Le verdict est mis en délibéré pour le 5 octobre prochain / Trois ans de prison requis à l’encontre des déjeûneurs

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Comme prévu, le procès des deux non-jeûneurs, arrêtés par la police, pendant le mois de carême, s’est déroulé hier au tribunal de Aïn El Hammam. Hocini Hocine et Fellak Salem, les deux accusés, devaient répondre du délit d’“atteinte aux préceptes de l’islam, en vertu de l’article 144 bis 2 du code pénal”. Pour éviter d’éventuels débordements, la ville était quadrillée, dès sept heures du matin. Toutes les rues, menant vers le tribunal, étaient surveillées par des policiers en uniforme ou en civil. En ce mardi, jour de marché par excellence, on se bousculait, pour se frayer un passage, sur les trottoirs alors qu’il ne restait plus aucune place, pour le stationnement des véhicules, même aux abords immédiats de la ville. C’est dire que l’ex-Michelet se préparait dès les premières heures, à vivre un événement, hors du commun. Les alentours du tribunal étaient noirs de monde.

L’attente était fiévreuse et la tension montait au fur et à mesure que l’heure du procès approchait. A l’intérieur de la salle d’audience du tribunal de la localité régnait une ambiance particulière. Elle était pleine à craquer, bien avant le début de la séance. Les discussions du public et des avocats ne portaient que sur l’ordre du jour, anticipant, même, sur les résultats du procès. Les nombreux avocats présents, avaient occupé les premières places et il n’en restait pas suffisamment, pour les journalistes qui tentaient de s’approcher de la barre, pour écouter ce qui s’y disait. L’arrivée des prévenus, vers neuf heures trente, a occulté celle des robes noires qui entraient de l’autre côté. Plus tard, on distinguera des défenseurs de renom, venus d’Alger, tels Mokrane Ait Larbi ou Ahmed Hocine qui allaient, quelques instants plus tard, s’illustrer par des plaidoiries qui ont subjugué toute l’assistance. Appelés à la barre, les deux prévenus, devaient répondre aux questions du président du tribunal sur les faits qui leur sont reprochés. Fellak Salem rappelle qu’il a été interpellé avec son compagnon alors qu’ils étaient en train de déjeuner, au troisième étage d’un immeuble en construction, ajoutant : “On ne pouvait pas nous voir, même d’un avion», pour répondre à l’accusation de “non-respect des musulmans”. Hocini Hocine, insistera, pour sa part, pour dire que le magistrat auquel il a été présenté lui avait dit : “Si tu es chrétien, va en Europe.” Il expliquera au président qui l’interrogeait: “Je ne peux être considéré comme un non-jeûneur. Je suis chrétien et ceux de ma religion ne jeûnent pas.” Pendant ce temps, un bruit de foule montait de la rue, avec des “pouvoir assassin” et autres slogans, en faveur des accusés. Un débordement pouvait avoir lieu, à tout moment, n’était-ce la célérité du service d’ordre qui veillait au grain. C’est dans cette ambiance électrique que les avocats de la défense, se présentèrent un à un à la barre. Le procureur de la république, insistant sur le non-respect d’autrui, et sur le risque d’atteinte à l’ordre public, qui pourrait découler de cet acte (non-jeûne), demande l’application de l’“article 144 bis du code pénal», qui prévoit une peine, allant de trois à cinq ans de prison ferme. C’est à ce moment que maître Aït Mimoun revient pour rappeler qu’aucun article de loi ne précise “qu’un non-jeûneur doit être puni par la loi», signalant au passage, que l’arrestation de ses clients s’est effectuée en infraction avec la loi puisque la police avait violé le domicile dans lequel ils se trouvaient, pour les y interpeller. Maître Hocine Ahmed, quant à lui, débutera sa plaidoirie par “la Constitution consacre la liberté de culte et de conscience”. Ajoutant qu’il est lui-même, issu d’une famille religieuse où l’on cultive le respect des autres religions, sans distinction et que “la liberté est sacrée”.

Quant à maître Aït Larbi, il commencera par exhiber un rapport qu’il appellera “pièce à conviction», mentionnant le menu des non-jeûneurs : du fromage, du pain et de la limonade. Ce qui ne manquera pas de faire rire le public. “L’affaire dira-t-il, n’est pas celle du musulman opposé au chrétien”. Il citera les hôtels Saint Georges, Sheraton ou l’Aurassi où les gens prennent des repas à cinq mille dinars pendant que la justice poursuit des gens pour un bout de pain. “A ce rythme, on verra, dans quelques années, une police islamiste, emmener de force, les citoyens dans les mosquées”. Les propos qui sont tenus aux accusés : “Va dans un autre pays non musulman», sont graves dira-t-il. “Ils arriveront aux ONG et à l’ONU”. S’appuyant sur le code pénal et la Constitution, il rappellera que “la loi n’interdit pas de déjeuner, durant le mois de Ramadan. Personne par contre, n’a été inquiété lorsque la bible ou des églises ont été brûlées alors qu’on inquiète un chrétien, se cachant pour manger, sans aucune intention de nuire. La loi n’est pas extensible», il demandera lui aussi, l’acquittement des accusés. Quant à maître Rahmoun, délégué de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), fortement applaudi, il racontera des anecdotes historiques citant Omar Ibn Khettab. Il insistera pour dire que “condamner ces deux chrétiens revient à provoquer toute la communauté chrétienne d’ici et d’ailleurs”. Vers onze heures trente, après les plaidoiries, le juge met le verdict en délibéré pour le cinq octobre prochain.

A. O. T.

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