Le père cupide

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Un jour, sa femme lui dit :Puisqu’il est impossible pour nous de prouver qu’il s’est accaparé de l’argent de l’héritage, on va ruser avec lui.- Comment ça, lui dit son mari ahuri !- On va utiliser des voies détournées. On va marier nos cinq filles à ses cinq garçons. De cette façon, nos filles profiteront de l’héritage dont nous avons été spoliés ! malin malin et demi !C’est une bonne idée, mais va-t-il accepter, radin qu’il est !- J’ai mon idée là-dessus, il ne va pas résister à ce que je vais lui proposer ! Compte sur moi !Le lendemain matin, elle va voir son beau-frère et lui dit :- Oublions le passé et occupons-nous de l’avenir de nos enfants. Je te propose de les marier tous les dix, en une seule cérémonie. Pour te faciliter la tâche, on ne va pas exiger de toi, la moindre dot. On fera la fête en famille, il n’y aura pas d’invités étrangers.L’aîné est séduit par l’idée et accepte d’emblée.La femme du cadet prend ses filles en aparté et leur dit : “Votre père a été spolié par votre oncle, qui a gardé pour lui seul l’argent laissé par votre défunt grand-père. J’ai la preuve formelle, mais personne ne peut le prouver, même le juge de la contrée a échoué. Ne pouvant rien contre lui, votre père et moi avons décidé de vous marier à ses fils. Vous serez les épouses de ses garçons, mais vous allez toutes être investies d’une mission. Surveiller le vieux grigou, pour essayer de découvrir où il cache l’argent détourné. A part vous, personne ne doit être au courant de cela. Si vous réussissez on va l’obliger à partager, et alors adieu la pauvreté.”Quelques jours après ces recommandations, le mariage est célébré. Le frère est content du résultat, il n’a rien déboursé du trésor caché. Mariées les cinq filles du cadet ne trouvent presque plus rien à manger, elles se plaignent à leurs maris, qui se plaignent à leur tour à leur père. Pour mettre, un terme à toute polémique, il réunit toute la famille au nombre de douze et leur dit :“- J’ai constaté que les rations quotidiennes ont diminué depuis que vous vous êtes mariés, cela est normal mes enfants, de sept bouches à nourrir, nous sommes passés à douze. Je n’ai pas beaucoup d’argent pour faire face à toutes les dépenses. Mon frère cadet m’a accusé, d’avoir beaucoup d’argent, cet argent d’après lui, je l’ai hérité de notre père et je l’ai caché. Si j’en avais autant qu’il le dit, c’est un palais que je me construirai et je n’habiterais pas dans un misérable taudis. C’est son imagination qui lui joue des tours, mais grâce à Dieu, il a fini par reconnaître son erreur. C’est pour cela, que vous êtes aujourd’hui mariés. Je n’ai qu’une chose à vous dire, serrez vos ceintures ! Serrez les bien !”Après avoir réduit les ardeurs de ses fils, le frère aîné, ne quitte plus la maison. Chose étrange, il refuse à ce que “adaynine” soit nettoyé et la paille renouvellé. Cela intrigue les femmes de ses fils chargées de l’espionner. L’aîné veut de temps en temps palper les pièces d’argent, mais il est toujours empêché. Epié de jour comme de nuit, poussé pa une irrésistible envie de jeter un coup d’oeil sur son trésor, il commet l’erreur fatale.Après avoir vérifié que tout le monde dort, il sort et se rend dans l’écurie (adaynine) où il n’y a qu’une brebis et ses deux petits.Il referme la porte derrière lui, enlève la paille et ouvre la fameuse caisse, et se met à farfouiller de ses doigts au milieu des pièces. Malheureusement pour lui, l’aînée des cinq soeurs, dont c’était le tour de le surveiller, l’a suivi à pas feutrés. Par les interstices de la porte, elle le voit en train de brasser des pièces d’argent, comme s’il s’agissait d’orge ou de blé.Dès qu’il referme le couvercle, l’aînée retourne à sa couche, son mari s’aperçoit et lui dit :Achou ithkhed’medh d’i vara ?