«J’espère que le public appréciera le travail»

Partager

La Dépêche de Kabylie : Qui est Ammar Arab ?

Ammar Arab : Je suis auteur, réalisateur et producteur depuis près de dix sept ans. J’ai collaboré avec des télévisions européennes. Et, depuis peu, avec la télévision algérienne à travers des séries documentaires faits en Kabyle, tel « Oussan Oumezrouy». Ma dernière production remonte à 2008. Il s’agit du feuilleton « Si Muh ou Mhend ». Et depuis peu on travaille sur ce nouveau projet intitulé « Arraw n tmurt » que je traduirai plus par « les héritier de la mémoire ». L’objet de ce feuilleton c’est de rappeler toutes les valeurs avec lesquelles notre peuple a vécu et qui sont, malheureusement, en pleine perdition à cause de cette mutation que vit la région. Ceci à travers quatre amis aux destins différents, Dda Mokrane un émigré en France, Saïd un poète déchu, M’hand un médecin du village et, enfin, Chikh Mouhand, le sage du village. Ils se retrouvent après quarante ans de séparation et constatent que les temps ont changé que leur village a besoin de retrouver ses repères. Ils décident de faire revivre Tajmaât.

Le choix de ces personnages a-t-il été fait de manière fortuite ?

Le choix des personnages a été si je peux dire, étudié. L’émigré car il n’y a pas une famille kabyle qui n’en a pas, à cause notamment des conditions socio-économique de la région et du fait que le kabyle est connu pour être un grand voyageur. Le médecin, pour rendre hommage au sacrifice de la première promotion de médecins algériens de l’université algérienne. Parce qu’ils ont servi de charnière pour les générations qui ont suivies et qu’ils ont apporté le savoir et l’école au village. M’hand a choisit un retour au village, poussé par sa vocation et par son devoir de servir le monde rural. Pour moi c’était important de faire parler l’intellectuel kabyle qui a fuit son nid pour aller mouiller sa plume ailleurs dans les villes. Quant au poète, il a eu le courage d’endurer et de rester fidèle à son village où sa dulcinée, dont il a voulu en faire la femme de sa vie, est enterrée. La fidélité l’a poussé à une promesse, celle de ne pas ouvrir son cœur de nouveau, mais aussi de ne pas quitter son village. Chikh Taddarth est un repère religieux. Pour dire que la religion fait partie de notre culture, de notre éducation. Successeur de la dynastie des Almoravides, le Chikh n’a fait que promulguer leurs pratiques qui consistaient à traduire le Coran de l’arabe au Kabyle. Donc, il est le garant moral de la religion à laquelle nous sommes profondément attachés. Le fait de les réunir, tous les quatre dans leur amitié d’enfance et leur mémoire, c’est quelque part pour raconter des pans de l’histoire de l’Algérie. En effet, une partie de ses enfants a émigré une partie s’est donnée pleinement à l’instruction, une autre souffre terriblement des conditions de vie d’artiste. Car, malheureusement, le statut d’artiste dans notre pays est laissé à l’abandon. Une autre partie s’est, quand à elle, consacrée à la sauvegarde de la religion. Da Mokrane était le catalyseur et le trait d’union qui a permis aux autres de se réunir à nouveau. C’est dire que l’émigration peut jouer un rôle dans la société algérienne, celui de réconcilier les algériens, que ce soit dans leur vie économique, sociale ou culturelle. Et c’est cela le message médium, celui de la réconciliation, de la reconstruction, parce que aimer son pays, c’est avant tout l’aimer quand il est à genoux. C’est vrai que jusque là une certaine idéologie faisait croire au peuple que l’état pouvait tout leur donner. Mais elle ne leur a jamais enseigné ce qu’ils peuvent apporter à ce pays. Et je crois qu’aujourd’hui il serait temps qu’on prenne le destin de ce pays en main. Car un pays ne doit sa gloire qu’à ses enfants qui le portent.

Combien de temps va durer le tournage en Kabylie?

Ca va faire exactement quarante neuf jours depuis qu’on a entamé le tournage. J’adore ce chiffre car il y a quarante neuf comédiens, quarante neuf jours de tournage…et quatre et neuf font treize. Un chiffre mythique (Rire). Le tournage touche pratiquement à sa fin, avec uniquement quelques séquences à tourner au port d’Alger et à Paris, pour montrer les conditions de vie dans lesquelles, malheureusement, ont vécu les nôtres.

Avez-vous bénéficié pendant cette période qu’a duré le tournage, de l’aide et du soutien des habitants de la région ?

