“Je suis prêt à donner dix ans de ma vie pour pouvoir imiter El Anka”

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Lounès Matoub a commencé à chanter en France, dans les années 1970, dans des bistrots de la région parisienne.

Il chantait déjà du chaâbi, il était un grand fan de Hadj El-Anka, Dahmane El-Harrachi, Cheikh Hasnaoui et Slimane Azem. Il a eu tout de suite beaucoup de succès.

Avant cela, dans les buissons de son village ou à l’orée de la rivière, en compagnie d’amis d’enfance, il grattait sa guitare en reprenant des tubes d’antan.

Et le chaâbi, pur et dur, était en filigrane. Sa musique était basée à la fois sur le folklore kabyle des montages, et sur le chaâbi citadin d’Alger moderne.

Il a été novateur également dans l’orchestration qui n’a pas cessé

d’évoluer et de s’étoffer avec l’introduction du qanûn (la cithare). Matoub n’a pas cessé de mélanger instruments traditionnels et modernes, comme la basse, les synthétiseurs.

Ne lésinant sur aucun effort pour introduire des sonorités appartenant à des genres divers tels le chaâbi ou l’andalou, il rêvait au fond de lui d’ »accoucher », s’il le fallait dans la douleur, d’un produit qui le placerait en porte-à-faux avec tout ce qui se faisait auparavant.Allant jusqu’à reprendre des tubes de Amar Zahi, d’El-Anka ou carrément de Cheikh El Hasnaoui, en prenant la précaution, évidemment, de leur insuffler, une âme kabyle.

Azriw Yaghlev Lahmali, du grand maître du chaâbi, El Hadj El Anka a fait de lui, et c’est loin d’être l’avis des néophytes, celui qui pouvait aisément passer de la rumba au goubahi avec un crochet magistralement interprété, par la touchiya qu’il n’omettait jamais d’interpréter avant chaque représentation. Que ce soit dans les salons feutrés de la capitale où il était très demandé, que dans les rencontres entre amis dans les bouis-bouis qu’il aimait fréquenter. En fait, Matoub était partout à l’aise. Dans son village des Ath Douala avec les plus démunis comme dans les salles les plus prestigieuses des capitales mondiales d’où on le sollicitait.

Sur les plateaux de télévision en compagnie des sommités de ce monde, il n’avait pas la langue dans la poche.

Avec une « langue empreinte », il savait dire les douleurs de son peuple, surtout quand celui-ci faisait face à la répression sauvage pour avoir crié son ras-le-bol d’être assimilé à ce qu’il n’est pas.

Et la plus belle image de cet homme qui s’impatientait d’être parmi les siens à chaque fois qu’il était loin de cette Kabylie belle et rebelle est sans doute celle où avec un certain Amar Driss, un musicien enseignant de chaâbi à la Maison de la culture de Tizi Ouzou, il redevenait l’élevé studieux. Juste pour pouvoir s’approcher de cette musique populaire. Celle qui a fait bercer la Casbah d’Alger. Et lorsque il avait fini de mieux maîtriser une strophe, il en était fier. Le chaâbi pour Lounès Matoub est, a-t-il laissé entendre, plénitude.

On lui attribue des propos, et il y en a eu notamment depuis sa mort, où il aurait reconnu qu’il a pour seule ambition un jour, de chanter du chaâbi et en arabe. Venant de lui, cela ne peut être que vrai puisqu’au détour d’une rencontre à Tizi Ouzou, il a bien dit qu’il était prêt à donner dix années de sa vie, juste pour arriver à imiter El-Hadj El-Anka. Sobhane Allah Yaltif ! J’étais témoin.

F. Z.

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