«Il est temps de passer à la production culturelle»

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Dans le cadre de la 13ème Rencontre poétique amazighe de la Soummam, prévue du 26 au 29 décembre 2019, Akli Outamazirt, vice-président chargé de la culture au sein de l’association étoile culturelle d’Akbou, détaille le programme de cette rencontre, ses objectifs et son importance dans la promotion de la poésie amazighe et la préservation de la langue et culture berbères.

La Dépêche de Kabylie : Du 26 au 29 décembre aura lieu la 13ème Rencontre poétique amazighe de la Soummam organisée par l’association Etoile culturelle d’Akbou. En quoi consiste cette rencontre ?

Akli Outamazirt : Cette rencontre est, en résumé, la promotion de la poésie et du poète amazighs. C’est un événement qui permet aux poètes de se retrouver, de se réunir et d’échanger. C’est un moment de partage où chaque poète peut s’exprimer et aussi s’enrichir par l’écoute de ses pairs. Cette rencontre a pour objectif de passer de l’oralité à l’écriture et à la production littéraire, car nous savons que le problème majeur que rencontrent les poètes est celui de l’édition. Raison pour laquelle les prix que nous dédions aux lauréats sont des recueils de poésie et non de l’argent.

C’est également l’occasion de révéler de jeunes talents, vu que la valorisation de la jeunesse est une priorité pour nous. En définitive, cette rencontre est une contribution à la promotion de la langue amazighe et donc de la culture amazighe en général.

Pourquoi avoir dédié cette rencontre à Ahmed Lahlou ?

Ahmed Lahlou était un porteur d’idées et l’un des fondateurs du concept de la rencontre poétique amazighe de la Soummam. Il est connu pour son amour incommensurable de la poésie. Il respirait la poésie, c’était son oxygène. Il ne pouvait tout simplement pas vivre sans poésie dans sa vie.

De plus, Ahmed Lahlou est un militant de la première heure qui a cru en l’amazighité et qui a donné tout ce qui pouvait être donné pour cette cause. Ses travaux sont innombrables. Il a créé une association, une chorale, des films… mais c’est surtout quelqu’un qui a redonné ses lettres de noblesse à la poésie amazighe et qui l’a remise au rang d’art. C’est pour cela qu’il est primordial de rendre hommage à ce grand homme. Il faut préserver ses œuvres qui sont uniques, il faut les hisser au plus haut rang qui soit surtout au niveau universitaire.

Quel impact sur la société pensez-vous avoir à travers cette rencontre ?

Le genre de rencontre est l’occasion de permettre à ceux qui s’expriment en tamazight de dire «Nous existons». Ensuite il s’agit de faire savoir qu’il y a des gens qui travaillent dur afin que la langue amazighe puisse s’affirmer pour qu’elle soit enfin reconnue comme étant une langue à part entière au niveau national et même international, car il faut dire que ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui encore. Ensuite, cet événement est avant tout une activité culturelle remettant au bout du jour l’importance de la poésie dans notre société où il n’est pas toujours évident de trouver des lieux permettant l’expression et l’auto-évaluation des poètes et de ceux qui souhaitent en devenir.

Et puis, cette rencontre est surtout un espace où des gens de tous âges et tous horizons peuvent se retrouver et faire connaissance. Il faut également se dire que toute société est bâtie sur des piliers, et une société qui ne reconnait pas ses piliers devient une société sans repaires. Lorsqu’on rend hommage à une personne comme on le fait dans ces rencontres, c’est la redéfinir en tant que pilier ou repaire de la société.

C’est ainsi qu’on sauvegarde et préserve ses travaux et ses œuvres, car c’est ainsi qu’on oriente les gens vers cette personne et ses œuvres. C’est désolant de le dire mais il y a beaucoup de personnes qui participent activement à la construction de la société, pourtant elles vivent en marge de cette même société, dans l’indifférence et le quasi-anonymat, et c’est en leur rendant hommage qu’on rappelle aux gens les noms de ces personnes pionnières et par la même on leur donne envie de s’investir à leur tour.

