«Chaque goutte de mon sang est note de musique»

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Voilà vingt-deux années que Meksa l’interprète de Loundja est parti, décédé à trente-quatre ans, le 30 octobre 1988 dans des circonstances troubles, après une garde-à-vue dans un commissariat d’une banlieue parisienne.

Sa campagne et sa fille Missiva -nom de la sœur de Massinissa qu’il évoque dans la chanson du même nom- continuent aujourd’hui encore leurs recherches sur les causes de sa disparition. Meksa souhaitait revenir au pays pour, déclarait-il à un journaliste : «En finir avec l’humiliation raciale». Il repose désormais aux côtés de sa mère dans le cimetière de Mira, son village natal, des Ath Jennad où il vit le jour un certain 4 juin 1954.

Choriste puis comédien à 19 ans dans la troupe théâtrale de la chaîne 2, Meksa, se consacre aux chansons qui tout au long de sa carrière, s’inscrivent dans la défense du patrimoine culturel berbère sur des rythmes rock ou folk à l’âme kabyle, inspirés des grands artistes tels que Simon & Garfunkel ; Graeme Allwright ou Bob Dylan….

Lors de son dernier entretien avec Ali Ferragui, paru dans la revue la semaine de l’émigration, il disait être satisfait du résultat de son travail : «Ma grande satisfaction, c’est ma participation à cette reconstruction de notre riche patrimoine culturel». En effet, parmi «les maquisards de la chanson kabyle» comme les appelait si bien Kateb Yacine, parmi ceux-là qui se sont accaparé la tradition pour lui insuffler un style moderne, à savoir Ferhat Imazighen Imula, Idir, les Abranis, Isoulas, inesliyen, Madjid Soula et beaucoup d’autres, Meksa tenait le haut du pavé avec ses chansons dédiées toutes au patrimoine séculaire, patrimoine qui inclut l’histoire, les contes, mythes et légendes et le rôle de la femme protectrice des valeurs ancestrales, sans que le sort injuste parfois réservée à celle-ci ne le laisse indifférent. Son premier disque 45 tours enregistré en 1975, comprenant deux chansons tafsut et loundja, la belle mélodie dont tout le monde se souvient et fredonne encore aujourd’hui, atteste de l’importance que l’artiste accorde au rôle de la femme. Il se réfère au nom de la femme du conte du même nom pour la sublimer «a lunja bnigham axxam,lmesbah d kemini» pour ensuite,dans l’album tagrawla sorti en 1976, année où,aux côtés de Léo Ferré et Gilbert Leroux, il anime un spectacle donné à la salle de Sidi Fredj avant son départ en France. Meksa, plonge profondément dans les chants de la terre afin de déterrer les traditions les plus fondamentales, comme timecret», rituel de partage et de générosité ou «Anzar» une tradition qui, avec ses rites et ses chants dédiés au dieu de la pluie est invoqué en période de sécheresse pour arroser de son eau bienfaitrice la terre nourricière.

«Assa n cebbah iwghenja

Adnezzi mara i tudrin

Anecnu

A yanzar n tulawin

A y anzar a wid lehwa

A d aswent uk tebhirin”.

“tagrawla” un autre titre de l’album chanté peu de temps avant le printemps 80, résonne comme un écho, un hymne, précédant les évènements, tel un germe d’une pousse avant l’éclosion, répond aux revendications de «tafsut».

Tighri tecdet ur tettut

Abrid yenjar babatwen

Yenna d hadret ef tmurt

D akal lejdud nwen

Dans ce même album c’est un appel aux temps immémoriaux de la gloire de la civilisation berbère incarnée par Massinissa, l’unificateur de la Numidie que Meksa, de sa voix qui incarne la liberté fait déverser avec des notes sagement rock, les flots tumultueux de sa voix pour offrir à nos enfants, des enseignements cueillis sur la route fleurie d’équité et de vérité des leçons comme celles apprises à l’école de la justice et de l’histoire authentique afin de maintenir la lampe de la fraternité allumée.

Keccini a Massinissa

A y agellid umazigh

Tejid d agdud yenarna

Mi ik idibdar yenna rwigh

………………………..

Ifaraj imezyanen

Kecc d weltma k Massiva

De Loundja à Zelgum, les femmes chantées par Meksa, portent des noms sublimes des fabuleuses héroïnes des contes, pour dénoncer l’injustice faite aux filles que l’on prive d’amour et de liberté pour les marier contre leur volonté. Zelgoum trouve l’écho de ses soupirs dans la complainte infiniment triste interprétée par une voix qui coule comme un torrent de larmes. L’âme du poète s’émeut à l’évocation de cette jeune fille qui dans sa solitude se plaint au gardien de la maison.

Ay a3sas b buxxam

Txilek agma selkiyi

Inas I baba d yemma

Zelgum attan defiri

Dans un langage simple aux sonorités douces, la pensée de l’artiste appelle le rythme, plonge au cœur de la douleur d’un peuple assoiffé de liberté et sa guitare vogue sur l’essentiel, amnekcam de l’album intitulé tiqbayliyin, chanson en hommage aux bâtisseurs du printemps amazigh 1980. En 1988, il revient avec l’album amghar azemni, qu’il a enveloppé d’harmonie et de tendresse, il parle du retour au pays, sur sa terre, cette terre qui l’accueillera dans ses entrailles pour refermer sur lui les ailes du sommeil éternel.

Abdelkader Meksa a composé ses chansons mais à également interprété des textes de Moh Cherbi et Amar Mezdad.

Depuis 1999, les membres de l’association Meksa de son village ne cesse, même avec des moyens dérisoires d’honorer la mémoire de celui qui fut le digne défenseur de la culture de son peuple.

Un hommage lui sera rendu le samedi 30 octobre par Kabylia Académie de musique de Montréal. Par delà les vagues de colère, cette voix atteindra la postérité à travers ses œuvres toujours vivantes qui illuminent encore et toujours notre histoire et nos légendes.

Hadjira Oubachir

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