L’Algérie face à la crise

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En l’espace de quarante-huit heures, deux informations économiques de grande ampleur sont venues secouer notre assurance quant à l’impact de la crise mondiale sur le système économique algérien. En effet, le Centre national de l’informatique et des statistiques (CNIS) dépendant de l’administration des Douanes, a donné lundi dernier, les chiffres des transactions commerciales de notre pays avec l’extérieur relatifs à l’exercice du premier trimestre 2009.

La baisse des recettes d’exportation par rapport à la même période de 2008 est de 42,07 %. En chiffres absolus, les recettes sont passées de 18,55 milliards de dollars à 10,74. Cette perte de presque 10 milliards de dollars en l’espace de trois mois est due directement à la baisse de la consommation mondiale en hydrocarbures, situation qui a ramené le baril de pétrole de 140 dollars en juillet 2008 à 45 dollars en avril 2009.

Cette nouvelle donne, en se répercutant directement sur les finances algériennes du fait d’une dépendance directe de l’Algérie de ses exportations pétrolières, installe une nouvelle configuration des possibilités de financement des importations. En effet, le ratio importations/exportations passe ainsi à 114 %. L’année dernière, il s’établissait à 217 %. L’autre information vient d’être donnée par l’Office national des statistiques (ONS) qui estime le taux d’inflation au premier trimestre de l’année en cours à 6,1 %. Ce taux est un agrégat formé par la hausse des prix de plusieurs produits : les denrées alimentaires (+8,9 %), avec +17,6% pour les produits agricoles frais, 5,9% pour les services et 1,9% pour les biens manufacturés, précise l’office. Les prix des produits alimentaires industriels, quant à eux, ont connu une stagnation, au cours des trois premiers mois de l’année en cours. A l’exception de la baisse des prix des huiles et graisses (-11,20%), tous les autres produits du groupe alimentation s’étaient inscrits en hausse au cours de cette période dont essentiellement le poisson frais (+38,9%), viandes de mouton (22,4%), volaille, lapin et oeufs (+22%), légumes (+17,4%), café et thé (+12,1), viandes de bœuf (+11,90%). Depuis la fin de l’année 2007, les populations algériennes ont bien ressenti cette courbe ascendant de l’inflation dans les marchés de fruits et les légumes, dans les supérettes, au niveau de l’habillement et dans les dépenses de santé. Au cours de l’année 2008, les statistiques officielles ont évalué cette inflation à 4,9 %. Des économistes n’ont pas tardé à faire la relation entre la hausse des salaires des travailleurs décidée par la tripartite en 2006, les lourds investissements publics générateurs de nouveaux salaires mais qui tarderont à être rentabilisés (autoroute, grands barrages hydrauliques, chemins de fer,…) et la hausse vertigineuse des prix des produits de consommation. À cela, il y a lieu d’ajouter les transferts sociaux destinés aux subventions, aux pensions et autres bonifications qui mettent en circulation une masse monétaire toujours plus importante. C’est, en quelque sorte, la demande qui est fouettée au détriment de l’offre. Cette dernière a souffert des aléas liés à la politique nationale de l’investissement au point où son évolution demeure négligeable. À cela, se greffe le déficit de productivité qui fait que, avec plus de ressources financières et plus de ressources humaines, on obtient les mêmes résultats à l’unité de temps qu’avant la mobilisation des moyens.

Efficacité problématique des transferts sociaux

En 2004, le montant des transferts sociaux était de 10 milliards de dollars d’après l’ancien ministre de l’Économie, Abdellatif Benachenhou. Une légère baisse interviendra graduellement et, en 2007, il a été injecté dans la loi de Finances quelque 700 milliards de dinars au titre des transferts sociaux, soit, environ 6 milliards de dollars US. En tout cas, l’un et l’autre chiffre ne manquent pas de donner le tournis à ceux-là même qui s’alarment et dégoisent interminablement devant ce qui est commodément appelé ‘’la fin de l’Etat-providence’’. La gestion opaque de la rente pétrolière sous les régimes des années 1970 et 1980 n’était pas faite pour nous éclairer sur la proportion des dépenses liées au volet social. Néanmoins, au vu des travers charriée par l’économie ‘’planifiée’’ alimentée presque exclusivement par des ressources énergétiques considérables, la notion même d’économie avait perdu son sens. La pléthore des personnels, des entreprises publiques, les découverts bancaires perpétuellement absorbés par le Trésor public, l’inflation du personnel administratif, enfin, tous les travers d’une gestion dirigiste et rentière étaient intégrés dans un chapitre aux relents philanthropiques ou caritatifs intitulé ‘’volet social’’. Le plus grand chapitre des transferts sociaux de l’époque avait pour nom le soutien à la consommation, qui englobait pratiquement tous les produits alimentaires d’importation, l’énergie, et même des produits électroménagers et certains articles de fantaisie. L’État dispendieux et détenteur de monopole savait aussi organiser la pénurie dans le but de gérer et de soumettre la société. Au bout de quelques années, les effets désastreux de la gestion de la rente sont venus à bout de tous les efforts et possibilités nationales de production. Le soutien à la consommation se révéla être une grande supercherie dont les véritables bénéficiaires étaient les producteurs étrangers. On estima, au milieu des années 1980, à cent mille le nombre de vaches laitières françaises qui avaient pour unique débouché le marché algérien du lait. Malgré l’impopularité de la libéralisation des prix enclenchée à partir du début des années 1990, l’histoire économique du pays retiendra que c’est là une véritable révolution, une révolution des mentalités d’abord, pour amorcer le passage d’une économie rentière vers une économie de production. Cette solution, il faut le noter, n’est pas sortie du ‘’génie’’ des pouvoirs publics de l’époque mais de la situation de cessation de payement qui avait mis à genoux l’économie algérienne.

