Les saints en fête

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Chaque localité fête son saint à sa manière. Des fêtes grandioses sont données en leur honneur, eux qui ont bien su servir Dieu. On met en avant leur sagesse et on loue leurs innombrables vertus. Des waâdas et des chants religieux (lekhouane) sont prévus. L’occasion pour les plus pauvres d’avoir un bon repas et de manger à satiété. C’est aussi, pour eux, le moment de recevoir la « Zakkat » d’une âme charitable. El waâda n’Essid est également offerte par les présents. Cette dernière n’est pas obligatoire. Elle est collectée pour l’organisation de la prochaine waâda du saint. Le donateur est récompensé avec des louanges et une liste de bons présages à toute la famille du généreux. Telle une citation, tous les « parrains » de la waâda ont droit aux mêmes faveurs et augures. C’est généralement « Thakoubet » qui abrite lekhouene, sinon une tente est dressée en plein air pour recevoir les dons.

« Le meilleur moment pour moi c’est quand je dépose la waâda et que les présages de bon augure fusent de partout. J’ai l’impression d’être enveloppé par la baraka d’Akhal Aberkane. Je reste souvent jusqu’à la fin de la liste ! Ce que j’aime aussi c’est les chants religieux. Pour cela, je fais en sorte que mon pèlerinage commence la veille de la waâda. Des veillées avec des versets coraniques et des chants religieux sont données à mon grand bonheur. Je ne rate jamais Thaâchourth et quand je ne peux pas venir je viens à el Mouloud pour assister à la Waâda », nous raconte Farida, 45 ans, native de Béni Douala et établie en France depuis 11 ans. Beaucoup font le déplacement comme Farida pour rafler la baraka des saints durant les fêtes religieuses.

« On a prévu nos vacances, ma femme et moi, pour cette période afin d’assister à la waâda de Thaâchourth et fêter Yennayer ici en Kabylie. Ce sont des fêtes que je ne peux consentir de passer en France, d’ailleurs le reste de ma famille, mes frères et sœurs sont restés ici. Et je veux partager le plus possible avec eux. Maintenant que mes enfants sont grands et indépendants c’est enfin devenu possible. Ce n’était pas le cas auparavant. J’ai marié la cadette de mes filles il y a de cela 3 ans. Et depuis je ne rate aucune occasion pour passer les fêtes en Kabylie. Cela me rappelle mon enfance et mes feus parents », nous raconte Dda Med Idir, 73 ans, retraité et résident en France. Les waâda, au delà de leurs significations religieuses et spirituelles, sont également l’occasion de se retrouver en famille et entre amis le temps d’une journée. « J’aime bien aller aux waâda de ma région. Quand je me suis mariée, j’ai dû quitter mon village pour aller carrément vivre dans une autre localité. Je n’ai plus l’occasion de rencontrer mes amis ni mes tantes et cousines lors de mes courts séjours chez mes parents. Alors je profite de la waâda prévue cette semaine pour retrouver ma complicité avec mes amies qui sont elles mêmes mariées et occupées avec leurs foyers. Même si ce n’est que pour une journée, cela suffit pour renouer avec des gens personnes chères que l’on a perdu de vue durant toute une année, absorbés par les responsabilités de la vie », nous dit Malika, 47 ans, native également d’un village de Béni Douala, dont le mari est natif de Ouaguenoun où elle habite depuis 23 ans déjà. Les motivations ne sont pas les mêmes chez tous les pèlerins. C’est la « Nya » qui compte dans ce genre d’endroit. Certains pélerins viennent implorer la bénédiction du saint, alors que d’autres viennent demander telle ou telle faveur. Un défilé de malades, de femmes stériles, de jeunes filles à la recherche d’un mari, de mamans en détresse, font un tour dans thakoubets. Histoire d’implorer Dieu et ses chers saints de rendre la santé à tel, d’offrir un bébé à tel autre ou d’ouvrir les portes des cieux pour telle afin qu’elle puisse enfin fonder un foyer à l’instar des filles de son âge. Plusieurs tours sont effectués. Les pèlerins effleurent les étoffes et autres soieries étendues sur le tombeau. Généralement l’offrande des pèlerins qui ont vu leurs vœux exaucés. « Je vais voir les organisateurs de la waâda pour pouvoir offrir un mouton cette année au saint de mon village. S’ils sont d’accord, je ferai mon don avant la waâda de Thachourth, sinon j’attendrai que la fête passe pour faire une petite waâda pour « Esid » plus tard. Je l’ai promis l’année dernière alors que j’ai ramené ma belle-fille qui n’arrivait pas à tomber enceinte alors que les médecins l’ont rassuré sur sa capacité d’être mené. C’est lors de la dernière waâda que j’ai imploré notre saint et profité de la zerda pour laver ma belle-fille dans « Laânsar » mitoyen à Thakoubet. J’ai aussi allumé une bougie et pris un peu de henné que j’ai appliqué à ma belle-fille trois soirs de suite. C’est un rituel censé chasser le mauvais œil et les mauvaises intentions de Chitan. Il fait disparaître par la même occasion tout acte de corcellerie sensé empêcher ma belle-fille d’enfanter. Miraculeusement mon vœu a été exaucé dans l’année. Celle-ci est enceinte de 6 mois. Elle accouche dans moins de trois mois », nous raconte Nna Ouiza, 76 ans qui promet de nombreux cadeaux au faiseur de miracles si l’accouchement se passe bien. Le rituel est aussi valable pour les filles qui tardent à trouver un mari. C’est le cas de Djouher, 37 ans, qui malgré sa réussite professionnelle, n’arrive toujours pas à dénicher la perle rare pour fonder un foyer. Sa maman ne veut que la « perle » tout court ! Pour cette vieille qui s’est mariée à l’âge de 16 ans, sa fille ne pourra jamais trouver un mari. « C’est la deuxième fois que je prévois d’emmener ma fille faire le pèlerinage. On va implorer Dieu et les saints de lui permettre de fonder un foyer et une famille dans les meilleurs délais. Je désespère quant à l’avenir de ma fille. C’est ma cadette. Si je venais à mourir je la laisserai seule sinon entre les mains de ses belles-sœurs. C’est ce qui ne doit surtout pas arriver. Si je marie ma fille, je pourrai mourir en paix. Quand j’étais jeune j’ai assisté à la fameuse « douche » de ma tante, je vous assure qu’elle s’est mariée dans le mois qui suivait le rituel. J’espère que ça marchera autant pour ma fille », nous confie Nna Sadia, 74 ans passé. Même la conjoncture économique et ses conséquences se mêlent aux saints et leur résolution en dépend dans certains cas. Nombreux chômeurs font partie des pèlerins. Ils vont à leur tour implorer la bénédiction des saints afin de mettre un terme à leur calvaire, promettant de consacrer une partie, ou même la totalité des fois, de leur salaire à la prochaine waâda. Il en est qui chargent des proches à le faire à leur place.

