n Par Amar Naït Messaoud
Le pays paya chèrement ce genre d’errements politiques où le populisme rivalisait avec la démagogie. Il se réveilla brutalement à une nouvelle réalité où les aléas font partie du quotidien et où l’incertitude qui pèse sur le travail et l’emploi est devenue la seule… certitude du moment. Ainsi, une nouvelle terminologie verra le jour dans le monde du travail avec laquelle il faudra désormais compter : marché du travail, flexibilité du travail, chômage structurel/conjoncturel, qualifications, valeur réelle et pratique d’un diplôme, contrat à durée déterminée (CDD), contrat à durée indéterminée (CDI) et d’autres termes qui rompent radicalement avec les belles uniformité et linéarité d’antan qui faisaient d’un collégien, sans coup férir, un futur universitaire couronné d’un poste dans l’administration ou dans une entreprise publique.
De toutes façons, le monde du travail se dirige inéluctablement vers plus de flexibilité dans presque la totalité des domaines (horaires, rythmes hebdomadaires ou mensuels, rémunération,…). L’encadrement de l’État s’opérera, lui, dans les impératifs minimaux qui devront sauvegarder la santé et la dignité humaine du travailleur, y compris par un SMIG imposé (résultat de la concertation avec les partenaires sociaux) et une obligation de déclarations sociales (desquelles découleront les droits aux assurances sociales et à la retraite). En dehors de ces minima sociaux, les entreprises n’attendront de l’État que l’incitation à l’investissement, l’équité fiscale et l’exercice de son pouvoir régulateur.
Pour asseoir de tels schémas en direction des entreprises, des travailleurs et du marché de l’emploi- schémas qui contrastent radicalement avec l’ancien système administré-, l’État algérien a procédé à des réformes qui restent partielles ou qui manquent d’harmonie générale. En tout cas, c’est l’avis de plusieurs opérateurs économiques qui rencontrent une multitude de problèmes sur le terrain.
Une transition pénalisante
Au cours de cette période de transition de l’économie nationale-étape sensible pour tous les pays passant d’une économie administrée à une économie de marché-, le hiatus entre les différentes couches de la société se fait de plus en plus béant menaçant parfois même la stabilité du pays et la paix civile. Le nombre d’exclus ne cesse, en effet, d’augmenter, même si le gouvernement- à travers certains des différents dispositifs sociaux- essaye de contenir le cercle de la pauvreté en venant en aide aux catégories les plus vulnérables. Avec l’ouverture de l’économie nationale au privé, une nouvelle faune d’entrepreneurs a pris le relais d’une économie publique moribonde.
Dans presque tous les secteurs d’activité, des miro-entreprises de travaux, de prestations de service ou de production ont vu le jour. Le recrutement du personnel s’est limité au strict minimum pour faire des gains de productivité, partant, des gains de marge bénéficiaire. Cela dans le cas où l’employé serait déclaré à la sécurité sociale. Souvent, ce n’est pas le cas. Dans plusieurs villes d’Algérie, des ateliers de fabrication de chaussettes et d’autres lingeries, de petites usines de confection en maroquinerie, emploient des travailleurs et des travailleuses à ‘’huis-clos’’, c’est-à-dire, les portes fermées, de peur d’une visite inopinée de l’inspection du travail.
Comme on l’a observé à partir de certains témoignages, le travail au noir ne se limite pas à des activités commerciales non déclarées, mais il a aussi gangrené une partie des activités légales où les patrons d’entreprises bien installées ne déclarent pas la totalité du personnel recruté. La peur qui plane sur des emplois déjà précaires ne peut aboutir qu’à la loi de l’omerta. D’ailleurs, très peu de plaintes sont déposées au niveau des inspections de travail des wilayas se rapportant au non-respect des lois du travail. À ce niveau, les connivences sonnantes et trébuchantes entre l’administration et certains patrons sont un secret de Polichinelle.
Une enquête menée par le CREAD (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement) révèle que sur 7500 PME, 42% des effectifs ne sont pas déclarés et 30% de leur chiffre d’affaire échappent au fisc.
