En rangs dispersés

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La disparition du père fondateur du FFS, Hocine Aït Ahmed, voilà quatre ans de cela, a précipité le parti dans une guéguerre sans fin. Les deux ailes qui se disputent la direction du parti ont fait sortir la famille du défunt de sa réserve. Demain, le Front des forces socialistes n’aura qu’à se recueillir sur la tombe de son père fondateur à Aït Yahia. Si la famille de Hocine Aït Ahmed et quelques cadres et militants restés à la marge des tiraillements rappellent le testament du défunt qui interdit tout recueillement à connotation politique, la crainte de la survenue d’un coup d’éclat de la part de l’une ou l’autre aile près de la tombe de Si El-Hocine est vivace : «Il est possible de se recueillir sur sa tombe.

Mais nous devons être vigilants sur l’instrumentalisation politique qui pourrait venir des radicaux du FFS. D’où la décision de ne pas organiser de commémoration, au sens de show politique. Un recueillement simple correspond à ce que fut Si el Hocine», nous a déclaré une militante du parti qui a requis l’anonymat. «Des radicaux» ! Dans cette grande confusion et cet inextricable embrouillamini dans lequel est plongé le plus vieux parti de l’opposition, toutes les initiatives tendant à recoller les morceaux s’avèrent difficiles, si elles ne sont pas impossibles.

La dernière preuve en date, c’est la réaction –plutôt les réactions- du parti à l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence du pays. Deux communiqués portant l’entête du parti ont été pondus le 14 décembre pour exprimer la position du FFS vis-à-vis de cette élection. Il s’agit au fait de deux positions aux sonorités et signatures différentes. Et ce n’est pas la première fois que le FFS réagit de la sorte, aggravant davantage l’incompréhension des militants et cadres «neutres» qui cherchent les voies et moyens pouvant mettre fin à la bipolarité dans le parti le plus respecté sur l’échiquier national et international.

La journée commémorative de demain sera donc strictement sobre et «emplie de Rahma», tel que suggéré par la famille de Hocine Aït Ahmed. Celle-ci l’a d’ailleurs rappelé dans une lettre adressée aux militants du parti, le 17 décembre dernier, en réponse à une correspondance qui lui a été adressée par le Comité Ad-Hoc du parti, pour connaître sa position sur deux questions du moment qui taraudent l’esprit des militants. «Chers militants et cadres du FFS ; Madjid Rouar nous a bien transmis votre lettre et nous vous en remercions vivement.

Celle-ci comporte deux propositions : l’une relative à une «commémoration» ce 23 décembre 2019 du décès de Hocine Aït Ahmed, survenu voici quatre ans, et l’autre liée à votre initiative de sortie de crise du Front des forces socialistes (FFS)», est-il écrit dans la lettre signée par «La famille de Hocine Aït Ahmed : Djamila, Bouchra, Salah, Jugurtha». En ce qui concerne la question relative à la commémoration qui aura lieu demain, la famille du défunt Aït Ahmed a jugé bon de rappeler que «(…) Aucun tombeau, ni mausolée ne doit être construit sur ma tombe, laquelle ne fera jamais l’objet d’aucune cérémonie de la part de toute autorité politique, de tout parti politique et autres groupements, ni d’aucune exploitation mercantile», suivant le testament signé par Hocine Aït Ahmed le 6 février 2012.

Et de préciser que ce sont là, «les dernières volontés de feu Hocine Aït Ahmed. Elles ont l’avantage d’être claires et ne souffrent d’aucune exception. Très concrètement, cela signifie qu’il n’est pas possible d’organiser, in situ à Aït Yahia, de «commémoration» impliquant des prises de parole, des déclarations à la presse ou tout autre mode d’expression politique.» Pour la famille du père fondateur du FFS, «la tombe de Hocine Aït Ahmed doit rester à jamais un lieu empli de Rahma».

