Entretien avec Messaoud Nedjahi : “Je suis un Chaoui qui écrit et chante en chaoui”

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Messaoud Nedjahi est ethno psychologue, musicologue, et plasticien. C’est l’un des artisans et pionniers de l’éveil berbère dans les Aurès comme il est le précurseur de la musique chaouie moderne. Il préside Tarwa n’Talit, un groupe de travail et de recherches antropo-ethno-socio-linguistique pour la mise au point d’un dictionnaire berbéro-berbère. Il est à l’origine d’une graphie Tifinagh qui fait grincer les dents de certains linguistes. Il est aussi auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier en date est Les trois précieuses. Dans cet entretien, il revient sur les événements qui ont marqué son parcours.

La Dépêche de Kabylie : Quand avez-vous commencé à militer dans le mouvement amazigh ?

Messaoud Nedjahi : Je ne me suis jamais considéré comme militant. Je n’aime pas ce mot. Je n’ai pas besoin des autres pour savoir qui je suis et quelle est mon identité. On ne dit pas d’un Français chantant en Français qu’il est militant ni d’un Japonais ou Chinois ni même d’un Arabe. Pourquoi serais-je dans ce cas un militant. Je suis un Chaoui qui écrit et chante en chaoui et j’essaie de le faire bien.

Comment avez-vous eu cette idée ? Pourtant, dans la région des Chaouis, la chose n’était pas aussi facile qu’en Kabylie ?

Ce n’est facile nulle part. Ce n’est pas une idée que de revendiquer mon identité. En 1972, j’ai été arrêté par des policiers zélés pour avoir parlé en Chaoui avec des amis originaires de Ghassira. Nous avions reçu des coups que nous ne pouvions pas rendre. Nous avions été humiliés parce que nous n’avions aucune honte d’être des Chaouis. Je me rappelle ce flic qui me disait avec ironie : «Eh ! Petit Amazigh, aujourd’hui tu es un Arabe que tu le veuilles ou non !» De telles situations ne s’oublient pas. Peut-être que c’est de là que vient ma révolte.

Citez-nous quelques uns de vos travaux dans le domaine culturel et artistique.

J’ai touché à un peu tout. J’ai créé un groupe Abliwen de musique et de théâtre en 1970. Nous étions interdits de passage surtout avec la pièce Jugurtha. En 1973, j’ai crée le groupe Wacun qui représenta l’Univesité de Cirta à Alger en 1974 à la salle Afrique et à Ben Aknun. Et au retour à Cirta cela m’a valu quelques jours de prison et surtout des coups. J’ai été à l’origine de la création de l’institut des Arts Plastiques à Cirta avant d’en être évincé. J’ai exposé des peintures de révolte avec le portrait du mathématicien Léonide Plioutch. L’exposition a été ravagée à coup de cutter. Une autre exposition de dessins à l’encre de chine et des aquarelles a connu à peu près le même sort. Quelqu’un y mit le feu, ce qui a valu à mon amie Safia de Tamlilt d’être brûlée au troisième degré. J’ai dirigé avec une amie une Chorale à Cirta et à Tbatent. J’ai participé au printemps 1980 (Alger, Boumerdès, Tizi), alors que j’étais sous les drapeaux. Un grand crime paraît-il. En 1981, j’ai quitté le pays sous la menace d’un tribunal militaire, retrouvé Dihya pour une longue collaboration. J’avais décidé de ne plus chanter et de me consacrer uniquement à la composition et aux études (Ethnopsychologie et Musicologie). De retour au pays après 27 ans d’exil, je constate les dégâts et écris des textes et des musiques que nul n’osa interpréter. J’ai dû le faire moi-même en les distribuant gracieusement à ceux qui veulent bien les écouter ce qui m’a valu une agression nocturne à Tbatent. Mes chansons connaissent vite la censure même sur les radios pseudo amazighes comme la chaîne II ou radio Batna.

Quels sont les livres que vous aviez écrits ?

