Rebelles, opposants, imprégnés du mouvement de la conscience noire, les poétesses et poètes sud-africains sont nombreux. leur écriture débordante de révolte est une échappatoire à toutes les frustrations subies, vécues par le peuple noir ; frustrations qui ont suivi l’euphorie de la libération qui logiquement verrait la fin du racisme, des violences et la domination de l’homme par l’homme.
«Quelquefois, la bouche est une cellule close
En réclusion solitaire
Elle n’a rien à dire
Ses dents sont les gardiens d’emails
Qui ne laissent rien entrer, ni sortir
La langue grandit longue et mince… »
Eva Bezwoda, poètesse sud-africaine
Poésie de colère mais qui se veut au gré des vers, message de paix, d’amour et de tolérance dans cette vaste africaine sur laquelle pèsent tant d’injustice. Cette sérénité de langage pétrie d’amour est celle entre autres de la poétesse Antjie Krog qui rêve d’un enracinement très fort dans la profondeur de la terre de ses ancêtres : «Voyez, je me fais un pays (…) où Noirs et Blancs, main dans la main, apporteront amour et paix dans mon beau pays», écrit-elle dans le journal de son école en 1970, pendant les terribles années de l’apartheid. Les voix des femmes autant que celles des hommes se soulèvent plein de vers de lumière pour noyer l’obscurité. Tantôt virulentes, tantôt pacifiques, leurs voix poétiques se soulèvent pour noyer l’obscurité combattre l’Injustice et retrouver la bonté de la nature à l’état pur. Parmi ces poétesses, Ronelda Kamfer, née près du cap, il y’a 29 ans, a été confronté dès son jeune âge à la violence de la vie dans les townships où la violence, la pauvreté la drogue et la guerre des gangs sont quotidiens. Elle en est profondément marquée et le manifeste dans son recueil de poésie écrit en langue afrikaans «maintenant que le chat qui dort» pour lequel elle obtient le prix Eugene-Marais décerné par l’académie sud-africaine.
La poésie de Ronelda plait pour la rigueur de son raisonnement, elle raconte et apporte une éclatante confirmation sur les différences raciales,
«Me voici assise à table
Avec les ennemis de mes ancêtres
Je hoche la tête
Et salue avec circonspection
Mais, quelque part
Je sais où est ma place
Mon cœur et ma tête sont ouverts
Et, en personne bien élevée,
Nous rions et mangeons ensemble
Mais, quelque part,
Je sais où est ma place…
Le poème devient une longue dénonciation de toutes les injustices et les humiliations à l’encontre des noirs.
Sa Révolte contre la puissance dominante des blancs, est froide et presque douce à la fois, une révolte qui pénètre subtilement les esprits pour mieux déranger les consciences des dominants qui déshumanisant des êtres pour les rendre dociles et reconnaissants,
«J’ai une grand-mère
Qui ne parle qu’une seule langue
Elle me raconte des histoires
De monsieur Willem et
Du docteur Metzier
Combien monsieur Willem était bon pour elle
Et comment il la laissait toujours choisir
Le vieux vêtement qu’il lui donnait ».
Ronelda va jusqu’au fond de la douleur, elle franchit les frontières de la peur, celles des épreuves de la honte et dépeint avec lucidité la réalité des brutalités psychologiques vécues par la population noire. Cette violence est confiée au langage de la poésie pour raconter comme une longue litanie l’histoire de sa grand-mère,
«Elle me racontait les kilomètres à pieds
Pour aller en ville…
Monsieur Willem disait
Que ce n’était pas la peine que ses enfants
Aillent jusqu’au bac
Puisque de toutes les façons
Ils travailleraient à la ferme».
