Dans le paysage économique algérien de ces cinq dernières années, un nouvel environnement de travail commence à prendre corps. Autant dire que les valeurs, les normes et la culture du travail subissent une nette évolution qui les fait sortir de l’ancien système bâti sur la seule vertu de l’économie administrée. Rien que sur le plan de la composante humaine des employés, le travailleur algérien évolue aujourd’hui dans un milieu qui commence à devenir graduellement cosmopolite. En effet, des travailleurs étrangers (ouvriers, personnel d’exécution ou d’encadrement) commencent à ‘’bigarrer’’ déjà la scène locale sur les chantiers du bâtiment, de l’autoroute, des barrages hydrauliques et d’autres infrastructures et équipements.
Le nouveau repos hebdomadaire entré en vigueur en août 2009, l’émergence de syndicats libres, y compris des organisations non encore agréées, qui s’imposent de plus en plus aussi bien dans le monde de l’entreprise qu’au sein de l’administration publique, la prise en charge des nouvelles technologies de l’information et de la communication, y compris l’Internet, par le monde de l’entreprise et de l’administration, l’introduction de règles de la compétence et de la qualification dans le recrutement et la promotion des cadres et des agents, la gestion de l’aspect social et ergonomique des travailleurs et des conséquences du chômage, tous ces paramètres et bien d’autres encore sont en train d’installer progressivement une nouvelle conception, voire une nouvelle sociologie du travail en Algérie.
La ‘’gestion socialiste des entreprises’’ et le ‘’statut général du travailleur’’ sont passés au rang de simple souvenir. Ces anciens instruments de gestion de l’économie administrative n’ont même pas besoin de décret d’abrogation. Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale compte élaborer un nouveau code du travail qui s’adapte à la nouvelle phase que traverse actuellement l’économie algérienne.
Dans le sillage de la modernisation de l’économie
Depuis le début des années 2 000, la plus grande proportion d’employeurs revient au secteur privé. C’est lui qui crée de l’emploi à la faveur de l’émergence de l’entreprise privée -PME/PMI- encouragée par la nouvelle législation du pays. De même, le monde syndical a, lui aussi, subi une évolution, du moins dans son appréhension par les travailleurs. Quant au prolongement pratique sur le terrain, seule la pression et la persévérance pourront rendre légales ces nouvelles formes de lutte.
De même, une certaine mise à niveau de l’administration et des entreprises a fait acquérir aux méthodes de travail d’autres moyens techniques (micro-ordinateur, Internet, réseaux d’entreprises,…) qui font l’économie de certains postes de travail pléthoriques. L’entreprise moderne par exemple, fait de moins en moins appel à l’agent de saisie sur micro tant l’ingénieur qui prépare son compte-rendu n’a plus le temps de le rédiger à la main et de le confier ensuite à l’agent. De là découle une nouvelle conception de la gestion du temps qui n’a aucun rapport avec celle en cours dans les deux dernières décennies du 20e siècle. L’entrée en scène des entreprises étrangères sur nos chantiers d’autoroute ou de tramway, ou bien encore, dans certaines représentations commerciales, a indubitablement charrié une nouvelle discipline du travail à laquelle les travailleurs algériens ne peuvent que se soumettre. La santé dans l’entreprise, les œuvres sociales et d’autres droits n’ont jamais été aussi sollicités qu’au cours de ces dernières années, même si les prestations ne répondent pas toujours aux exigences de l’ergonomie, de la psychologie du travail et de la dignité des travailleurs.
Dans cette étape d’évolution qui touche le monde du travail sur tous les plans (flexibilité de la relation de travail, précarisation par des contrats à durée déterminée, gestion moderne du temps et de l’outil de travail, impératifs de la formation continue…), le bouillonnement du front social apparaît dans ses jours les plus fastes. Pour mieux cerner les motivations, la dimension et les retombées de ces mouvements, il importe de jeter un regard sur les conditions sociales des travailleurs algériens, le chômage, la précarité et les inégalités entre les différentes couches de la société. Dans le sillage de la mondialisation des échanges et de la division internationale du travail, les analystes, les pouvoirs publics, les syndicats et d’autres acteurs ont, chacun par le bout de sa propre lorgnette, essayé de caractériser et de qualifier la nouvelle situation qui est en train de se mettre en place en Algérie. L’ancien concept de ‘’masses laborieuses’’ a fait long feu. Il fait partie d’une langue de bois qui n’est plus en usage. En tout cas, le triomphe du capital après la chute du mur de Berlin a induit imparablement le recul des idéaux sociaux. Les velléités de ‘’moralisation’’ du capitalisme suite à la crise financière mondiale de 1988, ne peuvent être perçues, à l’échelle de l’histoire et de la logique interne au système, que comme tentative de son sauvetage.
