n Par Amar Naït Messaoud
Les experts réunis à Alger dans le cadre du 5e Forum international de la Finance au printemps dernier ont ciblé, dans leur analyse, la réactivité du système bancaire dont la sérénité présente peut s’avérer illusoire dans quelques mois. En effet, ils notent que « les déconnexions des banques maghrébines des systèmes financiers internationaux, leur retard dans le développement sont « bénéfiques » à court terme vis à vis de la crise économique mondiale mais peuvent s’avérer néfastes à moyen terme si cette crise perdure ».
Le ‘’ventre mou’’ de ce secteur serait d’abord une certaine forme d’assèchement des transferts des émigrés, phénomène qui fera ses effets particulièrement sur le Maroc qui compte sur la devise rapportée par sa communauté à l’étranger comme première ressource de la Nation), puis une réduction importante des investissements directs étrangers (IDE) dans la région et aussi un ralentissement du tourisme.
Même si, dans l’état actuel des choses, le financement de l’économie ne paraît pas menacé- et les signes viennent d’être donnés par la réunion au début de l’été d’un Conseil des ministres qui a confirmé la préparation d’un nouveau plan d’investissements publics 2010-2014 et le projet de création de 200 000 PMI/PME durant le quinquennat en question-, les appréhensions des experts et autres analystes des finances ne sont pas sans fondement.
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, estime que «L’économie nationale risque de pâtir de la crise financière à cause du ralentissement de la croissance mondiale engendré par cette crise, notamment la baisse de la demande sur le pétrole, dont les exportations constituant la quasi-totalité des ressources en devises de l’Algérie ». Il n’est un secret pour personne que, pour sa part, le secteur bancaire algérien réclame de profondes réformes qui puissent l’arrimer au rythme et au volume de l’activité économique. Les surliquidités de 1400 milliards de dinars constatées en 2008 sont un capital dormant qui dénote un déficit d’ingénierie financière et exprime le béant fossé qui sépare l’économie réelle des possibilités de financement.
Un accompagnement problématique
Le président du Forum des Chefs d’Entreprises (FCE) et vice-président de la Chambre de commerce algéro-suisse, Reda Hamiani, a appelé juste après sa réélection à la tête de son organisation patronale les banques à continuer à accompagner les petites et moyennes entreprises dans le financement de leurs projets. « Il est vital que le secteur bancaire puisse se mettre en situation de pouvoir accompagner les entreprises pour l’émergence de grandes entreprises championnes » en Algérie, a souligné M. Hamiani, lors de son intervention au Forum international de la finance.
Sur un autre plan, et dans le cadre de l’installation de nouvelles banques étrangères en Algérie, le président Bouteflika a déjà demandé l’établissement d’un nouveau cahier de charges qui contraindrait ces établissements à certaines règles allant dans le sens de l’encouragement à l’investissement ; il s’agit de les «obliger à réserver une partie de leur portefeuille au financement réel de l’investissement et non pas à se limiter à l’accompagnement du commerce extérieur ou à la promotions de crédits à la consommation. Nous sommes pour l’ouverture des banques étrangères et aux banques privées, mais dans le respect des normes universelles. Nous respecterons les normes internationales avec nos partenaires étrangers dans tous les domaines, mais nous attendons aussi de leur part le respect des intérêts de l’Algérie ». Les réflexes de gestion nés de la fâcheuse expérience des banques privées-se rappeler le cas extrême de l’affaire Khalifa- ont installé un climat de défiance qui s’est matérialisé par des réticences légitimes pour tout investissement dans le domaine de la finance. Mais les comportements radicaux ou les verrouillages systématiques ont-ils jamais constitué des solutions sérieuses ? D’autant plus que le ‘’procès’’ des banques publiques- auxquelles est reproché le manque d’efficacité dans le financement de l’investissement- a été fait par l’ensemble des acteurs économiques, y compris le président de la République dans ses différentes interventions. Des institutions internationales ont mis en relief cette aberration qui a fait que des surliquidités sont enregistrées dans nos banques. Dans l’avenir immédiat, seul un partenariat avec l’étranger ou une prise de participation d’organismes privés pourraient peut-être ‘’inoculer’’ une nouvelle culture managériale aux établissement financiers publics pour sortir de ce statisme mortel qui fait de nos banques de simples caisses de dépôt ou des guichets pour les salaires. Les pouvoirs publics- malgré le flop du CPA pour lequel ont dit préparer un nouvel appel à participation- l’ont apparemment compris puisqu’ils sont en train de préparer d’autres établissements financiers à la prise de participation. Mais l’épisode de la chute de l’empire Khalifa a sans aucun doute contribué à retarder le processus de privatisation des banques et d’agréments d’autres banques ou établissements financiers privés.
