“La création musicale est au dernier rang”

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Dans cet entretien, Medjahed Hamid parle de sa carrière artistique, de son projet avec la diva Nouara et de plusieurs autres sujets.

La Dépêche de Kabylie : Comment se porte Medjahed Hamid ?

Medjahed Hamid : Je me porte assez bien. Je vis la plupart du temps dans mon village en Kabylie, au village d’Alma dans la commune d’Ichelladen à Akbou. Ce très beau village est situé à plus de 1000 m d’altitude ! «Avehri tili», comme on dit. L’air pur, le calme, ni stress des villes ni pollution.

Ces derniers temps, vous vous êtes un peu retiré de la scène artistique. Quelle en est la raison?

Non pas du tout. Il est vrai que je ne suis pas tout le temps présent sur les plateaux télé, mais quand on m’invite je ne réponds présent qu’aux manifestations artistiques qui me conviennent, à savoir la bonne organisation et le sérieux. Si vous faites allusion à mes absences aux spectacles, galas artistiques et autres, je dois préciser que je n’ai jamais, au grand jamais, demandé à être programmé, que ce soit dans les spectacles, radios, télévisions ou autres. Si on me sollicite ou que l’on cherche après moi, ils savent comment me trouver, et je répondrai présent selon beaucoup de critères qui me tiennent toujours à cœur. Je ne suis pas, comme on dit, «un chasseur de primes» qui rôde partout où il y a un évènement pour que l’on remarque ma présence sans que je n’y sois invité. Je laisse ma place à ceux qui aiment bien se mettre en exposition et à s’infiltrer jusqu’à même oser sauter sur la scène et avoir le culot de chanter sans y être prévu!

Beaucoup de nos jeunes ne connaissent pas votre histoire avec la serrure, qui était peut-être derrière la carrière artistique que vous avez menée. Pouvez-vous la raconter ?

Effectivement, je suis né à la Casbah d’Alger, j’ai fréquenté à l’âge de 7 ans l’école primaire Msid Fatah, ex-école de la carrière, dénommée réellement Msid Brahim Fatah. Dès l’âge de 8 ou 9 ans, en sortant de l’école à 17 heures, il y avait à 5 ou 6 m, un local dénommé « Nedjmet Essabah » qui était le lieu où des musiciens de l’époque venaient faire leurs répétitions quotidiennes. Passant juste à côté, j’ai été attiré par des sonorités musicales jouées par un orchestre. Les premiers jours, je ne faisais qu’écouter. Après, voulant les apercevoir, je me suis mis à essayer de regarder quelques visages à travers le petit trou de la serrure. Je ne pouvais voir que certains que je reconnaissais à travers les fréquents spectacles donnés à la salle Pierre Bordes, actuellement dénommée salle Ibn Khaldoun, puisque j’y allais souvent payer ma place pour y assister. Pour être bref, j’ai été un spectateur assidu, et depuis, la musique s’est ancrée définitivement en moi.

Vous êtes de cette génération qui a, à un moment donné, propulsé vers le haut la chanson kabyle. Comment l’évaluez-vous aujourd’hui?

Propulsé vers le haut, je pense que c’est un peu exagéré. Merci, mais disons humblement que j’y ai apporté ma petite pierre. Pour revenir à votre question, la chanson Kabyle actuelle n’est hélas plus ce qu’elle était auparavant, même s’il existe quelques jeunes chanteuses et chanteurs de valeur irréprochable, et c’est tant mieux. Il est, quand-même, navrant de constater que la création musicale est au dernier rang! En plus, les chansons appelées « non stop », et les reprises qui font ravage. Le public aimant cela, est plus que bien servi. Enfin, il est à noter que ça commence à bouger dans le bon sens mais timidement. C’est déjà un pas de gagné.

On ne peut ne pas évoquer le défunt Cherif Kheddam. Pourquoi vous a-t-il tant marqué?