La poésie de Ronelda Kamfer écrite en langue afrikaans est traduite en français et aussi en néerlandais à l’occasion du festival international de littérature «nuits d’hiver», auquel elle a participé à La Haye. Parmi de nombreux poètes qui l’ont influencée, pour Ronelda, Antjie Krog demeure celle pour laquelle elle a beaucoup d’admiration. Antjie Krog en rupture définitif avec l’héritage colonial, nous lègue une poésie captivante, façonnée de convictions qui cherchent à exorciser l’influence de l’apartheid et ses injustices qui ont suivi le terrible massacre de Sharpeville en 1960 et a laissé des traces indéniables dans le cœur du peuple noir. Antjie Krog surnommée «la Pablo Neruda» de l’Afrikaans par sa contemporaine Joan Hambidje, a publié à 17 ans son premier livre de poèmes «doghter van jefta», «la fille de Jephté» et « suite de Janvier », deux années plus tard ; suivront 8 autres recueils de poèmes en afrikaans et en anglais deux années plus tard. Elle est née le 23 octobre 1952.
Pour la terre d’Afrique
La poésie d’Atjie Krog puise son réconfort dans son appartenance incontestable à la terre d’Afrique, elle exprime sa fierté d’être noire et jure de lutter jusqu’à l’obtention des droits de son peuple lésé jusqu’à se confondre avec l’humus du veld.
«J’appartiens à ce cœur noir d’Afrique
Aveuglée ma gorge se gonfle de larmes…
Ce pays est aussi vraiment à moi
Et mon cœur est sur ses pieds».
L’injustice n’est pas une fatalité car il y a une explication à cette répression aveugle, aux droits confisqués, en un mot à cet apartheid qui au mépris des lois continue à faire des victimes sur cette terre d’Afrique si chère au cœur de la poétesse.
«Maintenant vous vous êtes disputés
Négocié divisé paddocked
Vendus, volés, hypothéqués…
Je veux entrer dans la clandestinité avec vous
La terre des terres qui ne serait pas à moi
Terre qui ne m’a jamais appartenue
La terre que j’aime plus que jamais
En vain…
Vers fragiles
Parmi les nombreuses poétesses d’Afrique du Sud, Ingrid Jonker est l’écorchée vive, celle qui après une vie tumultueuse qui ne lui renvoie que l’écho du désespoir, brisée, affaiblie, attaque avec toute la force de sa vulnérabilité la politique répressive de son pays. Elle n’a pas cessé durant sa courte vie de dénoncer haut et fort les affres du système de ségrégation raciale au grand désespoir de son père, député du parti national qui finit par la renier publiquement. Ingrid met sa poésie au service d’une cause juste mais la vie eut raison de ses combats sur tous les fronts ; elle finit par se suicider par noyade laissant derrière elle une voix qui ne cesse de crier justice. Ses sentiments propres s’emmêlent, s’enchevêtrent, s’embrasent délicatement, dans un silence où les vers sont maîtres, pour parler amour, patrie avec des mots fragiles comme un souffle qui laisse derrière lui une senteur nostalgique des vertes amours à jamais tues, ressuscitées le temps d’un poème au dessus de l’Afrique ancestrale,
«J’ai cherché le chemin de mon corps
Et n’ai trouvé dans la poussière qu’étranges cicatrices
Traces de gnous, d’éléphants, de léopards
Ecrasés par le secret de la piste blanche
Oh, je voulais juste peser ton ombre
Petite gazelle
Ta silhouette fugitive».
Elle donne à la poésie sa valeur, sa force et son illusion, l’orne de l’emblème de la lutte pour ensuite raconter avec une étrange douceur qui glace le sang, l’histoire de «l’enfant tué par les soldats à Nyanga».
«L’enfant n’est pas mort
L’enfant lève les poings contre sa mère
Qui crie Afrique, qui crie l’odeur
De liberté de veld
Dans les townships du cœur ceinturé…
Avec des mots simples et une violente sincérité Ingrid Jonker traverse l’enfer, élargit son horizon pour que l’espoir surgisse des décombres.
«L’enfant n’est pas mort
Ni à Langa, ni à Nyanga !
Ni à Orlando, ni à Sharpeville !
Où il git une balle dans la tête
L’enfant est l’ombre des soldats,
En faction avec fusils blindés et matraques.
Il est partout l’enfant qui voulait jouer au soleil de Nyanga
L’enfant passé homme, enjambe l’Afrique
L’enfant géant voyage de par le monde
Sans papiers».
En 2004, Nelson Mandela, lira à titre posthume, un poème d’Ingrid Jonker. Le prix qui porte son nom récompense les jeunes poètes de langue afrikaans ou anglaise.
Hadjira Oubachir