Les limites d’un financement aléatoire
Le constat de la dichotomie entre disponibilités financières du pays et rythmes/volumes d’investissement a été établi par les pouvoirs publics, les experts et les analystes de la scène économique et politique algérienne. Donnant, l’an dernier, son appréciation sur la conjoncture économique de notre pays, M. Redha Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises, dira qu’elle est caractérisée par de grandes disponibilités financières générés par la rente pétrolière, mais qu’elle souffre du déficit des acteurs sur le terrain. «Les entreprises publiques souffrent de difficultés structurelles, tandis que le secteur privé demeure encore faible», constate-t-il. Il expliquera que le secteur économique public subit des restructurations perpétuelles qui l’ont affaibli et l’ont conduit à voir ses parts de marcher reculer d’une façon constante. Le secteur privé, quant à lui, patine toujours du fait que sa composante n’a pas dépassé le stade d’entreprise familiale. « Elle est de faible envergure et enfermée sur elle-même. Il faudra parvenir à des entreprises privées capables de s’autofinancer à hauteur de 30% au moins et s’acheminer vers la séparation entre les notions de propriété et de gestion. Il faut se départir de l’idée que celui qui détient les capitaux doit nécessairement gérer. 90% des entreprises privées ont une gestion familiale qui n’intègre jamais le budget de Recherche et Développement (R&D) et qui ne montre aucune volonté d’ouverture du capital. Leur comptabilité manque de transparence, ce qui explique leur non admission en bourse. Le secteur privé a recours aussi au marché parallèle puisqu’une grande partie des ressources financières ne transitent pas par les banques », ajoute M.Hamiani. Le président du FCE a pu noter que même si le secteur privé contribue à la création de richesses à hauteur de 80%, il n’a bénéficié que de 53% des montants des crédits destinés à l’économie. Le reste, c’est-à-dire 47%, tombe dans l’escarcelle des entreprises publiques. Il met en garde contre la poursuite d’une politique économique qui risque de faire de l’Algérie un pur marché de la consommation. « La production locale est en train de vivre une rude concurrence face aux produits d’importation. Gardons-nous de répéter les erreurs du passé qui ont fait qu’on s’était appuyé sur l’industrie industrialisante et les usines clefs en main », avertissait–il.
Dans le contexte de l’économie algérienne, explique-t-il encore, le marché a subi de profondes transformations. Les acteurs économiques sont invités, dès lors, à revoir leur perception des défis. Les grands écueils ne se situent pas exclusivement au niveau du foncier, du financement bancaire et de la bureaucratie administrative. De nouveaux problèmes, inconnus par le passé, sont en train de surgir dans la sphère de production.« L’acteur économique ne sait pas encore que sa marchandise peut rester en stock suite à l’entrée envahissante des produits asiatiques et turques lesquelles bénéficient de prix concurrentiels et de la meilleure qualité. De nouvelles charges devraient être supportées par le producteur algérien : publicité, réseau de distribution, réseau commercial. Le marché algérien connaît d’autres problèmes nouveaux à l’exemple de la croissance fulgurante du marché parallèle et la contrefaçon. On est arrivé au constat qu’il est plus facile d’acheter de l’étranger des produits de contrefaçon à prix modique que de les fabriquer localement. Sur plusieurs aspects, le marché est dominé par les importateurs en place et lieu des producteurs ».
Le concours du Fonds d’investissement et l’alternative des PME
Le Fonds national d’investissement (FNI)- dont le président de la République a annoncé la création en février 2009 est officiellement mis en place à partir du 1er mars dernier. Ce nouvel instrument d’accompagnement financier des entreprises est issu de la restructuration de la Banque algérienne de développement (BEA), structure chargée traditionnellement de la gestion des prêts extérieurs destinés au développement des infrastructures et équipement publics. En s’inscrivant dans « la dynamique de soutien financier à l’investissement », comme le souligne le ministre des Finances, ce Fonds doté de 150 milliards de dinars est chargé, d’après le ministre, « d’apporter les ressources financières supplémentaires et de répondre aux attentes des investisseurs par une approche nouvelle ». A ce jour, les crédits bancaires mobilisés pour financer l’économie se montent à 2 600 milliards de dinars, soit une croissance annuelle de 15%. C’est en complémentarité de ces crédits que le FNI a été mobilisé avec, il est vrai, quelques avantages comme la possibilité de prêts consensuels à des taux réduits, mais aussi une option de garantie par l’État. Le ministre des Finances précise que ce sont des financements à long terme destinés à encourager les investissements directs étrangers (IDE) ainsi que les investissements nationaux. À moyen terme, le FNI pourra intervenir pour un seuil minimal de 1000 milliards de dinars. Il y a lieu de noter l’observation d’un expert en économie et management, le Dr Lamiri, qui, lors d’un récent colloque algéro-franco-québécois sur «L’entreprenariat et la PME algérienne face au défi de la mondialisation », par laquelle il révèle que les financements bancaires sont dédiés, entre 40 à 45 %, à des entreprises publiques à capacité réduite de remboursement, et entre 5 et 9 % aux petites et moyennes entreprises. Les PME se trouvent ainsi pénalisées par un système de financement que les règles prudentielles entraînent vers une inexplicable rigidité. À la même occasion, le professeur canadien André Joyal, de l’Institut de recherche sur la PME a mis en exergue le rôle que peuvent jouer les petites et moyennes entreprises dans la résistance à l’effondrement des économies nationales dans le contexte actuel de la crise mondiale. Pour ce faire, l’État, en tant qu’instance de régulation et d’encouragement, est censé assumer magistralement son rôle. « L’État doit être meilleur dans son fonctionnement, facilitateur, partenaire efficace des entreprises », estime-t-il.
