Une nécessaire mise à niveau

Partager

n Par Amar Naït Messaoud

Restent les cocontractants privés sur lesquels pèsent souvent des préjugés défavorables lorsqu’ils sont partenaires avec les structures de l’État. Depuis une décennie, l’Algérie a entrepris des projets gigantesques sur l’ensemble du territoire national portant surtout sur les grandes infrastructures (routes, autoroutes, barrages hydrauliques, transferts et adduction d’eau, stations de dessalement, voies de chemins de fer, acquisition à l’étranger de matériel nouveau [voitures et locomotives de chemins de fer, matériel médical pour les hôpitaux,…]).

Cette masse d’investissement dont le montant dépasse les 200 milliards de dollars en dix ans a, de proche en proche, révélé au grand jour les limites de la législation algérienne en matière de réglementation des marchés publics. Le nombre de contrats proposés à l’approbation des commissions de wilaya des marchés ou, le cas échéant, à la commission nationale des marchés sous tutelle du ministère des Finances, n’a jamais atteint les seuils qui sont aujourd’hui les siens. Ce sont tous les secteurs de la vie économique nationale qui ont été appelés à déposer sur les bureaux desdites commissions des centaines de cahiers de charges et de contrats de travaux, de fournitures ou d’études. Tous les programmes initiés par le pouvoirs publics (PSSR, PCSC, Hauts Plateaux, Sud, PSD,…) ont généré des procédures de contractualisation assez lourdes et éreintantes pour les agents et cadres appelés à les traiter et en arbitrer les processus.

La complexité de la tâche s’accentua lorsque certains maîtres de l’ouvrage eurent à concilier entre la législation algérienne des marchés publics et une législation extérieure induite à la faveur d’un prêt. Il en est ainsi des prêts de la Banque mondiale (BIRD) que la bailleur fait accompagner de certaines conditions légèrement différentes de la réglementation algérienne. À un certain moment, il s’en est suivi une forme de ‘’cafouillage’’ au niveau des commissions de wilaya des marchés qui ont requis des arbitrages de haut niveau.

Une évolution dictée par la masse des investissements

L’année dernière, c’est le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, dont le département ministériel est secoué par les affaires liées à la gestion du projet d’autoroute Est-Ouest, qui a fait état d’une possible révision du code des marchés publics algérien. Il lie un tel projet au volume du plan de charge qui sera issu du prochain plan quinquennal (2010-2014) relatif à son secteur, du nombre d’entreprises et de bureaux d’études en croissance continue et de l’évolution technologique inhérente au secteur des travaux publics commandant une nouvelle approche des procédures de contractualisation. Pour cela, il plaide pour une loi-cadre qui régira spécifiquement le secteur des travaux publics. Un projet dans ce sens est déjà déposé au secrétariat général du gouvernement, selon le ministre. « Pour éliminer les entraves et gênes », le premier responsable de ce département propose d’améliorer la réglementation. « Nous voulons changer certaines procédures du code des marchés publics en les remplaçant par d’autres plus efficientes ».

Le dernier Code des marchés publics algérien remonte à juillet 2002. Il a été amendé légèrement à deux reprises dans le sens de plus de “transparence et de souplesse”, selon le ministère des finances.

Le premier amendement a eu lieu en septembre 2003, le second est intervenu en octobre 2008.

Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia avait déjà parlé des insuffisances du code des marchés algérien et a rappelé l’année en 2008 que le volume et le rythme des investissements de ces dernières années commandent à ce que le code des marchés soit révisé dans le sens d’une meilleure souplesse et d’un plus de pragmatisme pour rendre la commande publique équitablement accessible aux opérateurs économiques. Il eut à déplorer cet état de fait lorsque, l’année passée, il a eu à se pencher sur le dossier de l’investissement dans notre pays. Il identifia les lourdeurs et certaines lacunes du code des marchés publics comme étant un frein à certaines procédures de contractualisation.

Les changements apportés à la législation relative à la contractualisation de travaux, de prestations de service, d’études ou de fournitures relevant de l’administration publique, des APC, des établissement à caractère administratifs et d’autres structures publiques (instituts de recherche,…) ont été le souhait de beaucoup de parties parmi les intervenants dans le champ économique national où le Code des marchés publics est l’instrument obligatoire. Outre les partenaires économiques et leurs représentants au sein des organisations patronales, les agents et cadres de l’administration publique appelés à appliquer les règles édictées par l’ancien Code des marchés pour faire passer des contrats de travaux ont eu, à l’occasion des réunions des commissions des marchés dans les différentes wilayas, à faire face à des difficultés quasi insurmontables au vu de certains ‘’blancs’’ ou vides juridiques que comporte ce texte de loi. L’analyse et l’évaluation des offres techniques et financières déposés par les soumissionnaires de la commande publique donnent souvent lieu à d’interminables débats dont les auteurs sortent presque toujours insatisfaits. Le scénario se répète, parfois avec plus de complexité, au niveau des commissions des marchés publics de wilaya. Ces dernières sont présidées généralement par le secrétaire général par délégation de pouvoir du wali.