Les difficiles conciliabules

Néanmoins, les héritiers de Hocine Aït Ahmed ne s’opposent pas, outre mesure, à ce qu’on se recueille sur sa tombe : «En revanche, il est possible d’aller vous recueillir sur sa tombe pour lui rendre hommage. Notre devoir et notre responsabilité sont de faire respecter sa volonté. Il vous revient aussi d’en faire de même.»

Les auteurs de la lettre aux militants du FFS suggèrent même d’organiser une ou des cérémonies de commémoration du 4e anniversaire de la disparition de Si El-Hocine, dans un cadre partisan et politique : «Rien ne vous empêche d’organiser une commémoration «unitaire», ailleurs qu’au village, symbolisant le début d’un processus de réconciliation», est-il mentionné dans la lettre. Les héritiers d’Aït Ahmed ne sont pas sans savoir que la déchirure est très profonde au sein d’un parti politique qui est l’unique héritage de feu Si El-Hocine que sa famille ne peut réclamer.

La lettre que lui a adressée le comité Ad-Hoc national du FFS n’est en fait qu’une missive de consultation, étant donné que la famille d’Aït Ahmed ne détient aucun droit décisionnel direct sur le parti. La preuve en est que, les purges opérées au sein du parti avant qu’elles ne soient reconsidérées, notamment contre les anciens cadres, à l’instar de Salima Ghezali, ont dévoilé au public l’infime poids, s’il n’est quasi-nul, de Jugurtha Aït Ahmed dans la prise de décisions au sein de la direction du FFS.

L’éclatement du parti au lendemain de la mort du «Zaïm» l’a rendu «invisible et inaudible» de l’aveu même de sa famille qui n’a pas d’autres choix que de soutenir l’initiative de réconciliation que mène le Comité Ad-Hoc national depuis plusieurs semaines. «Nous saluons votre initiative qui vise à trouver une sortie à la crise qui a laminé et rendu invisible et inaudible le FFS, à un moment clef de l’histoire de notre pays», écrit la famille de Hocine Aït Ahmed dans sa réponse. Celle-ci regrette que les déchirements et les difficiles conciliabules entre belligérants se soient accentués à un moment historique du pays avec l’émergence du Hirak.

Pour elle, «les valeurs et les revendications politiques du Hirak sont celles pour lesquelles les militant(e)s du parti ont combattu depuis 1963. Avec abnégation et générosité. Beaucoup ont donné leur vie. Toutes et tous ont porté haut, avec courage et dignité, les valeurs du parti, en dépit de l’hostilité et de la violence du pouvoir. Aujourd’hui, le FFS aurait dû capitaliser les «graines» qu’il a semées durant ces sombres années. Fort de sa légitimité et de son expérience, il aurait pu fournir un véritable soutien politique à «la révolution du sourire», «populaire et pacifique», regrette-t-elle. Et de noter que «le ‘’système’’ aurait eu en face de lui un interlocuteur puissant et crédible».

«Faire renaître le parti de ses cendres»

Pour les héritiers de Hocine Aït Ahmed, «la seule façon aujourd’hui d’honorer véritablement la mémoire de Hocine Aït Ahmed est de faire renaître le parti de ses cendres, de lui redonner toutes ses lettres de noblesse», a-t-elle recommandé au Comité Ad-Hoc national, dont l’existence, estime la famille du défunt, est accueillie avec «satisfaction», comme pour le «travail déjà accompli par ses membres». «Nous saluons votre état d’esprit et vous encourageons vivement à poursuivre votre travail de réunification du parti», a-t-elle encore indiqué, soulignant que «la tenue d’un ‘’Conseil national rassembleur’’ est certes très importante car elle a pour perspective la préparation du Congrès national du FFS.

Mais cet objectif ne peut être atteint que si les uns et les autres, tous les militant(e)s et les cadres sans exclusive, cultivent et consolident la culture du dialogue, de la conciliation et de la collégialité au sein du parti». La veuve et les enfants de Hocine Aït Ahmed n’ont pas manqué, par ailleurs, d’annoncer leur disposition à «contribuer, dans la mesure du possible, à la réussite d’une telle démarche».

M. A. T.

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