Rigidités des mécanismes et des mentalités
Les autorités politique et des experts aussi bien nationaux qu’étrangers se sont penchés sur l’identification des divers et nombreux blocages qui ont hypothéqué jusqu’ici les grands flux d’investissement que notre pays est en droit d’attendre dans une conjoncture exceptionnellement propice sur le plan des finances publiques et de l’équilibre des grands agrégats économiques. Le traitement des dossiers par l’ANDI (Agence nationale du développement de l’investissement), du moins jusqu’au dernier amendement qui enrichit les missions de cet organisme, ne semble pas donner tous les résultats escomptés. Et pour cause, le passage au crible de cette Agence des différents dossiers qui atterrissent sur son bureau se limitait à faire valoir les avantages (fiscaux, douaniers, taux d’intérêt des crédits,…) accordés par l’État aux candidats à l’investissement. De nombreux projets validés par cette institution qui travaille pour le compte de l’État n’ont pas pu voir le jour des années après leur validation en raison des lenteurs, entraves et dysfonctionnements qui caractérisent les autres institutions chargées d’encadrer l’investissement (banques, caisses de garantie, services de la wilaya pour ce qui a trait au foncier industriel,…). Pire, des avantages fiscaux (dégrèvement de TVA) ont été détournés par des pseudo-investisseurs de façon à revendre un matériel qu’ils venaient juste d’acquérir. On a dit d’eux qu’ils vivent de la TVA.
En tout cas, face à tous ces aléas, le gouvernement a initié un nouveau code des investissements qui est à l’état de gestation, mais qui est censé casser les barrières qui s’opposent aux investissements nationaux et étrangers massifs.
Le phénomène de l’économie informelle qui ronge depuis des décennies le reste des autres activités relevant de l’économie structurée a aussi été appréhendé par le président de la République comme un facteur de blocage de l’investissement. Ainsi, outre les mesures et réglementations destinées à lutter contre le blanchiment d’argent, la contrebande, la contrefaçon et la corruption, il mettra en exergue « les réformes en cours qui ont permis une meilleure bancarisation de l’économie, la réduction de la pression fiscale, la libéralisation du commerce extérieur, la convertibilité commerciale de la monnaie nationale, la simplification des formalités douanières ».
Ce sont des facteurs, assure Bouteflika, « qui doivent concourir à l’assèchement des activités dans la sphère informelle ». En tout cas, avec le nombre de personnes qu’il emploie-presque un million et demi de personnes entre faux commerçants et employés non déclarés sur les chantiers- et l’éventail des activités qu’il brasse, le secteur de l’informel ne peut laisser indifférents ni les pouvoirs publics, ni les vrais acteurs de la vie économique légalement installés, ni les services des Impôts et Caisses sociales pour qui le manque à gagner se chiffre en centaines de milliards de dinars (évasion fiscale) ni, à plus forte raison, l’opposition politique et le monde syndical.
Un éreintant stand-by
La moyenne du rythme des investissements directs étrangers en Algérie est de 1 milliard de dollars par an. C’est ce qu’a révélé le ministre des Finances, Karim Djoudi : l’occasion de l’installation du Fonds national d’investissement. Cette donnée, tout en révélant l’ampleur des investissements d’un pays et son degré d’attractivité, ne constitue pas, aux yeux de certains partenaires économiques nationaux, une condition sine qua non pour se lancer dans des opérations d’investissement dans leur propre pays.