Les conséquences d’une transition économique mal conduite ont entraîné une libéralisation effrénée des prix, des plans sociaux pour les entreprises publiques, un taux de chômage effarant et, fait dont on ne mesure pas encore assez les conséquences, le laminage de la classe moyenne qui, partout dans le monde, représente l’ossature culturelle et idéologique de la cohésion sociale et de la construction du projet démocratique.
Vers un amendement du Code du travail
Parmi les dossiers que le gouvernement compte bientôt réactiver, l’amendement du code du travail constitue une pierre angulaire dans le nouvel édifice des lois et règlements inscrits dans l’agenda des réformes économiques et sociales. La révision de ce texte est prévue pour le deuxième semestre de l’année en cours.
Le dernier plan d’action du gouvernement présenté devant les députés de l’APN et du Sénat le mois de mai dernier, a été une occasion pour les représentants du peuple, mais aussi pour le Premier ministre, d’aborder la question des salaires, des statuts particuliers de la Fonction publique (dont une grande partie n’est pas encore finalisée) et d’autres problèmes liés au monde du travail.
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a recentré le débat sur le monde de l’entreprise et de l’investissement créateur d’emplois. Les investissements publics focalisés sur les grandes infrastructures et les équipements publics vont continuer à travers le plan 2010-2014 actuellement en phase de formulation. Ces ouvrages et infrastructures- en tant qu’éléments participant à la viabilisation du cadre physique dans lequel évolueront les entreprises- sont censés justement attirer et faciliter les investissements privés, nationaux et étrangers.
Cependant, l’évolution rapide du cadre de travail des ouvriers et techniciens algériens a charrié une nouvelles vision et d’autres exigences en matière de salaire, de formation, de conditions ergonomiques, de santé et de relation de travail. C’est pourquoi un nouveau cadre institutionnel lié à la législation du travail s’avère aux yeux des analystes et des pouvoirs publics une nécessité vitale.
Presque dans tous leurs aspects, l’exercice du travail et les contraintes qui lui sont inhérentes se présentent sous un jour nouveau en Algérie. En effet, depuis le début de la décennie 2000, la plus grande proportion d’employeurs revient au secteur privé. C’est lui qui crée de l’emploi à la faveur de l’émergence de l’entreprise privée encouragée par la nouvelle législation du pays. De même, le monde syndical a, lui aussi, subi une évolution, du moins dans son appréhension par les travailleurs. Quant au prolongement pratique sur le terrain, seule la pression et la persévérance pourront rendre légales ces nouvelles formes de lutte.
L’entrée en scène des entreprises étrangères sur nos chantiers d’autoroute ou de tramway ou bien encore dans certaines représentations commerciales a indubitablement charrié une nouvelle discipline du travail à laquelle les travailleurs algériens ne peuvent que se soumettre.
Les limites objectifs des dispositifs sociaux
Avec l’ajustement structurel dont l’économie algérienne fit l’objet après le rééchelonnement de sa dette extérieure au début des années 1990, le monde du travail et de l’emploi se trouvera chamboulé de fond en comble. Plus d’un demi-million de travailleurs des entreprises publiques seront compressés. Du jour au lendemain, sans dispositif social particulier qui amortirait le choc, la société algérienne était sommée d’accepter l’amère réalité du chômage, donc de la disparition de revenus, qui plus est, intervient au moment de la montée des périls liés au terrorisme islamiste. Depuis cette grande fracture dans la sphère sociale et la machine économique algérienne, de multiples tentatives de redresser la situation de l’emploi ont été faites par les pouvoirs publics.
Les dispositifs sociaux- tels l’emploi de jeunes, le filet social, le pré-emploi, le DAIP, les TUP-HIMO, l’ABC et autres formules qui ont évolué dans leur système d’intervention au fil des quinze dernières années- ne pouvaient réellement répondre à la problématique de l’emploi eu sens économique du terme.
Ces sont plutôt des formules qui ont permis d’amortir le choc de la récession économique et de limiter un tant soit peu les mouvements de contestation sociale. La précarité de ces postes d’emploi s’est révélée au grand jour quelque années après leur mise en application pour la simple raison que les mécanismes économiques d’investissement devant créer des emplois réels ont tardé à se mettre en place et ont manqué visiblement d’envergure.