Des mamans, des sœurs, des épouses et des promises se chargent d’intermédiaires. « Nous sommes fiancés depuis 4 ans et nous n’arrivons pas à nous marier parce que mon fiancé n’arrive pas à se dénicher un poste de travail. Il a pourtant fait des études supérieures contrairement à moi. Je l’aurai aidé, sinon. Il ne fait que bricoler, tantôt manœuvre, tantôt vendeur et même porteur de sac de ciments à l’occasion. Ce n’est pas avec ces petits boulots que l’on pourrai fonder un foyer. L’idée de donner une waâda dans ce sens ne l’enchantait pas tellement. J’ai tellement insisté qu’il a fini par accepter de m’accompagner, le jour de la waâda et me laisser faire selon ma « Niya ». Mais il n’a toutefois pas voulu rentrer dans le tombeau », nous raconte Kamélia, 26 ans, fiancée à Hassen. On ne parle pas des défilés de malades qui aspirent à retrouver leur santé grâce à la bénédiction du saint et celle de Dieu bien entendu. Ceci dit, un tour aux nombreuses waâda organisées chaque année lors des fêtes religieuses nous montrent l’engouement de la gent féminine pour ce genre de fêtes. Les femmes sont généralement plus nombreuses à assister aux waâda. Ce sont également les femmes des « Akheroub », descendants du saint, qui s’occupent la veille de la waâda à préparer le couscous pour le lendemain. Thivugharin, chants anciens et danses marquent généralement ce genre de soirées.

Couscous ou Aheddour ?

C’est à la veille de la Waâda que la célébration de Thaâchourt se fait au sein des familles. Ce qui change des jours ordinaires c’est le repas n’Taachourth. La table suit généralement les traditions ancestrales. Il a toujours été question de préparer Aheddour ou bien le fameux couscous au poulet et achedlouh (viande séchée), avec une sauce à base de « Luvien Lekvayel » appelée aussi « M’layoun ». Après avoir fait généreusement ses dons durant la journée, soit selon les règles religieuses soit aléatoirement, le chef de famille donne à son épouse la responsabilité de dégager « Leh’k B’attar ». Une partie du repas qu’on offre aux plus nécessiteux, généralement dans le voisinage. Thaâchourth devient ainsi une fête de partage. « On ne peut pas manger sans prévoir une partie de notre repas à un voisin ou un parent dans le besoin. C’est ce que faisait mon père et son père avant lui. C’est ce que je tente de laisser à mes enfants, le sens du partage. Je ne suis pas un grand pratiquant. Mais la Zakkat je connais. Seulement elle est selon « Niya » chez moi. Je ne respecte aucun taux ni aucune règle. Je donne un point c’est tout. Puisque c’est toute l’année qu’on doit penser à autrui, pas seulement un jour », nous confie Mahmoud, 54 ans, fonctionnaire dans une entreprise privée.

Thaâchourth pour booster les cheveux !

Importée de la capitale par les Kabyles algéroises, ce rituel fait dorénavant partie des rituels de Thaachourth. Le principe c’est de couper une petite touffe de cheveux la veille de Thaâchourth. Il semblerait que si l’on fait ça à Imensi Taachourth, on verra pousser nos cheveux trois fois plus vite que d’ordinaire ! Mythe ou vérité ? Il paraît que ça marche. « Depuis que je suis au courant de ce rituel, je le respecte chaque année. Je ne sais pas si c’est le hasard ou réellement l’effet du rituel, mais mes cheveux poussent très vite et sont beaucoup plus fort, moi qui souffrais de chute permanente. C’est incroyable. Ceci dit, j’ai pris un traitement pour stopper ma chute des mois avant d’opter pour ce rituel, la dernière Thaâchourt. Je ne sais pas trop ce qui a marché. Le plus important c’est que je ne suis pas chauve ! », nous raconte Saliha, 39 ans.

Samia A-B.

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