Comment expliquez-vous le succès de cette rencontre?

Pour parler du succès d’une rencontre, il faut d’abord définir ce qu’on peut qualifier de succès. Une rencontre enregistrant cent ou deux cents ou même mille poètes participants n’est pas forcément un succès. La foule ne constitue pas le succès. Il s’agit d’avoir un programme bien défini, bâti sur des objectifs et de le réaliser. Parmi ces objectifs, nous assurer de l’édition des recueils de poésie, mais aussi nous assurer que tous les poètes sont bien accueillis et qu’ils ont pu tous réciter leurs poèmes, débattre et s’exprimer dans les meilleures conditions. Un autre de nos objectifs et ils sont nombreux, c’est de permettre l’indépendance et l’impartialité des membres du jury.

C’est si important pour nous que nous codons les poèmes présentés pour assurer leur anonymat et éviter toute intervention à l’encontre du libre arbitre du jury. La preuve étant que depuis 2005 à aujourd’hui, jamais le premier prix n’a été attribué à un poète akboucien, et pourtant Akbou regorge de poètes, mais il y a cette intégrité de ces rencontres qu’il est primordial pour nous de préserver, car ce travail et les efforts que nous fournissons de bon cœur ne sont pas destinés à servir des intérêts quelconques, puisqu’au au final notre engagement est moral et nous le vouons à la culture.

L’association étoile culturelle d’Akbou est reconnue pour son militantisme pour la sauvegarde de la culture amazighe. Pouvez-vous nous résumer les initiatives que vous entreprenez dans cet engagement ?

Parmi nos initiatives, je peux citer treize éditions du Festival de théâtre amazigh de la Soummam, huit éditions du carrefour culturel de la Soummam, une rencontre cinématographique du court métrage amazigh de la Soummam et je ne sais combien d’animations, de conférences et d’ateliers durant toute l’année. Mais aujourd’hui, notre but est de mettre un terme à la folklorisation de la culture amazighe qui consiste à ne voir la culture qu’à travers des événements festifs lors de Yennayer et du 20 avril par exemple. Il est temps de faire de la culture amazighe quelque chose de concret, comme la production et la valorisation d’œuvres littéraires et artistiques. Nous devons laisser aux futures générations une matière première ou des repaires qui serviront de base pour leurs futures initiatives.

Pensez-vous que la poésie amazighe est vouée à durer ou à disparaître dans la société algérienne ?

Dire que la poésie amazighe va disparaître c’est dire que la langue amazighe va disparaître, alors qu’en réalité la poésie amazighe ne cesse d’évoluer, surtout qu’aujourd’hui, heureusement, la poésie s’est retrouvée entre les mains des intellectuels, ce qui lui a permis de se diversifier et d’évoluer encore plus. La poésie a su évoluer avec son temps et se moderniser au point qu’aujourd’hui elle n’est plus centrée uniquement sur la culture, elle s’est élargie et elle traite de thématiques sociétales actuelles et pas seulement celles de la société kabyle mais au niveau mondial.

Que diriez-vous à nos lecteurs pour les convaincre de venir assister à cette rencontre ?

Je leur dirai que la culture est l’affaire de tous. Nous sommes tous concernés par la culture, c’est grâce à elle qu’on se ressemble et c’est elle qui nous rassemble. Cette rencontre est un moment pour se retrouver et s’unir car ces moments se font de plus en plus rares. Je leur dirais aussi que la poésie est un art merveilleux auquel personne n’est hermétique si tant est qu’on prend la peine de l’écouter. Cet événement est la célébration de la poésie à laquelle tout le monde est invité, car nous sommes convaincus qu’au terme de cette rencontre, chacun en ressortira enrichi personnellement et la culture n’en sera que grandie pour une société toujours plus prospère. L’association Etoile culturelle d’Akbou sera, donc, honorée de toute présence d’où qu’elle vienne car son travail et ses efforts ne sont dédiés qu’à la société et à ses citoyens.

Interview réalisée par Menad Chalal

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