La Dépêche de Kabylie : en quelques mots, qui est Mohamed Aouine ?
Mohamed Aouine : C’est le genre de questions le plus aisé à poser et auxquelles il est souvent difficile à répondre. Mais, pas de panique, je vais me livrer volontiers à l’exercice. J’ai 28 piges et je suis originaire d’un moyen patelin d’Azeffoun. Il s’appelle Ighil M’Hand. Il regarde la mer… La mer le lui rend avec toute sa féerie. Je tenais à y vivre. Le destin a décidé autrement. Du coup, après un cortège d’exils locaux, m’ont aspiré des exils lointains, à partir de l’année 2005. J’ai fini ensuite par poser ma valise en France à Isère plus exactement, où je suis actuellement établi. J’ai failli omettre de vous signifier que je suis écrivain !
Économiste de formation, ensuite vous vous êtes engagé dans le monde de l’art et de la littérature. Comment avez vous vécu cette transition ? Ou d’une autre manière, d’où vient ce choix?
Je crois savoir que la transition s’est faite dans l’autre sens et tout naturellement. Il s’agit même d’une certitude. Je m’explique. J’ai commencé à griffonner des textes à l’âge de 18 ans déjà. J’ai découvert les sciences économiques à l’université, donc plus tard! Avec la littérature, orale notamment, c’est une question d’harmonie, d’intimité. Qui n’a pas été bercé par nos poésies populaires ? Les préludes de nos femmes et de nos hommes raisonnent encore aujourd’hui dans mon oreille. Une beauté fragile, mais indiscutable, qui a transformé ma curiosité de môme farouche en envie pressante de dire des choses à mon tour, à ma manière. Bref, j’étais littérateur, manœuvre, commerçant, agriculteur, collaborateur de presse avant de devenir économiste !
Quant au choix, je pense qu’on ne choisit pas d’être poète, ou écrivain tout court. Je considère même, parfois bien entendu, que c’est une malédiction. Pas facile de s’extraire à la camisole de l’art une fois dedans. Encore plus difficile de continuer à vivre avec l’obligation intense de créer des univers nouveaux, toujours en mieux. Mais souvent, être poète est une chance, une liberté inégalée, une panacée… Personnellement, n’était la littérature, je serais déjà trépassé !
Vos travaux varient entre l’écriture, le roman, la poésie, le théâtre… assez d’inspirations quand même ! On peut parler d’un surdoué ?
Je veux bien croire que je le suis. Hélas, non ! Je ne suis qu’un jeune Algérien qui, prenant conscience de la gravité de l’état de son pays, veut, comme tant d’autres, provoquer le changement, maintenir et surtout attiser la flamme d’espoir de ses concitoyens. Il est vrai que j’ai touché à tout, même au cinéma et à la peinture. Mais je ne vous apprends rien en vous disant que la muse est maniable, comme une pâte. Lorsqu’elle est là, on peut en faire ce que l’on souhaite. Le plus important, ce sont les idées. La forme qu’on leur donne importe peu !
Justement, concernant vos romans, ils traitent quel genre de thèmes ?
Mes bouquins sont toujours poly-thématiques, souvent pittoresques, enfin je me prodigue pour qu’ils le soient. J’aime m’étaler sur moult sujets au même temps. C’est un choix. Un procédé d’écriture qui exige beaucoup d’attention et d’efforts. Tenez, par exemple, il m’arrive d’humaniser un objet et, plus loin, dans le même texte, de déshumaniser un personnage humain ! Mon roman « Perdrix » illustre parfaitement mes propos… En tout cas, j’ai toujours essayé de faire de la littérature utile.
Votre dernière publication resserre un recueil de poèmes intitulé » Le Rêve et l’Attente ». Pourriez-vous nous le présenter ?