Je mentirai si je disais que tous les villageois nous ont soutenus. Il y en a qui nous ont ouvert les bras et même leurs maisons. D’autres, malheureusement non. Et moi, je ne peux pas leur tenir rigueur car ils n’ont pas été trop accueillants. Ceci est d&ucirc,; peut-être, au fait qu’il y a très peu de productions cinématographiques dans la région. C’est ainsi qu’ils nous voient comme des intrus qui viennent déranger l’ordre des choses.

A quel accueil vous attendez-vous, des téléspectateurs, pour «Arraw n Tmurt» ?

Quand je vois sur les plateaux de tournage des personnes, qui viennent nous rendre visite, s’émouvoir, pleurer, rire, je vous assure que c’est un très bon signe. Et j’espère de tout cœur que ce travail soit bien accueilli. Et je souhaite que d’autres réalisateurs fassent beaucoup plus que moi, en réalisant d’autres films qui traitent de l’histoire de la région. Je souhaite qu’il y ait une école de réalisateurs dans notre pays afin de donner vie à cette activité merveilleuse, car elle apporte le savoir, la connaissance, l’émotion, la tendresse. Parce qu’un réalisateur et comme ce chef d’orchestre qui peut peindre un tableau en écrivant un poème tout en composant une musique. Et les trois, réunis, apportent de l’émotion, de la tendresse dont on a énormément besoin.

Cette année, l’événement culturel en Kabylie c’est, sans doute, la tenue de la 11ème édition du festival du film Amazigh. Pourquoi Ammar Arab n’a-t-il pas pris part à cette manifestation culturelle?

J’avoue qu’on m’a sollicité pour concourir, mais j’ai refusé. D’abord parce que j’étais en tournage. Aussi, parce que j’aimerai qu’on donne la chance aux jeunes talents. Moi, je suis un professionnel qui a suffisamment de moyens pour mener une idée jusqu’à sa maturation et en faire un produit culturel audiovisuel. Par contre, beaucoup de jeunes talents n’ont pas cette chance là et trouvent énormément de difficultés pour atteindre la finalité de leurs idées. Autrement, c’est un festival que j’ai toujours encouragé parce que j’estime que la créativité n’est pas à la portée de tous. Et j’ai beaucoup d’admiration pour quelqu’un qui porte un projet et en fait un film. Et ce quelque soit la qualité et le niveau du film. Nous assistons à la prolifération d’un phénomène qui prend de l’ampleur, celui du doublage d’œuvres étrangères en langue Kabyle. Vous avez un mot sur ça ?

Le doublage n’est pas une bonne chose. Notre culture est riche. Elle peut nous permettre de faire des films dans notre langue et les diffuser, ensuite, n’importe où dans le monde. Ceci car nous avons des choses authentiques et originales qui peuvent intéresser les autres cultures. C’est vrai que nos jeunes talents n’ont pas suffisamment de moyens pour s’exprimer et réaliser eux même leurs propres produits. C’est pour cette raison que je ne peux pas condamner ceux qui font dans le doublage. Au contraire, quelque part je les encourage parce qu’ils apportent quelque chose. Par ailleurs, je suis certain qu’ils auraient pu investir l’énergie consentie dans une création purement Kabyle. Ceci permet d’enrichir notre patrimoine et d’affirmer notre langue maternelle. La langue Amazighe a besoin d’être développée, d’être promue à travers les supports artistiques. C’est à dire une productivité culturelle. Elle a besoin qu’on produise dans sa culture et sa pensée. Notamment en écrivant des livres, en créant des pièces de théâtre, en produisant des films, des documentaires, des dessins animés, des jeux vidéo. Par contre, ce qui est doublé n’enrichit en rien notre patrimoine, c’est uniquement le chemin de la facilité.

Croyez-vous que le film Kabyle, dans son intégralité possède un public à l’étranger ?

Le film Kabyle peut avoir un public à l’étranger à partir du moment où il s’inscrit dans les normes internationales de production, que ce soit les thèmes traités ou même dans la réalisations. Nous ne pouvons pas exporter un produit en posant un personnage avec sa guitare sur un rocher avec une montagne derrière. Il faut creuser, car notre histoire est extraordinaire et on peut y déterrer des choses merveilleuses à raconter. Pourquoi on ne fait pas de film sur les personnages qui ont marqué l’histoire de notre pays ? Mais malheureusement, même cette histoire nous ignorons beaucoup d’elle.

Propos recueillie par Tassadit Ch.

Partager