“- Que faisais-tu dehors ? – J’ai entendu un bruit je suis allée voir dans la cour, s’il ne s’agissait pas de voleurs.- C’est bien tu as l’oreille fine, moi je n’ai rien entendu. Dors maintenant !”Ayant découvert le secret du vieux, l’aînée des cinq filles ne met personne dans la confidence. Elle attend le moment propice pour agir.La chance lui est donnée quelques jours plus tard, quand le vieux annonce, qu’il va s’absenter durant toute une journée. Ce jour-là, elle se rend dans l’écurie ouvre le “sendouq” et prend deux poignées de pièces (snath thoumaz’) les glisse dans son corsage, referme et remet les choses en l’état. Elle se rend ensuite au marché achète de la semoule de blé, un quartier de viande de mouton, des légumes et des oeufs pour la consommation. Pour ses soeurs et sa belle-mère, elle achète des robes et des souliers.Elles sont toutes étonnées et posent des questions à l’aînée, qui ne veut rien leur dévoiler.Ce soir, c’est la fête à la maison. Il y aura du couscous à la viande pour tout le monde, ce qui ne s’est pas produit durant des années. Ce soir, grâce à l’aînée les maris qui sont aux champs vont se régaler. On les attend. Ces derniers, après avoir terminé les pénibles travaux rentrent à la maison et devisent entre eux. L’aîné prend la parole et dit à ses frères. “Nous n’avons vraiment pas de chance, du temps de notre grand-père, on vivait nettement mieux, il était riche, mais manque de peau, il est mort sans avoir révélé où il cache son argent. Notre beau-père a accusé notre père de s’être accaparé de l’argent, mais à mon avis, ce n’est pas vrai, car s’il en avait il ne va pas nous laisser sans habits et rationner le manger. C’est vrai !” répètent en choeur tous les autres frères.Dès qu’ils arrivent près de leur demeure, ils hument des odeurs qui leur titillent les narines et leur ouvrent l’appétit. Il y avait beaucoup de lumière chez eux. De plus en plus étonnés, ils écarquillent les yeux, quand ils voient s’avancer vers eux, leurs femmes habillées de robes neuves bariolées.Que se passe-t-il dit l’aîné ?(Achou ig dhran akka ?)- L’aînée des cinq soeurs lui répond :“- J’ai trouvé le trésor du vieux, c’est avec un peu de son argent que j’ai acheté des habits et de quoi manger !- Quoi s’écrient les frères et les soeurs en choeur !Notre grand-père a laissé de l’argent, et notre père et beau-père l’a caché ! C’est incroyable !- C’est la triste vérité, allons manger et ensuite je vais vous montrer la cachette du vieux !”Après avoir honoré le repas de rois, tout le monde veut découvrir le trésor. L’aînée les emmène à l’écurie (adaynine) dégage la paille et met à nu la caisse.Dès qu’elle ouvre le couvercle, tout le monde voit scintiller des milliers de pièces d’argent. Ils sont tous étonnés. L’aînée prend la parole et leur dit : “Voilà, le trésor qu’a laissé notre grand-père et dont notre oncle nous a privé. Il y a là, de quoi faire vivre notre famille pour plusieurs générations. Je ne comprends pas, pourquoi il a agi ainsi !- C’est son amour immodéré pour l’argent“ lui répond son mari.Sur ces entrefaits, le père rentre sans se faire annoncer. En découvrant toute sa famille au grand complet, autour de la caisse pleine d’argent, il se met en colère, dégaine son coutelas, et il se met à insulter tout le monde sans retenue. Ses fils essayent de le raisonner, mais en vain, faisant tournoyer rayeusement son arme, il glisse sur du purin et se fait hara-kiri.Après l’enterrement du père avare à l’excès, le trésor est partagé équitablement entre tous les membres de la famille. Devenus riches, ils ne se privent désormais de rien.

Lounes Benrejdal

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