Ce sont des textes que j’ai écrits en exil. Ils traitent donc forcément de ce dernier. L’exil est la forme de cette plaquette. L’amour est son fond. Ils sont indissociables ces deux là, l’amour et l’exil. La distance vous pousse à vous remémorer sans cesse de ce que vous étiez et à l’aimer intensément. On est du pays de son enfance, comme disait l’autre. Quand on vit loin, on pense. On pense au moindre souvenir, à tous les visages qu’on a connu par le passé et que le temps qui passe brouille chaque jour un peu plus, à son village, à sa famille, à son pays… C’est quoi tout cela si ce n’est de l’amour limpide et sincère ? « Le Rêve et l’attente » est une grande histoire d’amour tourmentée. Son prolongement, c’est mon recueil de nouvelles, « L’Elan du Cœur », qui sort dans pas longtemps…
L’exil ou l’immigration est ainsi inclu dans vos récits, un sujet galvaudé depuis longtemps dans la société kabyle, Quel est l’angle choisi par le romancier afin de traiter une question aussi d’actualité ?
Avant de répondre, je dois d’abord dire que la distinction entre exil et immigration s’impose. Un exilé, ce que je suis en personne, est celui qui se voit dans l’obligation de déguerpir. Il s’en va ailleurs contre sa volonté, poussé par des éléments indépendants de lui, pour vivre une nostalgie qui le torture à fréquences régulières. En revanche, un immigré, c’est celui qui décide, de son plein gré, de quitter un territoire, son territoire pour un autre. Concernant mes écrits, j’ai toujours relaté les deux. Car une chose les lie. C’est l’attente, qui peut prendre parfois la forme, ou des allures de rêves. Et puis, le déplacement des populations n’est ni récent ni propre à nous. Beaucoup de gens (même des Américains !) se retrouvent face à l’obligation de quitter leurs pays respectifs, soit par des contraintes écologiques, soit pour des besoins économiques, soit par des obligations culturelles ou politiques, soit par choix personnels tout court. Une grande pensée, quand même, à nos jeunes qui ont péri, et qui périssent encore malheureusement, dans les eaux méditerranéennes avant d’atteindre l’autre rive. Ils y sont pour rien. La faute incombe à nos gouvernants qui ne se soucient que de leurs petites personnes. Il faut un changement rapide. Et c’est pour cela qu’on se bat.
On dit souvent qu’un romancier possède une devise, une ligne de conduite ou de pensée, parfois influencé par son milieu. Pourriez-vous nous parler sur la vôtre ?
Ma devise à ma moi, c’est la liberté, ma liberté. Je n’appartiens à aucune idéologie. Quelle qu’elle soit, politique ou religieuse. C’est l’idéal qui m’anime au quotidien. Je ne marche sous les ordres de personne. Il m’arrive aussi souvent de n’ouvrir les oreilles à quiconque, pas même à un proche. La forêt et la mère composent mon enfance. Je suis donc un sauvage, ou un artiste sauvage, si vous préférez, c’est moins saumâtre ! Un écrivain se doit d’éclairer les siens en permanence, les autres aussi si possible, les défendre par des idées et les actes qui vont avec. Parfois, il a même l’obligation et le devoir de s’entêter. Le juste, le courage et la témérité, une honnêteté entière doivent l’habiter. Il est donc essentiel, pour un artiste, non pas de se libérer, mais d’être libre pour pouvoir libérer les autres qui, assez souvent, attendent beaucoup de lui, demeurent exigeants, et ils ont raison et le droit !
La Kabylie était votre premier milieu, avant de rejoindre l’Hexagone. Du point de vue de l’écrivain les deux milieux sont-ils favorables pour la création artistique et littéraire ?
Effectivement ! Bien qu’ils me partagent et se jalousent, les deux territoires m’inspirent, presque autant. Mais la Kabylie, c’est différent. Elle reste, pour moi, comme un amour perdu, une blessure béante qui ne se cicatrisera qu’avec mon extinction. Tout d’elle me revient, me manque, même ses soucis et ses angoisses. Je suis parti j’avais 24 ans. Que désirez-vous que je sois sinon un Kabyle, un vrai ? Je ne sais pas être autre chose ! Et puis, je ne le souhaite guère… L’exil, spatial ou intérieur, génère des formes de création artistique. Cette ébullition ou ces mouvements se transforment, de quelque nature que ce soit, en œuvres avérées. La muse nous visite ainsi. Elle vous pousse à la distance, à l’exil, pour se faire ensuite hôte chez vous. Il est étrange le processus de la création et ne s’explique que par la création elle-même !
Une dernière question pour finir. Selon vous, qu’est-ce qu’un bon livre ?
Il n’y a pas de bons livres. Il existe des livres utiles et des livres inutiles.
Propos recueillis par Akli Slimani