De nouveaux seuils pour les contrats

L’accumulation d’une masse de cahiers de charges, de marchés et de conventions dans les bureaux des structures chargées de leur traitement a généré un véritable goulot d’étranglement. Les lenteurs induites par l’application de la réglementation des marchés publics n’ont jamais autant ressenties que depuis la mise en œuvre des différents plans de développement initiés depuis une dizaine d’années. Ces programmes qui se comptent en milliards de dollars donnent lieu à des milliers de contrats passés avec des entreprises de réalisation algériennes ou étrangères, ou bien encore mixtes. Ce sont des dossiers très lourds qui sommeillent pendant des mois dans les bureaux des commissions des marchés des wilayas ou, lorsque les montants sont élevés, dans les bureaux de la commission nationale des marchés. Chaque partie de la chaîne appelée à intervenir dans la passation des marchés publics estime qu’elle doit faire son travail scrupuleusement- en contrôlant à chaque étape le dossier technique et financier des entreprises soumissionnaires-, ignorant ainsi les retards de contractualisation et de lancement de chantiers qui peuvent en découler. Dans ce cas de figure, et qui se présente très souvent, c’est d’abord la direction chargée de l’exécution du projet- en d’autres termes, le maître de l’ouvrage- qui subira les foudres des responsables politiques et du wali.

L’un des articles que le dernier décret présidentiel remet au diapason de l’économie algérienne- l’évolution des prix des marchandises et des prestations ainsi que le taux l’inflation imposent leur logique imparable dans ce domaine- est le seuil du montant du contrat donnant lieu à la procédure d’appel d’offres et de passation de marché. En effet, les nouveaux montants retenus par l’amendement du code des marchés est de huit millions de dinars pour les marchés de travaux ou de fournitures et quatre millions de dinars pour les marché d’études ou de services. Au-dessous de ces montants, exprimés en toutes taxes comprises, un contrat public n’est pas censé emprunter le chemin laborieux des commissions de marchés. Le deuxième avantage amendé est la suppression de la caution de soumission pour les marchés relevant de la compétence des commissions de wilaya. Cette caution, censée dissuader les soumissionnaires à abandonner les marchés qui leur sont attribués, est vécue par les jeunes entreprises comme un véritable obstacle d’autant qu’elle s’élève à un minimum de 1% du montant de l’offre. Les entreprises créées par certains jeunes diplômés dans le cadre du crédit ANSEJ, déjà chargées de dettes vis-à-vis de la banque et utilisant un matériel gagé au profit de cette dernière, trouvent mille difficultés à faire provision de la somme qui leur permettrait de soumissionner pour les marchés de travaux. C’est pour aller dans le sens des revendications de ces jeunes entreprises que les pouvoirs publics ont supprimé cette caution jugée comme “injuste’’.

Garantie des marchés

Le maître de l’ouvrage, une fois passée l’étape d’attribution de marché, est tenu d’exiger la garantie du contrat confié à la partie cocontractante. Cela se fait par le moyens d’une pièce bancaire appelée  » caution de bonne exécution et de garantie  » représentant un montant de 5 à 10 % du montant du marché. Elle est destinée à garantir le marché contre les malfaçons ou l’inexécution de l’une de ses clauses. La caution de garantie est restituée après un délai dit de garantie à la fin duquel la réception définitive des travaux est prononcée. Pour certains contrats de fourniture, cette caution peut prendre la forme d’une retenue sur le montant de la prestation, laquelle sera restituée dans un délai précisé dans le contrat.

Certains entrepreneurs la trouvent excessive. Souvent, des situations financières en instance de mandatement sont bloquées par les maîtres de l’ouvrage en raison de la non présentation de la caution de bonne exécution et de garantie par l’entreprise de réalisation qui a sollicité le payement de ses travaux.

Le chef de la division des marchés publics au ministère des Finances soutiendra, au cours d’un débat organisé l’année dernière à ce sujet, jugera que cette caution  » représente le minimum qui puisse être exigé d’un partenaire dans la mesure où elle a pour objet de sécuriser le contrat et d’assurer sa bonne exécution « .

Cette disposition du code des marchés publics, ajoutera-il,  » relève d’un système universel et un dispositif sur lequel l’Algérie ne peut revenir « . Demeure la possibilité de la réduction de son montant, comme le réclament un grand nombre d’entrepreneurs, le chef de la division des marchés publics suggérera que cela se fasse dans un cadre concerté.

En tout état de cause, les efforts d’adaptation et de mise à niveau de la réglementation des marchés publics fait partie intégrante de la réforme budgétaire que l’Algérie a initiée depuis quelques années. Cette réforme ne peut évidemment pas se concevoir comme étant un projet isolé ou autonome. Elle fait partie du grand projet des réformes de l’administration, des structures de l’État (territoire, institutions et missions).

L’amendement du code des marchés publics est considéré par les partenaires économiques comme un maillon des réformes globales que notre pays est appelé à approfondir davantage. Il rejoint les efforts fournis dans la réforme de la comptabilité nationale soumise aux normes IFRS (International Financial Reporting Standards) à partir du 1er janvier 2010.

Il reste que, dans le cadre de la moralisation de la vie publique, les possibilités et tentatives de corruption par les agents de l’État ne sont pas dues exclusivement à des ‘’marges de manœuvres’’ que certains croient déceler dans la réglementation des marchés publics.

Elles vont au-delà et concernent l’organisation, la performance et le mode de fonctionnement de l’administration, les rémunérations trop faibles que perçoivent les agents de l’État (techniciens, ingénieurs chargés de la conduite de projets de plus en plus colossaux) et le secteur de la justice qui est appelé à se prononcer sur les affaires qui lui sont soumises.

Amar Naït Messaoud

Partager