Jeux sans enjeux

Partager

L’engouement surfait par le renouvellement des deux tiers de la composante du Sénat a presque fait oublier à certains que cette dernière – élue par un collège d’électeurs – est issue d’élections initiales, celle de 2007, fort contestées en matière de représentation politique et de représentativité populaire. Le triomphe du FLN – au moment où la société et l’économie de l’Algérie se veulent plus ouvertes sur le monde et la modernité – montre la dichotomie toujours à l’œuvre entre l’Algérie réelle, celle du labeur, de l’effort et de l’authenticité, et l’Algérie de nostalgie démagogique qui ne veut pas d’un ancrage dans le XXIe siècle. Si un début de sursaut a eu lieu à la veille des sénatoriales, matérialisé dans l’alliance entre le RND et le PT, celui-ci n’a pas pu peser d’un poids considérable sur les résultats du scrutin.

En tout cas, le Sénat a pris dans notre pays un aspect sans relief au même titre que l’Assemblée populaire nationale. L’Alliance présidentielle sur laquelle s’appuie la majorité politique qui y siège demeure un conglomérat amorphe qui peine à renouveler l’air et l’énergie d’une institution qui, sous d’autres cieux, jouit d’un prestige et d’une aura inégalables.

Il faut reconnaître qu’en dehors de la fièvre qui a gagné les partis qui ont pris part à ces élection, aucun mouvement ou intérêt particulier n’a été enregistré au niveau de la population ou de la rue. La désaffection a même été augmentée par les potins et les cancans portant sur l’achat des voix et d’autres manœuvres peu orthodoxes.

Le message de l’ “anorexie électorale’’ est sans aucun doute à situer à ce niveau : un véritable désaveu de l’état de surplace dans lequel sont maintenus les institutions, l’appareil économique et les structures politico-administratives du pays. Pour les populations qui ont eu à subir pendant plus d’une décennie les horreurs du terrorisme le plus barbare de l’histoire moderne et qui ont bravement résisté à l’anéantissement de l’esprit de novembre, pour les travailleurs rejetés par le système économique rentier qui était au bout de son rouleau, pour les rares capitaines d’industrie qui ont eu le courage d’investir et de s’investir dans un climat d’adversité patente due aux structures obsolètes de l’administration et des banques, pour les populations et les élites qui payent régulièrement et de façon sanglante leur engagement dans l’entreprise de démocratisation du pays, pour tous ces acteurs au mérite inégalé d’une Algérie endolorie et meurtrie, la déception a été immense lorsque, à chaque pas fait vers de nouvelles conquêtes d’émancipation citoyenne, de liberté et de développement économique, les structures et les appareils archaïques régentant le pays les rabaissent, les malmènent et les bloquent dans leur élan. En reproduisant ces échecs à l’infini et en obérant les efforts des démocrates à tous les échelons de la société, le pouvoir politique a une responsabilité dans la prise en otage de l’Algérie par les charlatans de la politique et par les réseaux mafieux de l’économie. La complicité idéologique et la solidarité de corps entre les deux n’est plus à démontrer. Pour que la société puisse reprendre l’initiative et s’ouvrir de nouveaux horizons dans un monde qui, chaque jour, voit ses frontières s’effacer et ses distances se réduire, les élites et les cercles de décision sont plus que jamais interpellés. La solidité et la cohésion de la nation ne se limitent pas à une mémoire et une histoire communes. Comme l’amour, ses preuves doivent être faites chaque jour. Et ce n’est pas avec des institutions claudicantes qu’on espérera faire faire le bond nécessaire au pays pour le projeter dans l’orbite du siècle qui commence.

Parce que participant d’une façon décisive à la “mécanique’’ institutionnelle du pays, l’on ne peut honnêtement dissimuler les déficits politiques et fonctionnels du Sénat ou faire table rase des griefs faits au fonctionnement de cette assemblée par certains partis politiques et par des personnalités indépendantes. Ces griefs se résument probablement dans ce verdict peu glorieux qui fait de cette noble institution une “caisse de résonance’’ du pouvoir politique allant jusqu’à déclarer la confusion entre l’exécutif et le législatif théoriquement et constitutionnellement séparés.

Seule une vie institutionnelle stable et dégagée des interférences parasitaires pourra un jour, si le pays s’engage résolument dans la voie démocratique, faire valoir les choix citoyens et leurs corollaires obligés : la sanction par les urnes et l’alternance au pouvoir.

Amar Naït Messaoud

Partager