Depuis une dizaine d’années et à différentes occasions- séminaires, cadre de la Tripartite,…-une multitude de thème liés à la problématique de l’emploi et de la formation ont été abordés, à l’exemple du marché de l’emploi, du système éducatif et de ses effets sur le développement, de la formation professionnelle et de sa contribution à l’insertion des jeunes dans la vie active, de l’avenir de l’entreprise,…
Les statistiques de l’emploi établissent une réduction du taux de chômage qui est passé de 29% en 1999 à 11,8% en 2007. Cela équivaut à la création de 3,3 millions d’emplois toutes catégories confondues (permanents et vacataires).
Les dispositifs sociaux ont tendance à gonfler les chiffres d’emplois crées. Dans son discours devant l’APN où il a présenté le plan d’action du gouvernement en mai dernier, Ahmed Ouyahia a tenu justement à établir la distinction entre, d’une part, les vrais emplois crées par les entreprises ou dans la cadre de la création de postes budgétaires dans la fonction publique et, d’autre part, le soutien temporaire de l’État apporté aux jeunes chômeurs à travers des dispositifs sociaux précaires.
Outre le taux chiffré qui le caractérise, le chômage en Algérie est aussi grevé d’une spécificité établie par des études économiques et des analyses sociales réalisées par des institutions officielles algériennes, mais aussi par des organisations internationales. En effet, le chômage dans notre pays est principalement généré par un énorme déficit de qualification.
Ce phénomène a été particulièrement mis à nu depuis l’ouverture de notre économie sur le marché et l’initiative privée.
Des entreprises passent des mois, parfois des années, à chercher des détenteurs de métiers d’exécution (chauffagistes, charpentiers, électriciens bâtiment, chefs d’équipes, contre-maîtres dans un quelconque métier) sans être récompensés en retour. Des offres d’emploi se répètent indéfiniment dans les journaux sans que des ouvriers spécialisés de qualité ou des agents maîtrisant parfaitement leur activité soient dénichés.
Là se pose avec acuité le problème de la qualité de l’enseignement reçu dans les centres de formation, sachant que des dizaines de centres sont parfois démunis du minimum d’équipement ou outillage didactique nécessaire à une solide formation, tout en sachant-situation paradoxale- que, le nombre de diplômés sortant chaque année de la centaine de centres de formation professionnelle répartis sur le territoire national est évalué à 190 000.
Dans le cadre de la loi des Finances 2009, il est alloué au ministère de la Formation professionnelle une enveloppe financière de 23 milliards de dinars (crédit annuel d’équipement) et un montant de 26 milliards de dinars au titre du budget de fonctionnement. Le nombre d’établissements de formation a plus que doublé entre 1999 et 2008.
Il est passé de 492 à 1.035, en attendant la livraison de 116 autres unités en cours de réalisation. Le nombre d’élèves-stagiaires pour la rentrée de cette année est évalué à 650 000 (dont 200 000 nouveaux), nombre auquel s’ajoutent les 40 000 élèves qui suivent une formation dans les 537 établissement privés de formation professionnelle. Les capacités d’hébergement sont de 45 000 lits, alors que le nombre d’enseignants exerçant dans ce type d’établissement est aujourd’hui de 13 400.
Vers un processus d’insertion plus conséquent
Les efforts de l’État pour lutter contre le chômage sont appelés à se poursuivre. En effet, dans le nouveau plan d’investissement public 2010-2014, il est prévu la création de trois millions d’emplois en plus de 100.000 emplois nouveaux créés dans le cadre du programme présidentiel des 100 locaux commerciaux. Cela équivaut à un rythme d’insertion de 400 000 chômeurs par an.
L’autre défi complexe de l’emploi en Algérie est celui du débouché des futurs diplômés de l’Université sachant que cette dernière abritera, d’après des estimations officielles, quelques deux millions d’étudiants à l’horizon proche de 2015.
Le professeur d’économie à l’Université d’Oran et expert international, M. Mohamed Bahloul, dans une intervention faite lors des ateliers régionaux organisés en juillet dernier par le parti du RND à Oran, l’important « n’est pas le volume du chômage, mais sa composante sociologique ». Dans le même ordre d’idées, il a indiqué que le chômage en Algérie est de type spécifique, à dominante jeune et de surcroît urbain et semi urbain.
