Etre cupide c’est parfois courir à sa perte. C’est ce que va dévoiler ce conte du terroir. Suivez-nous.
Aussi loin que l’on remonte dans le temps, on s’aperçoit que l’héritage a toujours constitué et constitue encore la pomme de discorde entre les héritiers. C’est ainsi qu’un père de famille ayant deux garçons a au courant de sa vie amassé beaucoup d’argent. A part son fils aîné, personne n’est au courant de sa richesse. Quand il tire sa révérence, après la mort de son épouse, seul l’aîné détenteur du secret prend possession du trésor.Comme à l’époque les banques n’existaient pas, les gens fortunés gardaient leur argent chez eux, dans des cachettes secrètes. Parfois à leur mort, personne n’en profitait. Dans ce cas précis, le défunt cachait son trésor dans l’écurie (Adaynine) où il avait aménagé une cachette recouverte de terre et de paille. A part son fils aîné, personne n’était dans la confidence. Quand le moment du partage de l’héritage vient, l’aîné et le cadet se mettent d’accord pour se partager équitablement les biens que leur père avait laissés.Ils se partagent les biens matériels, mais point de liquidités. En compagnie de leurs femmes et de leurs enfants au nombre de dix, cinq garçons pour l’aîné et cinq filles pour le cadet, la maison est passée au peigne fin mais pas la moindre pièce d’argent n’a été trouvée. Toute la famille est étonnée et l’aîné se garde bien de dévoiler le secret.Les deux frères vivent chichement et habitent côte à côte. L’aîné, qui se savait riche, était impatient de palper de ses propres mains le trésor de son père, car pour le faire, il faut qu’il reste seul à la maison. Il attend la belle saison, envoie tout le monde aux champs, et, fébrilement, se dirige vers l’écurie (Adaynine), gratte la paille et met à nu le couvercle d’un “sendouq” (caisse en bois) pleine d’argent. Il plonge ses mains dedans, et brasse les pièces en bénissant son papa.Il voulait s’amuser à les compter une par une, mais ça lui prendrait trop de temps, et des intrus (sa famille) pouvaient le surprendre à tout moment. Lui vient alors l’idée de mesurer l’argent avec un double décalitre (Amoud) comme on le fait avec l’orge ou le blé. Or, lors du partage, le “Amoud” est devenu la propriété de son frère cadet. Il va taper à sa porte et ne le trouve pas, c’est sa femme qui lui ouvre et lui dit :“- D’achou thah’ouadjedh ay alous ?(Que veux-tu, frère de mon mari ?)- Je veux le double décalitre !- Je vais te le donner. Je vais le chercher, il est caché dans la soupente, au milieu de beaucoup d’objets !” En allant le chercher, la femme réfléchit : “Que peut-il bien mesurer, ce n’est ni la saison des figues ni des blés !” Intriguée et intuitive, la femme prend l’ustensile et lui met un peu de glu (“lazouq” )à l’intérieur, et le lui donne. De retour dans l’écurie, l’aîné se met à remplir le double décalitre de pièces qu’il verse dans son burnous pour apprécier la quantité. Une fois le compte fait, il rend l’ustensile à sa belle-soeur, et n’avait pas remarqué dans la pénombre de “l’adayine” qu’une pièce d’argent s’était collée au fond. La belle-soeur prend le double décalitre et, plonge sa main dedans, et ô surprise, elle trouve une pièce d’argent. “Ah ! le voleur, s’écrie-t-elle ! il est en possession de la fortune du vieux et ne veut pas la partager. Elle doit être considérable, pour qu’il s’y prenne à la mesurer avec un ‘amoud’”. Dès que son mari rentre des champs, sa femme le met au courant. Comme preuve à l’appui, elle lui montre la pièce d’argent. Aussitôt, il va voir son frère aîné pour lui réclamer la part qui lui revient de droit. Il nie et jure que leur père ne lui a rien laissé. N’ayant aucun moyen de faire éclater la vérité, déçu d’avoir été dupé, le frère cadet décide de se plaindre au juge de la localité. Ce dernier lui demande des preuves qu’il ne peut fournir. La pièce d’argent ne prouve rien. Pris de compassion pour le cadet, le juge convoque chez lui l’aîné à l’effet de le faire avouer. Peine perdue. Au juge, il dit : “La pièce que vous me montrez, je l’ai trouvée au marché. Si mon frère affirme qu’elle est à moi, rendez-la moi, j’en ai besoin, pour m’acheter des vêtements. Voyez mes baillons.” Le juge essaye de le convaincre mais en vain. Dépité le frère cadet ne sait plus à quel saint se vouer. Son frère aîné n’est qu’un voleur, mais comment le prouver ? Il réfléchit longtemps, mais ne trouve pas la solution. L’idéal serait qu’il attrape son frère aîné en flagrant délit en possession du trésor volé.(A suivre)
Lounes Benrejdal