Le programme d’investissement euro-méditerranéen, appelé ‘’Invest in Med’’ lancé en 2008 à partir de la Tunisie touchera notre pays et visera à mettre en relation les partenaires et acteurs économiques à travers des rencontres d’affaires et des conférences, comme il s’emploiera à mettre en place des opérations d’assistance, des sessions de formation et d’études. Pour mener efficacement ces actions, ce programme d’investissement ciblera des ‘’niches sectorielles’’ précises ou des domaines ‘’transversaux’’ à l’image des jeunes entrepreneurs et des femmes, la micro-entreprise, le partenariat public/privé et la promotion des PME. Plus que le milliard de dollars dont a fait état le ministre des Finances, dans des conditions idéales du climat d’investissement, l’Algérie pourrait accueillir des IDE de l’ordre de 5 ou 6 milliards de dollars d’après les spécialistes.
Comme ont eu à le déplorer les autorités politiques du pays, dans la phase actuelle, ce sont plutôt les opérations purement commerciales (représentations en Algérie de firmes de construction automobile, de fabrication de médicaments) qui font l’actualité de l’investissement en Algérie. En tout cas, dans le rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) sur l’investissement dans le monde en 2008, notre pays se retrouve dans la position de huitième en Afrique en matière d’attractivité pour les investissements étrangers. Ces derniers étaient de 1,6 milliard de dollars en 2007 en direction de l’Algérie, selon l’institution onusienne. L’Algérie vient bien après le Nigeria (12,5 mds de $), l’Egypte (11,6 mds de $), l’Afrique du Sud (5,2 mds de $), la Maroc (2,6 mds de $), la Libye (2,5 de $) et le Soudan (2,4 de $). Pour toute l’Afrique, les IDE représentent 53 milliards de dollars en 2007. L’Algérie en a capté à peine 3 %. Il est vrai que le critère des IDE a été fort discuté en Algérie pour savoir s’il constitue une base logique de réflexion sur les vrais investissements porteurs de richesses et de possibilités de création d’emplois dans le pays. Cependant, ce signal demeure un sérieux critère en matière du degré d’attractivité pour les entreprises étrangères, donc du climat des affaires dans le pays.
À quand l’assainissement du climat d’investissement ?
Deux signaux venus de deux autres institutions internationales ont probablement valeur d’ ‘’avertissement’’. Transparency International (TI) s’inquiètait en 2008 des ravages de la corruption et classe Algérie à la 99e place sur un panel de 180 pays. La Banque mondiale, elle, met notre pays à la 125e place sur un ensemble de 178 pays étudiés sur le plan du climat des affaires. Un rapport actualisé émanant de la même institution renvoie l’Algérie à la…132e place. Il faut dire que la convergence des ces deux cotations (corruption et climat des affaires) n’est nullement le fait du hasard ; une infernale relation dialectique jette ses ponts entre les deux phénomènes : climat des affaires lourd, empêtré dans une légendaire bureaucratie et dissuadant les investissements, d’une part, et corruption à grande échelle ayant gangrené le corps de la société et miné la pyramide déjà vermoulue des principaux rouages de l’administration, d’autre part.
Cette faiblesse chronique des gros investissements en Algérie relativise évidemment le constat d’ouverture sur le marché des investissements et traîne dans son sillage la symptomatologie d’une économie qui n’arrive pas encore à sortir des ornières de la rente où elle a englué depuis au moins trois décennies.
C’est Ahmed Ouyahia qui explique : « les structures de l’État n’ont jamais eu à gérer autant d’argent. Ceci a engendré du gaspillage, un comportement, je dirais, d’enfant gâté, en plus de l’existence de la corruption et de détournements, conjugués aux effets de la crise nationale que l’Algérie a subie, qui a fait que des groupes d’intérêts se sont renforcés et ont engrangés des gains illicites ».
Ainsi, les limites du ‘’miracle’’ pétrolier sont chaque jour mises en évidence. Après des ascensions successives qui ont fait monter le baril jusqu’à des sommets historiques, l’or noir risque de revoir les bas-fonds d’une dangereuse dépression dans une conjoncture où l’OPEP voit sa marge de manœuvre se réduire chaque jour et face aussi à de prodigieux progrès techniques réalisés dans la recherche des énergies alternatives renouvelables (éoliennes et solaires). La plus grande centrale solaire du monde est déjà installée au Portugal. Une autre centrale est prévue dans le Sahara algérien à Adrar pour transférer de l’énergie sur la république allemande. Outre la raréfaction de la ressource, les hydrocarbures vont nécessairement, tôt ou tare, faire face à l’émergence des énergies nouvelles et renouvelables.
Amar Naït Messaoud