La formation comme facteur de productivité
Il est vrai que la nouvelle configuration des forces sociales n’a pas encore atteint sa maturité d’où les incertitudes qui pèsent sur le monde du travail, incertitudes renforcées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui bouleversent un peu plus chaque jour, la relation entre le travailleur et son outil de production et qui situent dans une dimension nouvelle les facteurs de productivité.
Parmi les facteurs de productivité qui semblent avoir été longtemps négligés dans notre pays, la formation qualifiante et, en général, la gestion des ressources humaine, posent aujourd’hui leur équation en termes crûs. En matière de compétence censée ouvrir la voie vers l’exercice d’un métier, le problème se pose désormais en termes d’adéquation entre le système d’enseignement et le marché du travail. Cette dernière notion a, il est vrai, fait défaut par le passé du fait que l’ensemble des diplômés avaient leurs débouchés et pris en charge par l’État, principal employeur du pays. Les analystes les plus indulgents ont conclu à la faillite du système de la formation professionnelle dans notre pays. Les symptômes on commencé à apparaître au grand jour dés l’émergence de l’entreprise privée comme nouvel acteur de la vie économique du pays: les ateliers et usines privés ayant vu le jour au cours des dernières années ne trouvent pas le personnel technique et d’exécution sur le marché du travail. Certains capitaines d’industrie n’ont pas hésité à faire appel à des diplômés sortis de centres de formation professionnelle pour des tâches de maîtrise ou d’exécution. Mais quelle ne fut leur surprise en découvrant que la compétence recherchée ne court pas les rues. Il faut aussi souligner la discordance de profils qui fait que, parfois, une formation assurée dans un centre ne correspond pas à un créneau des activités économiques existantes.
L’entrée dans les centres de formation répond rarement à la vocation des jeunes. Au lieu qu’elle soit un choix dicté par les préférences d’un cycle court ou par des prédispositions et aptitudes particulières, la formation professionnelle est vécue plutôt comme un moindre mal par rapport à l’exclusion scolaire. Aujourd’hui, les données sont en train de changer radicalement. Face à une vague sans précédent de techniciens, personnels d’exécution, cadres et même ouvriers étrangers ramenés ou recrutés par les sociétés étrangères travaillant en Algérie, les responsables de la formation sont plus que jamais interpellés pour révolutionner le secteur par de nouvelles méthodes de formation et une nouvelle pédagogie qui allient la nécessité de qualification aux besoins de l’économie nationale.
Les pouvoirs publics ont, en concertation avec les institutions spécialisées (universités, bureaux d’études, Conseil économique et social, syndicats,…), essayé de produire et de faire valoir une législation, respectant les grands principes moraux et ergonomiques du monde du travail: âge minimal de travail, couverture sociale, droits à la retraite et d’autres conditions qui ont pour souci de préserver la santé le niveau de vie et la dignité des travailleurs. Néanmoins, entre l’intention portée par une loi et la pratique vécue, il y a comme un fossé induit par l’état général de l’économie nationale. En effet, les conditions de naissance et de durabilité du travail au noir sont réglées d’abord par l’implacable loi de l’offre et de la demande qui régit le marché du travail. Ce dernier, dans le contexte de libre entreprise, est mû par ses propres mécanismes tels que la croissance économique en général et les critères de compétence en particulier. Dans presque tous les secteurs d’activité des micro-entreprises de travaux, de prestations de service ou de production ont vu le jour et ont essayé de prendre la place des activités d’un secteur public très affaibli. Le recrutement du personnel s’est limité au strict minimum pour faire des gains de productivité et, partant, des gains de marge bénéficiaire. Cela dans le cas où l’employé est déclaré à la sécurité sociale. Souvent, ce n’est pas le cas.
La partie non structurée de l’économie nationale est considérée par les analystes comme un des facteurs déterminants qui ont contribué à la perversion des valeurs du travail, à l’évasion fiscale et à la fragilisation de larges pans de la société.
La nouvelle culture du travail ne saurait s’accommoder ni d’une formation au rabais ni d’une partie parasitaire de l’économie qui risque de dissuader les véritables investissements.
Amar Naït Messaoud