L’intolérance frappe à Tizi. C’est doublement inquiétant d’autant que la cité kabyle s’est voulue l’exception qui infirme la règle d’un pays en proie aux démons du fanatisme et des idées rétrogrades. On ne sait si tel est leur dessein mais les fanatiques font d’une pierre deux coups : attaquer un culte “ennemi” et discréditer une ville symbole, capitale d’une région qu’on veut être celle de la plus grande ouverture au monde. Nous voilà donc honteusement ramenés à babiller sur le ba-b.a. de la tolérance quand nous croyions que notre destin était d’éclairer la nation, voire le Maghreb tout entier ! Pleure ô pays bien-aimé ! Kabyles de l’Internet et d’ailleurs, ne nous infligez surtout pas la honte d’une pétition pour défendre le droit à la différence à Tizi ! Les malheurs faits à l’Eglise protestante constituent une nouvelle défaite de la ténue espérance moderniste nationale à laquelle la Kabylie fournissait – la conjugaison au passé s’impose – malheureusement la plus massive justification populaire. C’est tellement grave qu’on ne peut se conforter du fait que ces actes d’intolérance sont loin d’être représentatifs de la tendance générale en Kabylie, ni même du pays tout entier. Même si dans plusieurs villes et villages, les chrétiens, nouveaux convertis en général, continuent de pratiquer leur culte sans anicroche, il est connu que ce sont les minorités qui sont les véritables moteurs de l’Histoire. De tels actes, s’ils ne trouvent pas la condamnation idoine de la part de la société, vont durablement entacher la réputation d’une région où le chancre intégriste trouvait du mal à pousser. Jusqu’à l’épisode de Tizi-Ouzou, c’était plutôt les appareils de l’Etat qui avaient inscrit les actes les plus lamentables au chapitre de l’intolérance. Du procès de Habiba Kouider, coupable de trimballer des Bibles, jusqu’à la “casseuse” de ramadan, tant de péripéties où la gravité le dispute à la bouffonnerie.
A chaque fois, les franges les plus éclairées de la société s’étaient mobilisées pour ramener les autorités à plus de mesures dans le traitement de pareilles affaires et extraire les persécutés des geôles de l’intolérance d’Etat. La Kabylie, qui a répudié depuis quelque temps ses cadres de lutte et de débats classiques n’a pas, pour autant, créé de nouveaux. Les islamistes s’instillent désormais dans les béances ouvertes par le reflux de la mouvance démocratique. Chloroformée dans une ambiance politique délétère, la région a du mal à imposer son être profond. La démission, la démobilisation, l’exil et la renonciation sont le lot de ses franges les plus dynamiques. Malheureusement, ce qui nous arrive est, sans doute, moins grave que ce qui nous attend.
M. Bessa