ne voit ni le réalisateur, ni le scénariste, ni les comédiens, ni la moindre séquence du film, il faut vraiment aller la chercher, mais l’ENTV nous a habitués à ce genre de performance surtout qu’en la circonstance elle ne devait pas être seule à l’élaboration du scénario (!). Et puisqu’il n’était aucunement question de cinéma, nous avons eu à nous contenter de “l’essentiel.” C’est-à-dire Mme la ministre de la Culture accueillant le Président, une pléiade de hauts responsables sur le balcon du Mouggar, Ould Abbes plastronnant comme d’habitude et enfin Abdelaziz Bouteflika en compagnie du ministre des Moudjahidine embrassant chaleureusement la famille Benboulaid. Et c’est le président de la République qui va se charger du meilleur.

En sommant quelque responsable de faire en sorte que le film—déjà réalisé sur les deniers publics— soit diffusé, donc acheté, dans les écoles et les universités. Ce qui en fait donc d’ores et déjà un “grand film” puisqu’il est soustrait aux règles de la concurrence et de… la critique. Deux données essentielles du cinéma d’aujourd’hui. Mais nous l’avons manifestement oublié : le cinéma, personne ne nous en avait parlé.

S. L.

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