Yennayer des planqués

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Tout le monde – ou presque – fêtait finalement Yennayer depuis toujours, mais on a mis du temps à le savoir. Le « dégel » des deux dernières décennies sur les questions identitaires et culturelles a permis a beaucoup d’Algériens de s’affirmer dans ce qu’ils sont et c’est tant mieux.

Le fait n’est pas d’accabler tous ceux, nombreux à l’évidence, qui ont vécu le plus beau et le plus dur combat pacifique de l’Algérie moderne dans – pour rester gentils – la passivité. Il s’agit plutôt de s’arrêter à l’occasion sur l’ampleur de l’injustice, la gravité du déni et la férocité de la répression subie par la culture autochtone et ceux qui en ont fait leur combat. Yennayer était donc vécu comme était pratiquée la langue et évoquée une certaine profondeur de notre histoire dans le secret des chaumières pour ne pas dire dans la clandestinité. S’il est heureux aujourd’hui d’entendre des citoyens de l’arrière – pays et des villes redoubler d’enthousiasme, s’attarder sur les détails de « la fête » et même formuler la revendication ( !) que la journée soit chômée et payée, personne n’a oublié qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Bien sûr, ceux qui disaient hier qu’ils sont Berbères pour « avertir » qu’ils ne sont pas Kabyles n’ont pas encore convaincu leur monde qu’ils ont toujours vécu leur identité dans la sérénité d’Algériens « intégrés, » sans faire de bruits, c’est-à-dire sans combattre.

Ou mieux en culpabilisant ceux qui l’ont fait. Il y a toute une frange de planquées qui a choisi de théoriser – toujours pour rester gentils – leurs renoncements. Reste le reste, peut-être bien majoritaire, ceux qui, trop jeunes à l’époque des « affrontements qui découvrent dans l’imprécision et la contradiction les termes d’une évolution historique et les hommes qui ont fait que tout cela devienne possible. Autre découverte heureuse, Yennayer est finalement au-delà de la réappropriation d’une tradition ancestrale, l’unique fête, désormais largement partagée qui réunit la profondeur historique, les pratiques du terroir et les attributs de la modernité.

Conviviale, décontractée et mixte, elle tend vers l’ouverture sur les joies de notre temps plus qu’elle ne suggère un quelconque retour sur de tristes et sclérosants archaïsmes. Rien que pour cela, Yennayer mérite plus d’éclat et moins de folklores. En faire une journée chômée et payée est peut-être la première étape de sa réhabilitation. Bonne fête.

S. L.

slimanlaouari@gmail.com

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