Depuis l’élection présidentielle d’avril dernier, une inquiétante vacuité de la scène politique s’est installée au profit d’une certaine cacophonie médiatique- renforcée par le farniente estival – qui n’arrivera jamais à suppléer à l’atonie du corps politique. Cette situation est d’autant plus regrettable que le bouillonnement de la conjoncture économique – avec ses statistiques parfois stressantes et d’autres fois euphorisantes, avec aussi des décisions gouvernementales de grande ampleur – réclame moins d’indifférence, plus d’élan et beaucoup de lucidité de la part de tous les acteurs de la scène nationale (pouvoirs publics, élus de la nation, partenaires économiques, partis et associations). Quels que soient les intentions et le degré de clairvoyance que l’on peut “concéder’’ à l’exécutif, les ressorts du contrepouvoir sont toujours censés enrichir sa politique, avertir ses décideurs, corriger ses vues et apporter sa pierre à l’édifice. Le déficit de la culture politique ne date pas réellement d’aujourd’hui. La phobie de l’inconnu a joué sur un fond fait de la médiocrité d’une élite qui n’a pas su apporter une alternative crédible et aussi sur un fond de misère culturelle que ne pouvait irriguer spirituellement que l’underground clérical.
La frilosité de la mouvance démocratique – à laquelle se sont greffés les relents d’un confort qui n’est pas loin de la notion de la “trahison des clercs’’ chère à Julien Benda –, ont profité aux vieux appareils politiques. Cette situation d’anomie du corps social a discrédité le renouveau institutionnel et les réformes de l’État supposés être basés sur la perspective démocratique. En outre, le ras-le-bol de la population a atteint son acmé lorsqu’elle ne comprend pas la situation de surplace dans lequel a été mis le pays malgré une embellie financière que la crise mondiale n’a pas encore affectée substantiellement. La révélation des graves cas de corruption dans les sphères sensibles de l’État, le recrudescence sporadique et inexpliquée du terrorisme après sa mise à mort à la fin des années 1990, l’amplification des inégalités sociales et d’autres situations d’impasse qui frappent de larges franges de la population, tous ces éléments, et d’autres encore qui restent à diagnostiquer, se sont ligués dans une vaste conjuration pour diluer et éloigner la conscience politique chez notre jeunesse. Les déceptions et les désillusions issues de tels revirement de situation ont, par esprit de revanche et d’aigreur, dressé les citoyens contre leurs gouvernants et contre le système qu’ils incarnent. On ne fait pas dans la dentelle. Pas de distinguo. Ce sont tous ces malentendus qui trouvent leurs prolongements-et non leurs solutions – dans les émeutes. Ces dernières sont quotidiennement signalées dans les quatre coins du pays. L’émeute scelle l’échec de la politique. Elle déclare l’inanité du contrat social et remet en cause les valeurs de la citoyenneté. Les notions modernes de bonne gouvernance, de démocratie locale et de participation politique ne peuvent quitter le champ de la virtualité pour se traduire en actes dans la réalité quotidienne que par l’instauration d’une nouvelle culture basée sur l’effort, le respect des valeurs du travail et le respect du droit à la différence. Ce sont alors les droits et les devoirs de chacun qui seront plus nettement précisés et, partant, mieux assumés. L’ouverture du pays sur le reste du monde ne signifie pas seulement échange de marchandises et libre circulation des personnes ; ce sont les idées de progrès et de modernité bien socialisées qui seront aussi merveilleusement partagées. Ainsi, l’on ne devra plus admettre que l’avenir de l’Algérie soit éternellement moulé dans les lubies et les desiderata d’une classe politique en déphasage par rapport aux réalités du pays et tenant à nous servir la vieille recette de “valeur-refuge’’.
Amar Naït Messaoud
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