L’Algérie s’est longtemps gargarisée des “performances” budgétaires qui plaçaient, au cours des années 1980, l’éducation nationale au second rang des dépenses publiques juste derrière la Défense nationale. La situation a vite évolué, s’interrogeront les observateurs les moins vigilants, le budget fait-il, à lui seul, l’école ? Les Algériens sont les mieux placés pour apporter un démenti formel à cette interrogation. En effet, les structures budgétivores de l’éducation nationale n’ont pas été à la hauteur des espoirs que la collectivité nationale a mis dans cette noble institution qui a pour nom : l’école. Pis, dans une large mesure, cette dernière a été dévoyée de sa mission originele de formation et d’éducation au profit d’une politisation basée tantôt sur des dogmes nationalistes étroits, tantôt sur des ersatz d’éducation religieuse à tendance intégriste.Les résultats de la mise en œuvre de l’ordonnance de 1976 relative à l’école fondamentale ne se sont pas fait attendre. Outre une déperdition scolaire calamiteuse, les élèves qui terminent leurs cursus ont un niveau scolaire tellement faible que, même avec le bac en poche, ils ne sont pas assurés de franchir les portes de l’université. Même dans le cas où ils accèdent, le handicap de la langue d’enseignement vient refroidir les ardeurs de beaucoup de postulants. D’ailleurs, un phénomène nouveau, et assez révélateur pour être souligné, marque ces dernières années le paysage du secteur de l’enseignement. Il s’agit des bacheliers qui refont l’examen du bac parce que les notes obtenues dans cet examen ne leur permettent pas d’avoir accès à la filière convoitée.La société, les organisations des parents d’élèves et des partis politiques ont réclamé des réformes dans le secteur de l’éducation depuis longtemps. Le constat étant établi, restait la volonté politique de moderniser l’école algérienne pour la mettre au diapason des enjeux sociaux, scientifiques, techniques et économiques que notre pays affronte à l’aube du XXIe siècle. C’est ainsi que le président Bouteflika a pris l’initiative de constituer une commission de réformes de l’enseignement présidée par le professeur Benzaghou.Les recommandations de la commission sont assez prometteuses. Pour s’en rendre compte, il suffit de s’arrêter sur les réactions qu’elles ont soulevées auprès d’organisations et de partis intégristes ou à tendance arabo-islamiste. Par contraste, ces réformes apparaissent comme un véritable espoir pour tous ceux qui rêvent d’un avenir radieux pour ce pays. Il semble que le département de Benbouzid ait plutôt agi avec beaucoup de circonspection en matière de prise en charge pratique de ces recommandations. La preuve en est que les décisions prises par le ministère le sont au compte-goutte, et certaines d’entre-elles ont pris à contre-courant l’esprit même des réformes. Sinon, comment expliquer l’épée de Damoclès qui pèse sur les écoles privées sommées qu’elles sont de dispenser le même programme avec les mêmes outils – à savoir la langue arabe – que l’école publique ?Certes, d’autres mesures plus courageuses ont été prises dans le sens de la réhabilitation de l’école dans ses fonctions primordiales. Dans ce contexte, il importe de souligner la suppression de la filière. Chariaâ dans les lycées. Cette discipline sera désormais dispensée en tant que matière.L’enseignement de tamazight à partir de la 4è année dans onze wilayas du pays, y compris Tamanrasset et Ghardaïa, est aussi un geste augurant de la prise en charge efficiente de cette langue nationale, d’autant plus que de nouveaux postes budgétaires (168) lui ont été dégagés.Au lieu des quinze filières au bac qui existent actuellement, le ministère prévoit de réduire ce nombre à six à l’horizon 2008. La tutelle a aussi constaté un déficit en enseignants dans certaines matières qui se révèlent essentielles pour le parachèvement des réformes d’ici à 2009. Il s’agit principalement du français, de l’anglais et des mathématiques. A cet effet, le département ministériel a sollicité du gouvernement 2 000 postes budgétaires.Les changements ont aussi touché la durée des paliers d’enseignement. Ainsi, le cycle primaire se trouve réduit à cinq ans : le cycle moyen retrouve la durée qui lui était consacrée naguère, à savoir quatre ans, et le cycle secondaire, qui s’étalera toujours sur trois années, voit déjà la restructuration de ses programmes mise en place. Deux troncs communs y sont assurés : lettres-philosophie et sciences-technologie.