La becquée n’a pas suffi. Aurès insolite. Aurès insoumis. Aurès, les feuillets morts d’un amnésique. Massinissa, le roi des coquelicots. Jugurtha, l’héritier du coquelicot. Autopsie d’une identité. Tamenraset sous la neige. Ug Zelmâd l’insoumis. Profession infirmière. Systole et diastole. Les anges naissent en Aurès. Les trois précieuses.

Est-il toujours difficile de militer dans le mouvement dans votre région ?

Nous gagnons du terrain de jour en jour mais les dégâts de l’arabisation sont énormes. Les Chaouis sont acculturés, inculturés, déculturés. Cependant nous avons espoir en la femme, car les hommes furent les premiers à donner leurs propres enfants en 2004 à Tkut. Nous ne baisserons pas les bras car on ne nous laisse aucun choix. La langue arabe doit rester une langue étrangère. La nôtre nous donne assez de fierté.

Pourquoi Les trois précieuses ?

Les trois précieuses sont en fait quatre. Trois sont décédées. La première Yala (Rose bien-aimée), originaire de Tkut, est la seule encore en vie mais cloîtrée depuis une trentaine d’années après avoir été agressée au vitriol par des barbus. En 2007, elle a accepté de me recevoir sans son voile habituel. Elle a été franchement défigurée. La deuxième Gellida (La reine chauve), originaire de Tamerwant, se serait donnée la mort. La troisième Iwal, originaire de Tkut, née à Timsunin (M’Chounèche) serait décédée dans un accident de voiture. Elle fut celle qui éveilla la conscience amazighe dans les Aurès.

Aujourd’hui elle est un symbole pour tous ceux qui se battent pour l’identité berbère. La dernière Arrij, originaire de Tkut, née à Tbatent. Emportée par une attaque cardiaque. Les Trois Précieuses est le premier livre à être publié par les éditions du Coquelicot dont je suis l’artisan. Cette édition serait celle de tous les auteurs berbères sans distinction et des auteurs étrangers qui écrivent sur les Berbères. Le groupe d’études et de recherches berbères Tarwa n Tanit dont je suis le président est le seul à gérer cette édition à but non lucratif.

Que pensez-vous de l’enseignement de tamazight? Est-il répandu dans votre région ?

L’enseignement de tamazight est une blague, un cadeau empoisonné. Alors que l’enseignement en Kabylie se fait en lettres gréco-latines, en Aurès on impose le caractère arabe, ce qui a posé certains

problèmes lors du baccalauréat. Personnellement je suis contre les deux écritures, il n’y que Tifinagh qui peut résoudre le problème. Je n’ai pas besoin de la graphie des autres pour transcrire ma langue. J’aimerais plutôt que l’école enseigne notre Histoire, la vraie, celle qui n’est pas falsifiée et détournée. J’aimerais apprendre que Aksel est un grand héros et que Okba est un envahisseur sanguinaire et non l’inverse. Cela nous redonnera notre dignité.

Qu’en est-il du dénuement des tailleurs de pierre de Tkut.

Nous vivons une véritable tragédie orchestrée par des responsables corrompus. Personnellement, je pense qu’il y a une véritable volonté d’extermination de la jeunesse rebelle. N’oublions pas que les tailleurs de pierres sont ceux-là même qui furent à la base de la rébellion de 2004. Ils sont profondément attachés à leur identité. Leur dire de laisser tomber ce métier qui les tue c’est comme dire à un Berbère d’accepter l’identité arabe pour que ses soucis soient résolus. La pierre fait partie de l’identité berbère de Tkut. Nous avons des projets pour en finir avec ce fléau mais je préfère ne pas en parler car trop de personnes s’acharnent à saboter ce que nous entreprenons.

Quels sont vos projets d’avenir ?

Deux albums de Dihya en chantier. Créer le spectacle Iwal à Tkut et l’exporter en Kabylie. Aurès, Le mont de l’espoir (roman), le Concours : Utopia Project pour la sortie du chef-d’œuvre d’Asasi Talfent. Une revue littéraire Berbère. Une anthologie de la poésie berbère. Et des tournées…

Un dernier mot.

Annoncer le concours qu’organise Tarwa n Tanit avec Les éditions du Coquelicot pour nous aider à atteindre le maximum d’auteurs berbères..

Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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