À la fin des années 1990, le taux de chômage était estimé entre 29 et30 % de la population active. Un seuil intolérable politiquement et destructeur socialement. Cette chute de l’emploi était due principalement à la ‘’cure’’ du FMI ayant pour nom le Plan d’ajustement structurel (PAS) qui avait installé la libéralisation des prix et conduit à la fermeture de plusieurs entreprises publiques. Plus de 500 000 travailleurs ont été licenciés en quelques années, y compris par les trompeuses et provisoirement alléchantes formules de départ volontaire et de retraite anticipée ; deux formules qui ont cassé les possibilités de relève au sein de nos entreprises et de notre administration.
La relance de la création d’emploi a connu un premier bond avec la mise en œuvre du PSRE (Plan de soutien à la relance économique) à la fin de l’année 1999. Alors que le taux de chômage était à la fin du siècle dernier, de 30 % de la population active, il a pu redescendre jusqu’à 15 % au moment où le PCSC (Plan complémentaire de soutien à la croissance) a été conçu, c’est-à-dire en 2005.
Les chiffres du chômage de 2008 donnent un taux de 12 % de la population active. Le mois de février dernier, ce chiffre a été révisé à la baisse (11,8%) par le directeur de l’ANEM.
Il est clair que d’autres indices de mal-vie et de chômage sont connus dans notre pays en dehors des seuls chiffres de l’emploi. La violence sociale, la ‘’harga’’, le suicide,…ne sont pas tout à fait étrangers au phénomène du chômage et du désœuvrement même si d’autres éléments de la crise sociale et culturelle viennent fertiliser ce terrible terreau.
Sur le plan politique et institutionnel, il est généralement établi que les données les plus déterminantes qu’un gouvernement se doit d’intégrer dans sa stratégie de gestion est, sans aucun doute, la situation de l’emploi. Facteur de cohésion sociale et de dignité individuelle, le travail constitue la véritable, sinon la seule source de richesse des ménages, des nations et des peuples. Les risques qui pèsent actuellement sur l’emploi sont induits par l’éventualité d’une remise en cause des financements des grands projets initiés dans le cadre du quinquennat en cours suite à la crise financière mondiale.
Le chômage en Algérie, selon Mohamed Bahloul, « n’est pas un chômage quelconque. Il peut avoir des conséquences incontrôlables », a-t-il déclaré en invitant l’assistance à méditer sur le phénomène des harraga. Analysant le marché de l’emploi, cet expert a estimé que les emplois crées ne sont pas durables, malgré l’injection de gros budgets de l’État pour l’absorption du chômage. « Nous devons apprendre à créer l’entreprise », a-t-il conclu en plaçant l’entreprise au cœur des réformes.
Les présupposés de qualification
En vue de créer une adéquation entre les besoins de l’économie et le système de formation, un cadre institutionnel et pédagogique idoine est indispensable. Il s’agit, en effet, de former les techniciens et les cadres dont aura besoin l’économie nationale dans quelques années, économie soumise à rude épreuve par les impératifs de productivité, d’efficacité technique et d’innovation ainsi que par la mondialisation des échanges de plus en plus offensive.
Pour réussir un tel pari, les réformes de l’enseignement ne pourront plus se limiter aux établissements gérés par le ministère de l’Éducation (école primaire, collège et lycée), mais devraient englober- par une vision stratégique d’articulation et de juxtaposition des synergies-les différents secteurs qui concourent à cet objectif et l’ensemble des segments de la formation, qu’ils soient pilotés par l’Éducation nationale, l’Université, les Instituts relevant des autres départements ministériels ou par la Formation professionnelle. C’est dans le cadre de cette politique de complémentarité et d’intégration que l’Enseignement technique a fait l’objet en 2006 d’un repositionnement le faisant passer de l’Éducation nationale vers la Formation professionnelle.
L’ex recteur de l’Université Mohamed Boudiaf et sénateur, M. Mohamed Mebarki a abordé, dans son intervention, le rôle du système éducatif et la contribution de la formation professionnelle à l’insertion des jeunes dans la vie active, proposant la création de grandes écoles nationales dans certaines spécialités, là où le potentiel existe, comme par exemple la création d’une École nationale de construction à Oran, une École nationale des mines à Annaba, une École d’électronique à Sidi Bel-Abbes et d’électroménager à Tizi-Ouzou.
Amar Naït Messaoud