Pour un contrat de performanceMême si les résultats de la mise en œuvre des réformes de l’école ne peuvent être appréciés qu’au bout de quelques années, l’inquiétude du titulaire du portefeuille de l’éducation quant aux résultats faibles obtenus dans l’examen du bac dans certains lycées est amplement justifiée. Reste à faire le bon diagnostic et à prendre les mesures idoines pour remédier à la situation. Ceux qui suivent assidûment la scène de l’éducation nationale ne sont ps très convaincus par la méthode expéditive employée par la tutelle pour dégommer quatorze proviseurs de lycée. La “refondation du système pédagogique”, pour reprendre les termes du ministre, doit procéder par une “approche par compétence” (dixit le même ministre). Et c’est pour cette raison que l’examen de la situation exige plus de pondération et de lucidité. Le secteur de l’éducation doit faire l’économie d’un nouveau front qui s’ouvrirait dans le corps des chefs d’établissement. L’embryon de réaction commence déjà à prendre forme puisqu’un certain nombre de proviseurs des lycées de l’Est et du Centre ont formé une coordination qui compte riposter, sous couvert de l’Union nationale des travailleurs de l’éducation et de la formation, contre la “giffle qui leur a été assénée” par le département de Benbouzid en limogeant des collègues. Le bureau de la wilaya de Bouira de cette coordination a été constitué mardi passé. Les proviseurs comptent se structurer au niveau national sous forme d’un syndicat.Les évaluations frauduleuses des élèves au cours de leur scolarité-sujet traité par Benbouzid au cours de la dernière réunion qu’il a organisée avec les directeurs de l’éducation-finissent par éclabousser tout l’encadrement pédagogique et même les parents d’élèves lors des examens de 6e, du BEF ou du bac. La faute ne revient certainement pas au seul proviseur. Dans une sorte de complicité générale, beaucoup d’acteurs ont contribué à la faillite des valeurs pédagogiquess et morales au sein de notre institution scolaire. Donc, c’est en prenant le taureau par les cornes – par l’établissement d’un contrat de performance pour l’ensemble du personnel intervenant dans le processur de la formation scolaire – que les pouvoirs publics pourront donner une chance de réussite aux réformes du système éducatif. Ce contrat doit être nécessairement couplé avec un effort de formation des enseignants. En effet, de l’aveu même du ministère, 242 000 enseignants nécessitent une formation. Sur 280 000 enseignants, des cycles primaire et moyen, seuls 38 000 ont le diplôme de licence. Pire, 64 % des enseignants du primaire n’ont pas eu leur bac. Les incitations que le ministère consacre à une formation complémentaire des enseignants – laquelle, il faut le souligner, n’est pas obligatoire -, se matérialise, selon les explications données par la tutelle lors des conférences régionales organisées le 31 mai dernier, par l’octroi d’un diplôme universitaire et la révision de la classification de l’intéressé.Il est évident que le système éducatif est un tout indissociable. Même si les programmes scolaires, la pédagogie et la déontologie scientifique constituent le noyau des réformes inhérentes à ce secteur, les volets social et infrastructurel ne peuvent être occultées dans une entreprise de réhabilitation de l’école. Les différents syndicats du secteur – légaux ou “informels” – ont à maintes reprises tiré la sonnette d’alarme sur les conditions sociales des enseignants et l’environnement dans lequel ils exercent. Ils ont été jusqu’à prendre en otage les élèves en compromettant une partie de leurs programmes. Il est sans doute temps que le ministère de tutelle se penche sérieusement sur le volet des salaires et des idemnités, même si, dans la pratique, l’évolution de la situation reste tributaire du nouveau statut de la Fonction publique. En tout cas, sur ce chapître comme sur le reste des segments liés au milieu scolaire, le plan de soutien à la croissance économique consacre 12,4 % de son montant à l’éducation et à la formation professionnelle. Il y est prévu, entre autres, 7 000 nouvelles salles de classe, 434 lycées, 1 098 cantines et 500 infrastructures sportives scolaires. Pour cette rentrée, la prime scolaire d’un montant de 2 000 DA destinée aux élèves de parents nécessiteux touchera quelque 3 millions d’élèves.Par-delà les chiffres et les situations conjoncturelles, c’est de l’avenir de tout le pays qu’il s’agit lorsqu’on aborde le sujet de l’éducation. Certains de nos cadres formés dans les années 1970 par l’Etat algérien mais qui n’étaient pas touchés par le laminage qui a lieu sous le règne de l’école fondamentale font aujourd’hui le bonheur des grandes boîtes technlogiques d’Europe et d’Amérique et des grands hôpitaux occidentaux. La nouvelle école algérienne n’a pas d’autre alternative que de s’adapter au monde qui nous entoure, à la nouvelle économie, de plus en plus mondialisée, et à la nouvelle conception de la citoyenneté basée sur l’esprit de liberté, de responsabilité et de démocratie.
Amar Naït Messaoud