Étant Algérois de naissance, l’environnement dans lequel je vivais, la méconnaissance de la langue Kabyle, je n’écoutais que les chansons de l’époque, à savoir le chaabi, l’oriental et occidental. Mais juste après avoir réussi, en 1963, à l’examen du CEPE, mon père m’avait acheté en guise de cadeau un pick-up et quelques disques 45 tours dont Slimane Azem, Amar Zahi, Boudjema El Ankis, et enfin un autre qui a été pour moi la découverte incroyable de la vraie musique et en plus c’était en Kabyle. C’était une chanson de Chérif Kheddam intitulée « Aachen Zman ». Un vrai chef-d’œuvre musical dont je ne comprenais rien au texte. Une orchestration magistrale composée de musiciens professionnels de toutes nationalités confondues. Je ne me lassais pas de la réécouter en boucle, selon le jargon d’aujourd’hui. J’ai acheté alors plusieurs de ses disques, et je me suis mis à me renseigner sur ce grand artiste dont on ne parlait que si peu suite à la conjoncture de l’époque. Donc, grâce à ses chansons et « Aachen Zman » en particulier, cela m’a révélé et j’avais pris la ferme décision de venir et d’entrer par effraction dans le milieu de la chanson Kabyle malgré mes difficultés de m’exprimer dans ma langue originelle que j’ai commencé à apprendre vers l’âge de 16-17 ans.

Vous nous aviez déclaré, il n’y a pas longtemps, que vous étiez sur le point de sortir un album. Y a-t-il du nouveau après plusieurs mois d’attente?

Disons plusieurs années plutôt. Actuellement, le nombre de nouvelles chansons prêtes représente l’équivalent de deux albums. Je suis en négociations avec 3 éditeurs. Le 1er est venu me voir à Alger, puis chez moi au village. Il me parait intéressé de mon point de vue, avec le choix du studio que je veux, les musiciens et surtout le temps qu’il faut pour les enregistrements. Le 2e est celui chez qui j’ai produit mes 3 volumes CD, et le dernier que j’attends afin d’avoir des propositions concrètes. Cela dit, il est vrai que je suis quelqu’un qui ne se presse pas pour éditer à la va-vite, comme on dit. Mes nouvelles chansons, même terminées, me paraissent toujours encore à parfaire ou à réajuster musicalement parlant. Je suis un peu compliqué pour me décider mais une fois que je commence, je ne m’arrête plus jusqu’à la phase finale. L’urgence d’attendre est mon leitmotiv dans ce domaine. Je n’y peux rien. Pour moi, le travail de qualité passe avant tout. Voilà un peu de patience car rien ne sert de courir.

Qu’en est-il de celui de Nouara ? On croit savoir qu’il ne tardera pas…

Effectivement. Nous en sommes presque à la fin. Sept nouvelles chansons sur huit sont prêtes. La dernière est encore en préparation. Vous savez, nous ne faisons pas dans la chansonnette dite « jetable ». Aussi, nous sommes en atelier à trois pour aboutir à des chansons de qualité. Nouara pour le chant, Abdelmadjid Bali pour les textes et moi-même pour les musiques. Je ne peux hélas pas vous en dire plus à part «ayen yelhan yettɛettil (le meilleur tarde à voir le jour).

Vos anciens « élèves » qui sont passés par votre fameuse émission « Icennayen n uzekka » ne cessent de vous témoigner leur reconnaissance et gratitude. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Ils peuvent se compter sur les doigts de la main d’après ce que je vois. Il y a même sur les réseaux sociaux ceux qui attendent que je leur fasse une demande d’ajout. Pour être sérieux, j’avais accepté de diriger cette émission durant 25 années de ma vie, uniquement pour donner à ces jeunes ce que je n’ai pas eu la chance d’avoir lors de mes débuts. Je n’ai fait que mon devoir et les seuls qui pourront témoigner sur mon travail sont bien évidemment les auditrices et auditeurs car ce ne sont pas des ingrats. Je tiens à remercier quand même ceux que vous appelez mes « anciens élèves » et je suis fier d’eux. Quant à ceux qui évitent ou ont honte d’être passés par cette émission, parce que devenus célèbres aujourd’hui, je leur pardonne car ce n’est nullement de leur faute. Je sais que le succès arrive à faire perdre la tête aux fragiles, mais…

Avez-vous la nostalgie de ces années passées devant le microphone ?

Personnellement, et sincèrement non! Mais je sais que celles et ceux qui suivaient cette émission oui. Vous savez, il faut savoir s’arrêter au bon moment. Je ne tiens pas à mourir sur mon fauteuil devant le micro, contrairement à d’autres qui confondent la radio et Facebook. Il faut savoir laisser la place à la génération montante.

Un mot pour conclure…

Je termine avec une très belle phrase de deux anciennes auditrices et étudiantes de l’époque qui m’avaient écrit à l’émission en disant: « Il faut enterrer la médiocrité pour que fleurisse enfin la qualité ». Je ne peux mieux terminer. Tanemmirt-ik

Entretien réalisé par M’henni Khalifi

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