Vers une redéfinition de la politique des subventions

Les transferts sociaux inclus dans les dernières lois de Finances ne présentent pas le même geste de dépenses populistes ou fantaisistes. Hormis, les pensions des handicapés, moudjahidine et certaines franges vulnérables de la société, le gros des dépenses est consacré au soutien de l’État aux activités productives et à l’investissement : aides aux agriculteurs, crédits bonifiés pour la création de micro-entreprises, dégrèvement fiscaux pour certaines activités stratégiques et créatrices d’emplois. Ce qui a représenté, par exemple pour l’année 2007, environ 11% du PIB et presque 19% du budget.

Pour l’année 2008, il se trouve que quelques réflexes anciens ont repris du poil de la bête suite à une véritable panique qui avait gagné le gouvernement Belkhadem. Ainsi, pour certains produits alimentaires jugés stratégiques et touchés par de fortes hausses des prix, le gouvernement a pris la mesure de les soutenir une nouvelle fois au niveau du segment ‘’consommation’’. Ces mesures ne pourront pourtant jamais remplacer la stratégie sectorielle basée sur le soutien à l’investissement. S’il y a quelque chose à déplorer, comme a eu à le faire l’ancien argentier du pays, c’est le ciblage aléatoire et la répartition inique des fonds de soutien et les inévitables ‘’faux barrages’’ de corruption qui leur sont dressés en cours de route. Les deux plus grands défis qui se poseront au rôle social de l’État dans les prochaines années sont, sans aucun doute, la provenance même des fonds qu’il y a lieu de tirer d’une plus-value sociale hors hydrocarbures et l’efficacité dans la gestion des ressources allouées de façon à les soustraire de la tentation de détournement ou de corruption.

Ouyahia : franc jeu

La valeur prise par les prix du pétrole au cours de l’été 2008 a donné du vertige à certains gestionnaires de l’économie algérienne. Mais, voilà. Depuis lors, deux événements sont venus ‘’brouiller’’ cette lecture par trop triomphaliste d’une économie algérienne engoncée dans ses certitudes. D’abord, le changement qui a lieu à la tête du gouvernement. En plaçant Ahmed Ouyahia à la tête de l’Exécutif, le président de la République semble vouloir apporter la réponse à une situation presque énigmatique de l’économie algérienne où se multiplient les paradoxes entre richesse potentielle et pauvreté réelle, ainsi qu’entre la volonté politique de mener les réformes dans les secteurs sensibles de l’économie et de l’administration et les résistances légendaires des cercles d’intérêt, des coteries et de la ‘’médiocratie’’. Ouyahia a joué franc jeu en annonçant publiquement que, même si la loi de Finances était basée sur un prix-étalon du baril de pétrole de 19 dollars jusqu’à fin 2007 et de 37 dollars à partir de la LFC (loi de Finances complémentaire) de 2008, la réalité du budget algérien fait que le vrai prix du baril tel qu’il y est intégré dépasse 60 dollars. C’est pourquoi, il a dit appréhender fortement la baisse du prix du baril de pétrole au-dessous de 70 dollars, ce qui remettrait en cause les projets d’investissements publics engagés par le gouvernement depuis 2005. Le recul du prix de l’or noir pourrait, dans un cas extrême, une partie des transferts sociaux décidés par les pouvoirs publics dans le cadre du soutien des prix de certains produits alimentaires et autres bonifications fiscales tendues vers l’encouragement de certains créneaux d’investissement. Pour certains aspects de la crise financière internationale, le Premier ministre nous rassure en expliquant que l’Algérie avait raison de payer ses dettes par anticipation (depuis 2005), comme elle a bien agi en ne cédant pas à l’idée en vogue d’investir son argent dans des fonds souverains, idée défendue mordicus par certains cercles politico-médiatiques au cours de l’année 2008. Cependant, il demeure clair que toutes ces précautions, aussi positives qu’elles puissent être, ne peuvent pas nous prémunir d’une façon permanente des répercussions de la crise financière et économique mondiale. Seuls des investissements offensifs, une réhabilitation sérieuse du secteur agricole et la création d’un tissu conséquent de PME/PMI pourraient contribuer à diversifier les recettes budgétaires et à assurer un minimum de sécurité alimentaire au pays. Certaines indications de l’économie nationale, présentées comme étant des prouesses, poussent légitimement à un optimisme qu’il convient de relativiser par le contexte de leur réalisation. Il en est ainsi des chiffres fluctuants, parfois insaisissables, de l’emploi, selon qu’ils sont présentés par le gouvernement, rapportés par le CNES ou examinés par l’ONS. Actuellement, le taux de chômage serait réduit à environ 11% de la population active. Le ministre de la Solidarité nationale avait annoncé un taux de 10 % de chômage, chiffre que l’ONS a démenti quelque temps plus tard. Quoi qu’il en soit, l’utilisateur de ce chiffre voudrait savoir si les emplois saisonniers crées par les chantiers du bâtiment, de l’agriculture, des TUP-HIMO, ainsi que les universitaires pré-emploi …sont comptabilisés dans ce pourcentage. Le taux d’inflation, quant à lui, a commencé à grimper les échelons à partir de 2007 et il se situe officiellement aujourd’hui à 6,1 %, un taux que certains analystes mettent en cause- en suggérant qu’il est sous-évalué- au vu de l’inflation généralisée des produits alimentaires. Sans doute, les deux nouvelles données relatives au recul des recettes pétrolières et à la hausse du taux d’inflation constituent-elles les premiers tintements d’un tocsin qu’il y a lieu de prendre au sérieux.

Amar Naït Messaoud

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