Mouh Serkasti et Rachid Seddiki, deux poètes de la région de Maâtkas, viennent de mettre sur le marché un CD poétique traitant d’un sujet d’actualité qu’est la fuite des cerveaux, un phénomène qui gangrène la société algérienne et menace directement et irrémédiablement dans plusieurs cas malheureusement, toute la matière grise du pays.
Un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur au vu et au su des plus hautes autorités du pays qui continuent d’appliquer la politique de la fuite en avant feignant de voir la menace certaine qui pèse sur l’avenir de la nation. Rachid et Mouh que rien ne lie à première vue, puisque le premier est un enseignant à la retraite et le second continue d’exercer la fonction de chauffeur à l’APC de Souk El Tenine. C’est comprendre aussi que dans notre chère patrie, le monde de la culture, de la poésie et de l’art en général continue de patauger dans les extrémités de la marge. Ces deux poètes de très longue date, puisque leurs premiers vers remontent aux années 80, une période ou plein d’énergies saines voulant s’exprimer en vue de faire régresser les ténèbres que les tenants du pouvoir de l’époque voulaient maintenir pour assouvir leurs objectifs inavoués et contraires aux aspirations du peuple qui ne demandait qu’à s’émanciper et aller de l’avant dans l’optique de construire un Etat moderne, juste et démocratique où tous les Algériens jouiront pleinement de leur droit et accompliront leur devoir. Hélas ce ne fut pas le cas. Les projets des uns et des autres se sont entrechoqués sur la scène nationale pour arriver au constat que tout le monde connaît et qui n’est pas élégant. La répression, le printemps berbère, le terrorisme de la décennie noire et le printemps noir en sont les conséquences du refus des pouvoirs de s’ouvrir à la démocratie et d’accéder au vœu de la société. Une donne qui a conduit des dizaines de milliers de cerveaux à opter pour d’autres cieux, laissant derrière eux leur mère patrie pourtant adorée, aimée et chérie dans une violence sanglante sans précédent. Le besoin de vivre paisiblement et dignement et celui de sauver sa peau ont prévalu. Serkasti et Seddiki, nos deux poètes, ne sont pas restés insensibles et décident de conjuguer leur talent pour traiter poétiquement ce fléau qui s’aggrave encore de nos jours.
Dix poèmes pour crier haut et fort le marasme social actuel
Un dialogue poétique et bien rythmé est engagé entre les deux poètes, l’un voulant et expliquant de fort belle manière sa décision de prendre le large et le second essayant de l’en dissuader en brandissant des cartes telles que l’amour de la patrie, la construction d’un Etat de droit, la douceur de la vie familiale, parmi les siens et de bien d’autres raisons de rester. Le duo s’adonne à un véritable débat poétique à travers des mots bien sélectionnés et bien placés pour convaincre l’autre. La tentative de battre en brèche les propos de l’autre a poussé les deux antagonistes à puiser au fond de la langue chère à Mammeri. Hélas, à la fin du duel artistique, c’est le partant qui est convaincant. Tout un débat enchaîné telle une histoire bien racontée emmenant l’auditeur à considérer, à reconsidérer et à plus de réflexion avant de songer partir et à braver la mer méditerranéenne. Hélas à la fin, c’est toujours le désir de se retrouver sous d’autres cieux qui l’emporte. L’état des lieux dans notre société fait fuir les plus tenaces. Rappelons que ces deux poètes ne sont pas à leur première expérience. Rachid Seddiki, ce retraité de l’éducation a fait partie du jury du festival de Si Mohand Ou Mhand et youcef Ou Kaci. Ils ont également participé à plusieurs festivals, à plusieurs émissions de la radio chaîne 2 comme ils sont passés à la chaîne de télévision berbère. Ils sont tous deux reconnus officiellement poètes. Mouh Serkasti que nous avons rencontré autour d’un café se contentera de dire avec beaucoup de tact et de justesse : «Chez l’Algérien et le Kabyle en particulier, l’amour de la patrie n’a jamais été un slogan creux. Les citoyens aimant leur pays et tenant solidement à leurs origines ont fini par céder quoi que momentanément car l’appel du cœur deviendra un jour ou l’autre irrésistible, devant l’actuelle mal vie, l’ingratitude, la misère, l’injustice et la non reconnaissance de l’autre ont fini par engendrer la fuite des cerveaux avec ses déchirures et ses drames tant sur le plan économique qu’humain. Un sujet pareil ne peut être passé sous silence. Avec mon ami Rachid, nous avons tenté de comprendre ce phénomène en vue d’éclairer sur les risques et les dangers de telles aventures pour l’homme et pour la nation. Il est amer de constater que de nos jours même les plus âgés veulent partir. Sans que cela n’alerte les plus hautes autorités du pays. L’Algérie se vide de sa matière grise et de sa jeunesse. L’ouverture démocratique, la justice sociale et la liberté tout court seront des mesures qui mettront un terme ou du moins freiner cet exode massif vers l’eldorado européen et le rêve américain».
Hocine Taib